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L’acceptabilité sociale, entre enjeu opérationnel et notion complexe en sciences sociales

2 L’acception retenue dans le cadre du présent travail

2.1 Une acception pluridisciplinaire

1.3.3.4 Une « méthode » privilégiée : les représentations sociales

L'étude des représentations sociales est généralement la méthode privilégiée pour analyser l'acceptabilité sociale (Amalric et al. 2015 ; Depraz 2015 ; Fortin et Fournis 2013, 2014 ; Lecourt et Faburel 2008 ; Micoud 2010 ; Terrade et al. 2009). Nous y reviendrons plus longuement dans le chapitre suivant.

2 L’acception retenue dans le cadre du présent travail

Après la présentation de l’état de l’art, le besoin de se positionner dans cette multitude d’acceptions de la notion fait sens. Nous présenterons dans cette partie notre problématique et les hypothèses qui guideront notre travail tout au long du manuscrit.

2.1 Une acception pluridisciplinaire

Dans le contexte français d’apparition d’une nouvelle technologie en ville, ici, le transport aérien par câble, une question simple se posait : comment habitants et usagers vont-ils réagir face à ce nouvel intrus dans leur cadre de vie ? Encore inexistant dans les villes françaises, au moment de l’inscription en thèse (novembre 2014), cet objet novateur en tant que transport en commun renvoie à la question de l’insertion en milieu urbain d’un aménagement qui peut être perçu comme lourd et impactant. En tant que transport en commun novateur, il renvoie premièrement à la question de l’usage par des usagers non familiers à cette technologie en milieu urbain. Ainsi nous pourrions nous intéresser à la prédiction de son usage en ville et rejoindre les théories présentées en psychologie sociale. Le continuum temporel semble de ce fait adapté, la phase de prédiction de l’usage, a priori, qui correspond à l’étude de l’acceptabilité, renvoie effectivement à la non-connaissance et à la non-manipulation de l’objet, ce qui est notre cas avec les téléphériques urbains. La phase, a posteriori, d’évaluation des pratiques effectives par l’étude de l’acceptation, c’est-à-dire une fois

l’objet utilisé dans un environnement réel, puis d’appropriation afin d’appréhender son adoption effective ou non dans le quotidien de l’usager. Cette approche, centrée sur l’individu, ne nie cependant pas l’influence du contexte social sur le comportement d’usage et l’intérêt de considérer les représentations individuelles et sociales. En revanche, elle nous est apparue incomplète pour deux raisons. Premièrement, elle omet la dimension spatiale et le rapport au territoire. En effet, en tant que mode de transport, il s’insère dans un territoire qu’il impacte, bouleverse par des changements spatiaux, sociaux, économiques, environnementaux. En tant que construit social (Di Méo, 2001 ; Le Berre, 1992 ; Séchet et Veschambre, 2006) le territoire fait référence à l’histoire, les communautés, l’économie, l’organisation politique, les processus écologiques, mais aussi des pratiques, des usages, des représentations des habitants de ce territoire qui participent à une forme d’appropriation de l’espace. En géographie sociale, le concept de territoire peut se définir comme « l’expression globale du spatiale, du social et du vécu, comme une temporalité plus ou moins fragile, comme la rencontre du signifiant et du signifié, du matériel et de l’idéel » (Di Méo, 2001, p. 275). Il reflète la fusion entre spatial et social, sans distinction. Le concept de territorialité illustre cette interdépendance et facilite la compréhension du concept de territoire. Raffestin (1980) définit la territorialité par l’intensité d’une appropriation territoriale, plus les habitants s’identifieront à un territoire et affirmeront y être attachés plus la territorialité sera forte ; à l’inverse un territoire auquel les habitants se sentent peu attachés et peu concernés, qui sera mal identifié, aura une territorialité faible. La territorialité renvoie à la propre logique personnelle de chacun, à son espace vécu (Di Méo, 2001). Di Méo (op. cit.) poursuit en défendant qu’une telle réciprocité du social et du spatial implique des pratiques, des apprentissages collectifs, des représentations. Le territoire représente un endroit privilégié d’élaboration des identités (Marié, 1982). Il témoigne d’une appropriation de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité (Di Méo, 2001). L’interaction entre subjectivité et structures sociales objectives, induit, « dans toute recherche, de considérer deux groupes de facteurs explicatifs des faits pris en compte : ceux qui émanent du ou des sujet(s), ceux qui relèvent du contexte social » (op. cit., p. 65). Et pour ce faire, l’outil méthodologique privilégié de la géographie pour appréhender l’expression spatiale de ces rapports sociaux sont les représentations sociales (Frémont, 1984).

