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Analyse des dires du public lors des consultations de projets de câble en cours Le recueil et l’analyse des représentations du transport aérien par câble en milieu urbain des

De la contestation à l’engouement : évaluer l’acceptabilité sociale et pratique du téléphérique urbain en France

2 Acceptabilité sociale des projets français

2.2 Analyse des dires du public lors des consultations de projets de câble en cours Le recueil et l’analyse des représentations du transport aérien par câble en milieu urbain des

individus concernés par un projet concret passe par l’étude des projets français en cours et suffisamment avancés pour être à l’étape de concertation publique. Cette analyse a été alimentée par le suivi d’une réunion publique, d’une réunion de concertation et l’analyse des bilans publics de concertation des différents projets. Ainsi ont été analysés, au-delà des observations directes lors des réunions publiques, les comptes-rendus des concertations publiques, et le contenu des entretiens téléphoniques et de visu réalisés. Les maîtres d’ouvrage des quatre projets étudiés ont été rencontrés. Actuellement quatre projets de transport par câble en milieu urbain, présentés dans le chapitre précédent, ont été soumis à l’avis du grand public : le Téléphérique des Capucins à Brest, le Câble A-Téléval à Créteil (Val-de-Marne), le Metrocable à Grenoble et le Téléphérique urbain Sud à Toulouse.

2.2.1 Les consultations publiques analysées

Dans le cadre des projets d’aménagement, deux mesures législatives prévoient la participation publique : l’enquête publique et la concertation préalable.

- L’enquête publique5

Les aménagements susceptibles de porter atteinte à l’environnement sont obligatoirement soumis à enquête publique. Cette enquête a pour objectif d’assurer l’information et la participation du public en recueillant leurs avis et propositions sur cet aménagement.

En application des dispositions de l’article L.123-1 du code de l’environnement, font l’objet d’une enquête publique : les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagement soumis à étude d’impact environnemental en application des articles L.122-1 et R.123-1 du même code.

L’enquête est conduite par un commissaire-enquêteur désigné par le président du tribunal administratif et organisée dans la mairie concernée. Contrairement au débat public, elle donne lieu à un avis favorable ou défavorable du commissaire-enquêteur. Si l’avis est favorable le projet est reconnu d’utilité publique. - La concertation préalable La concertation préalable est prévue à l’article L 300-2 du Code de l’Urbanisme, modifié par la loi ALUR du 24 mars 2014. Elle consiste en la faculté pour l’autorité compétente pour statuer sur la demande de permis ou le maitre d’ouvrage (après accord de l’autorité compétente) d’organiser

pour tout projet public ou privé soumis a permis de construire ou d’aménager, une concertation préalable à l’enquête publique6. Cette concertation est organisée en amont du dépôt de la demande de permis et a lieu pendant toute la durée de l’élaboration du projet. Elle associe les « habitants, les associations locales et les autres personnes concernées »7. Le Code de l’urbanisme ne définit pas la notion de personnes concernées, ce qui laisse sous-entendre que ce dispositif est ouvert à tout individu souhaitant participer, sans contrainte d’adresse de résidence ou de nationalité.

Étant soumis à permis de construire, les projets de transport par câble sont directement concernés par cette nouvelle mesure. Bien que facultative, la procédure de concertation préalable est clairement encouragée par les acteurs publics, en donnant la compétence au maître d’ouvrage pour la réaliser ainsi qu’en le libérant de l’obligation d’enquête publique lorsqu’une concertation préalable a été organisée. L’enquête publique étant accusée d’arriver trop tard dans le montage des projets, lorsque « tout est joué », l’objectif de la concertation préalable est bien le développement en amont du dialogue et de la participation, avant le dépôt du permis. L’enjeu est de prévenir tout contentieux en aval, susceptible de retarder ou remettre en question le projet, mais également de renforcer la « qualité et l’acceptabilité »8 du projet. La participation publique est une notion très large englobant de nombreux termes utilisés parfois à mauvais escient. Rappelons ici quelques définitions pour éviter tout amalgame. Les notions citées ci-après sont présentées en tant que « modalités » de la participation, elles constituent une démarche participative à des degrés d’implication différents. L’information est en quelque sorte la première étape de la participation en ce qu’elle est censée apporter au citoyen des données claires, complètes et accessibles sur un projet à venir ou en cours pour lui permettre d’agir. Elle correspond au devoir de transparence garant de l’intérêt général. La consultation permet au décideur de demander l’avis de la population sans obligation de le prendre en compte dans la décision finale. Elle peut intervenir à n’importe quel stade du projet. La concertation est, selon Jean-Eudes Beuret (2013) un « processus de construction collective de visions, d’objectifs, de projets communs, en vue d’agir ou de décider ensemble, qui repose sur un dialogue coopératif entre plusieurs parties prenantes et vise à construire de nouvelles coordinations autour d’un ou plusieurs objets problématiques ». Elle implique la prise en compte des propositions avancées par les populations.