Deuxièmement, l’approche prônée par la psychologie sociale apparaît comme centrée sur l’usager/l’utilisateur et ses trajectoires d’usages. Dans le cadre de notre recherche, nous nous

que par l’impact positif ou négatif sur leur lieu de vie ou de travail. Ainsi ce sont également les riverains, les habitants, les commerçants, etc. qui sont intégrés à notre recherche. En parallèle, il nous a semblé intéressant de s’intéresser à la manière dont les porteurs de projets appréhendaient l’acceptabilité sociale de leur projet. Contrairement à l’approche prônée par la psychologie sociale, l’effort ici n’est pas de recueillir les appréciations positives et négatives permettant par la suite d’améliorer la technologie aérienne par câble et ainsi de maximiser l’accueil positif de ce mode de transport, mais bien de tenter de comprendre quelles sont les représentations sociales de ces acteurs pour juger de la pertinence d’un projet et de permettre, si tel est le cas, une insertion réussie, en cohérence avec les représentations et les perceptions qui façonnent le territoire concerné.

Ce social donc, est incarné, pour nous, à l’échelle d’un projet implanté sur un territoire, par les usagers, les riverains, les habitants, les acteurs économiques (commerçants, immobilier, tourisme, etc.), les associations et les élus. Ce social est donc localisé : il se manifeste à travers des interactions entre des individus localisés, des interactions sociales qui ont une inscription spatiale (Paquot, 2011). Ces acteurs identifiés sont considérés comme des parties prenantes, au sens de Mermet et al. (2004, p. 4) « l’ensemble des acteurs concernés par le traitement d’un problème ». Dans certains cas, nous le verrons, ils n’ont pourtant pas été considérés comme tels et ont été peu associés aux projets.

Comme évoqué dans le chapitre 1, l’innovation est entendue comme un processus social et territorial. L’apparition d’une innovation technique sur un territoire donné investi par des interactions sociales, des pratiques, des représentations, des activités, des enjeux et relations de pouvoir, nous amène à considérer, à la manière d’Amalric et al. (2015), l’insertion socio-territoriale des téléphériques urbains. Cette insertion dépend de la prise en compte des intérêts des acteurs souvent divergents, de leurs visions du projet et des divers usages de l’espace alentour. Elle dépend des interrelations entre acteurs locaux et acteurs extérieurs et de la cohérence entre les objectifs des différents projets de territoire et les objectifs des industriels. L’insertion socio-territoriale est donc nécessairement multi-échelles et multi-dimensionnelles (Amalric et al., 2015). Le continuum temporel a donc été repris, mais adapté et complété. Il nous a permis de formaliser les différents terrains entrepris (présentés dans le chapitre 3). Ainsi, c’est une approche pluridisciplinaire que nous avons privilégiée en faisant appel tant aux concepts de géographie sociale qu’à ceux de la psychologie sociale. Après l’analyse de l’état de l’art et l’adaptation à notre objet d’étude nous avons élaboré les acceptions suivantes de l’acceptabilité

d’un objet/projet. Cette insertion passe par la compréhension et l’intégration de composants sociaux, économiques, politiques, écologiques, historiques du territoire et à travers une démarche de construction du projet avec tous les acteurs. Cette co-construction prend forme dès les phases préalables du projet, c’est-à-dire les phases de pré-faisabilité. Un projet acceptable est un projet en cohérence avec les représentations sociales et les besoins des acteurs du futur territoire d’implantation. L’acceptabilité sociale dépend de l’intégration, dans la conception du projet, des représentations sociales des acteurs concernés ainsi que des caractéristiques et des enjeux du territoire. Processus temporel dynamique, l’acceptabilité est susceptible d’évoluer, notamment en fonction des connaissances acquises sur l’objet/projet, d’une possible résignation ou au contraire d’une prise de conscience. Elle est, de fait, difficilement mesurable avec certitude, mais en constant mouvement, ce qui en fait une situation de « régulation publique, incluant le cas échéant un débat sur la consistance et la pertinence de l’acceptabilité pour décider du devenir du dispositif contesté » (Barbier Nadaï, 2015, p. 8).

Nous situons l’acceptabilité sociale en amont de l’(in)acceptation, cette dernière étant appréhendée comme un état réel difficilement réversible, dans le sens où le projet est arrivé à son terme et l’objet est en service, mais, pas pour autant figé. Une fois implanté, l’absence d’oppositions, ne signifie pas satisfaction ou adhésion. Des mouvements peuvent se soulever plus tard ou ne jamais s’apaiser. Une résignation ou un silence peut à l’inverse cacher et/ou nourrir un mal-être, une colère préjudiciable dans l’épanouissement de l’individu comme dans la relation à l’entité visée par le manque d’écoute et de prise en compte. L’acceptabilité renvoie alors à l’idée de capacité, de décision, d’influence, de construction d’un projet en adéquation avec des valeurs et des ambitions partagées. L’acceptation ou le refus, en tant que résultat, nous renvoie à une forme d’inertie à venir, à l’idée qu’il est trop tard pour changer le cours de choses, que l’opportunité résidait dans l’acceptabilité à peine passée. (Pour rappel le concept d’appropriation sera détaillé, d’un point de vue théorique et méthodologique, dans le chapitre 6).

Ainsi, nous considérons le triptyque acceptabilité-acceptation-appropriation comme un processus au sens géographique du terme. En géographie, la notion de processus fait référence au mouvement, à l’enchainement de faits et participe alors d’une approche temporelle diachronique (Pumain, 2014). Cet enchainement est avant tout causal avant d’être chronologique. Un processus permet de comprendre les logiques de production ; de

reproduction ou de transformation des systèmes ou des structures spatiales, évolutives au cours du temps (op. cit.).

Ce triptyque sera au cœur du travail ici présenté, les différents terrains investigués ayant pour objectif d’évaluer chacune de ses trois composantes.

A PRIORI, lorsque l’objet n’existe pas encore, ce qui correspond au cas des villes françaises en 2015, l’acceptabilité sociale des téléphériques urbains sera étudiée à travers les représentations, les argumentaires, les besoins et attentes des individus concernés par un projet à l’étude et les enjeux du territoire susceptible d’être implanté.

A POSTERIORI, l’étude de l’acceptation et de l’appropriation sociale passe par l’enquête de téléphériques urbains en service, nécessairement à l’étranger. Elle permet de comprendre la construction des conditions favorables ou défavorables à une insertion socio-territoriale de futurs projets. Elle permet d’identifier la gestion de projet et l’accueil initial à l’annonce du projet et le parallèle avec l’intégration ou l’inintégration actuelle du téléphérique par les acteurs concernés et par le territoire. L’étude de l’acceptation et l’appropriation fait partie de la compréhension de l’acceptabilité sociale de futurs projets. Cette évaluation passe par l’analyse des pratiques des habitants, de leurs représentations, leurs affects, des relations entre eux et les décideurs, ainsi que par l'étude des impacts éventuels sur le territoire (prix de l’immobilier, évolutions des activités économiques, incidences environnementales, etc.). Par ailleurs, l’histoire locale est une variable particulièrement étudiée afin d’envisager l’éventuel rôle de l’identité territoriale dans les représentations des acteurs interrogés.

Ainsi, la partie 2.1. expose la posture choisie permettant de guider la recherche effectuée dans le cadre de cette thèse. La posture choisie résulte de choix conceptuels effectués après l’analyse de la littérature présentée dans les pages précédentes et nécessite à présent d’être complétée par une justification de la problématique et une présentation des hypothèses à tester.