6http://www.logement.gouv.fr/IMG/pdf/fiche_participation_du_public_mesure_relative_a_la_concertation _prealable_facultative.pdf idem

La co-construction suppose l’implication d’une pluralité d’acteurs, souvent inhabituels, dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet (Akrich, 2013). Elle implique un engagement plus important des acteurs que lors d’une concertation ou d’une consultation.

La conciliation et la médiation visent à confronter des points de vue a priori contradictoires afin de trouver un terrain d’entente, une solution et d’aboutir éventuellement à un accord. Elle implique l’intervention d’une tierce personne neutre9.

Encadré n°2 : Les modalités de la participation publique

Dans les projets ici présentés, les quatre porteurs de projets ont organisé des concertations préalables après la réalisation des études préalables et avant de les poursuivre, notamment afin d’expliquer le projet et relever les attentes des usagers, riverains, associations locales et personnes morales et privées concernées. La concertation préalable a pris plusieurs formes : organisation d’ateliers publics de concertation ; réunions publiques ; réunions en sous-groupe avec les acteurs économiques et institutionnels concernés ; permanences du chef de projet pour échanger et recueillir des avis ; mise à disposition de registres d’expression libre (par écrit ou via internet) accompagnés d’expositions et de documents d’information dans des lieux publics. Les porteurs de projets nous expliquent ce choix de la concertation préalable.

A‰ travers l’organisation d’une concertation préalable sous la forme d’ateliers publics en petits groupes, le porteur de projet de Grenoble a souhaité manifester sa volonté de « ne pas se limiter aux aspects réglementaires de la concertation, souvent insuffisants », mais « d’engager une concertation tout au long du projet, à chaque étape, pour essayer le plus possible de co-construire, de sentir les habitants investis et d’obtenir un diagnostic partagé de la situation ». Tous les intéressés étaient alors invités à participer. Les ateliers permettaient de débattre du projet, de proposer d’autres options que celles présentées et de les comparer à d’autres modes de transport envisageables. Le porteur de projet a dans ce cas laissé une marge de manœuvre à l’évolution du projet en soumettant au public différentes hypothèses d’alternatives : emplacement des stations, taille des cabines, choix des pylônes, design de l’infrastructure, automatisation des stations. Plusieurs illustrations étaient présentées (photos n°28).

Photos n°28 : Illustrations présentées lors de la concertation prélable organisée à Grenoble © Clément Facy

Le porteur de projet de Toulouse a également organisé une série d’ateliers, mais avec la seule participation des acteurs économiques et institutionnels directement concernés par l’implantation des stations et leurs éventuelles nuisances, afin d’envisager avec eux les options et solutions envisageables. La réunion publique organisée en 2015, ouverte à tous, a davantage fait l’objet d’une consultation que d’une concertation, les participants étant invités à poser des questions et à donner leur avis sur le projet présenté, et non pas à être force de proposition. De par sa forme, sa courte durée, le temps de parole restreint, la réunion publique a davantage eu vocation à « prendre la température » plutôt qu’à engager une démarche de projet co-constructive. C’est avec prudence que le porteur de projet envisage la réunion publique, ne souhaitant pas diffuser d’images des stations ou des pylônes ni aborder la question du vis-à-vis et du survol, « cela viendra dans un second temps ». L’enquête publique est prévue pour 2019. A‰ Créteil, dès 2013 et les premières réflexions concrètes, un « temps d’échange » a été organisé, en amont même de la concertation préalable. Celui-ci a pris la forme de réunions publiques et de rencontres avec les habitants. La volonté affichée consistait à pouvoir apporter « une contribution finalisée au STIF [aujourd’hui Ile-de-France Mobilités] dans le cadre des études préliminaires », convaincu que « la réussite d’un projet de transport urbain, en particulier dans le cadre d’un projet innovant, tient aussi beaucoup à la compréhension et à l’appropriation du projet par les riverains ». Le temps d’échange a alors eu pour rôle de présenter une première fois le projet à la population et de lui permettre de s’exprimer sur celui-ci. En appui, de nombreux supports de communication ont été créés : vidéo, site internet, flyers, 127 questions/réponses, des images de

principalement pour faciliter la représentation d’un transport qui « parle peu » (photos n°29 et n°30). Par la suite, une concertation préalable a été organisée du 26 septembre au 28 octobre 2016, à travers deux réunions publiques et cinq rencontres de proximité (sorties de station de métro, jour de marché, etc.). Celle-ci visait à présenter les avancées du projet et « à informer sur le projet et à recueillir les avis des publics concernés »10. Plusieurs variantes de tracés ont également été présentées. Une réunion publique d’information a de nouveau été organisée en octobre 2018. Photos n°29 : Illustrations présentées lors du temps d’échange en 201311 Photos n°30 : Illustrations présentées lors de la concertation préalable en 2016 © DFA-Ingerop-ERIC / STIF

Brest a organisé une première concertation préalable de septembre à novembre 2012, comprenant quatre réunions publiques, suivies d’une enquête publique en avril 2015 présentant des illustrations de la future infrastructure (photos n°31 et 32). En 2012, la consultation a enregistré des critiques et contestations, mais peu d’oppositions tranchées, laissant entrevoir un démarrage plutôt consensuel. Nous le verrons plus bas, en 2014 le projet ne sera plus porté par la population. Cependant, le contrat étant conclu, le projet a tout de même été réalisé.