2.2 Présentation de la problématique et des hypothèses de recherche

À travers l’étude de l’acceptabilité sociale des téléphériques urbains apparaît la volonté d’analyser leur insertion socio-territoriale. Les hypothèses présentées ici découlent de l’état de l’art et de l’influence du cahier des charges initial, dans le cadre du projet I2TC. Ainsi, certaines des hypothèses permettent également de questionner les limites de la commande, à savoir un outil générique standard réapplicable permettant de réunir les conditions d’une acceptabilité sociale de projets de téléphériques urbains.

Notre problématique est la suivante : Quelles sont les conditions d’intégration d’un transport

susceptibles d’accueillir favorablement ou défavorablement un transport urbain aérien par câble ? Trois hypothèses de départ vont rythmer ce travail : H1 : L’acceptabilité sociale ne dépend pas des caractéristiques intrinsèques de l’aménagement, mais de conditions socio-territoriales Les caractéristiques intrinsèques de l’infrastructure ne seraient pas déterminantes dans l’accueil d’un aménagement. Est postulée ici l’idée qu’un aménagement lourd dont la nature ne soulève pas de question éthique, peut susciter des débats, des controverses qui sont portés par des arguments similaires ; à l’inverse de projets tels que le nucléaire ou les organismes génétiquement modifiés. Ce postulat découle de plusieurs études, une étude Eiffage sous forme de mémoire de Master 2 (Lechleiter, 2013) et deux rapports du Certu, aujourd’hui dénommé Cerema (2011 ; 2018) qui identifient les freins sociaux potentiels au développement du transport aérien par câble en milieu urbain. Ces freins sont en tout point semblables à ceux identifiés lors de nombreux projets d’aménagement tels que l’éolien et le tramway.

Ces arguments généralistes portés, a priori, laissent à penser qu’une réponse technique, esthétique et communicationnelle serait suffisante. Cette réponse permettrait de passer outre les spécificités culturelles, écologiques, économiques, patrimoniales locales en proposant un projet type autorisant la standardisation. L’hypothèse permet alors de tester la présence et l’importance de conditions socio-territoriales propres à chaque territoire dans l’accueil d’un projet de téléphérique urbain.

H2 : L’acceptabilité sociale est fonction de l’attachement au territoire

Selon la littérature scientifique analysée, le rapport au lieu et son degré d’attachement conditionnerait l’accueil positif ou négatif d’un projet. L’attachement au lieu caractérise les liens affectifs entre des individus et des lieux spécifiques et implique une interaction entre affects et émotions, connaissances et croyances, et comportements et actions, en référence à ce lieu. Ainsi, il s’agit d’observer si le degré d’attachement au territoire d’implantation du téléphérique influence son acceptabilité.

À l’issue de ce chapitre, nous pouvons poser les principales composantes de cette recherche.

L’objet de la recherche présentée consiste à évaluer les représentations, composantes de l’acceptabilité, l’acceptation et l’appropriation sociale, des acteurs concernés par un transport

Pour répondre à notre problématique, et tester les hypothèses présentées, une étude comparative internationale a été entreprise, comprenant cinq terrains situés dans quatre pays : la France, l’Italie, les États-Unis. Ces terrains sont réunis autour d’un objet d’étude commun : le téléphérique urbain. Ils seront investigués selon deux axes : • L’acceptabilité pratique des usagers (au sens de Nielsen, 1994), qui renvoie en partie à l’adaptation de la technologie aux spécificités de l’usager et à l’identification de difficultés d’utilisation. Celle-ci sera évaluée à travers l’étude de la propension à l’usage et l’étude de l’usage effectif de téléphériques urbains, sous la forme d’enquêtes auprès des usagers. • L’acceptabilité sociale des habitants et riverains, et lorsque cela était possible, des acteurs économiques et politiques, étudiée à travers leurs représentations et leurs pratiques renvoyant à des comportements, des croyances, des normes et des valeurs.

Dans le chapitre suivant nous reviendrons sur le choix et la justification des terrains et la méthodologie entreprise pour mener à bien ces questionnements.

Chapitre 3

Entre ciel et terre : saisir les représentations des habitants et des