10 Bilan de la concertation, 2017 http://www.cable-a-televal.fr/download/bilan_de_la_concertation/CableA-Bilan-Concertation-VDEF-BasseDef.pdf

http://www.valdemarne.fr/vivre-en-val-de-marne/informations/le-televal-un-telepherique-en-val-de- Photo n°31 : Illustration disponible lors de la concertation préalable © Brest Métropole Océane Photos n°32 : Illustrations présentées lors de l’enquête publique © Brest Métropole Océane 2.2.2 Le contenu des communications publiques : quel message porté par les décideurs ? Lors des réunions publiques des documents de présentation sont fournis et présentés par les porteurs de projets aux participants. Les quatre projets répondent à une logique commune, en présentant des supports au déroulé identique. Plusieurs étapes jalonnent la communication.

La première étape consiste à élargir le sujet à une échelle de territoire plus large que celui concerné par le projet de transport par câble. En globalisant l’objectif, le discours est décentré vers des enjeux territoriaux de développement : « développer le territoire durablement » ; « un

transports collectifs dans tout le secteur » ; « dessiner un nouveau cœur de ville ». Le projet de transport par câble répond à un besoin global de visibilité et de durabilité tant économique, que sociale et environnementale, et ce, dans un contexte de prospective à plus 10-15 ans. La justification du projet de câble arrive dans un second temps. Est démontré alors l’intérêt d’une nouvelle desserte en raison du développement du territoire actuel et à venir dû à une multitude de projets d’aménagements entrainant une croissance démographique et une augmentation des déplacements ; de la saturation actuelle des axes de déplacements et la faiblesse de l’offre de transport ; d’une topographie contrainte avec de nombreuses coupures naturelles ou artificielles freinant les déplacements ; un accès futur aux secteurs d’activité et donc à des emplois. De plus, la comparaison avec d’autres modes de transport ou d’autres ouvrages de transport lors des présentations publiques permet de donner de la crédibilité au projet de câble et de justifier de sa prévalence sur les autres modes.

Grenoble offre une comparaison avec le bus à haut niveau de service. Il est présenté une description de son temps de parcours, de sa fréquence de passage et des arrêts desservis et la liste des travaux nécessaires à la construction de la ligne. La présentation manque cependant de neutralité : « des travaux importants sont à prévoir pour permettre à la ligne de franchir les nombreuses coupures ». S’en suit la liste des 14 opérations de travaux, sujet non abordé dans la présentation sur le transport par câble. « Ces aménagements importants représenteraient au minimum un coût de 32 millions d’euros [60 millions pour le câble] et ne permettraient pas de résoudre tous les problèmes liés à la congestion du secteur ». « En tout état de cause, la qualité de service ne serait pas comparable au transport par câble ». Un tableau comparatif approximatif clôt la présentation de l’alternative proposée et mettant en exergue l’avantage comparatif du projet de câble (annexe n°6). Lors des ateliers de concertation le détail des chiffres de comparaison a par ailleurs été demandé.

Le téléphérique de Brest a majoritairement été justifié par des questions de coût. L’analyse comparative ayant porté sur la différence de coût entre un pont transbordeur (40 à 60 M€), un pont routier levant (30 à 50 M€), une passerelle levante (25 M€) et un téléphérique (19,1 M€). Un autre critère a servi à la comparaison : l’impact environnemental induit par l’augmentation de la fréquentation automobile, le projet affichant la volonté de créer une liaison pour modes doux. Le projet du Val-de-Marne présente deux alternatives : le prolongement d’une ligne de métro et l’aménagement d’une ligne de bus à haut niveau de service. Les raisons de l’abandon de l’étude de ces alternatives sont également explicitées : leur faisabilité technique n’était pas avérée ; la desserte du plateau par ces deux modes de transport s’avérait complexe ; le délai des travaux était trop long ; le coût trop élevé ; le gain de temps non compétitif et les impacts fonciers et

environnementaux trop conséquents12.

Le document de présentation mis à disposition par Toulouse offre une comparaison avec quatre autres modes de transport : métro, tramway, bus et funiculaire. Les données proposées sont inégales selon les modes comparés mais les informations disponibles sont sourcées et présentent : le tracé de la ligne en fonction du type de mode, l’investissement et les coûts d’exploitation, la longueur de la ligne, la dimension des stations, les ouvrages nécessaires, les véhicules, la capacité du système, la fréquence, le temps de parcours et, l’insertion et les impacts au sol. Le lecteur dispose alors des éléments principaux pour juger de lui-même de la pertinence de chaque mode, il doit cependant aller chercher lui-même ce document sur internet, document administratif non destiné directement au public, le document présenté en réunion publique étant plus que sommaire (annexes n°7).

Dans un dernier temps avant la présentation des détails et caractéristiques du projet en lui-même, la technologie aérienne par câble est présentée à travers ses avantages principaux. Les avantages les plus cités ont trait à sa durabilité environnementale (un transport écologique) et la sécurité optimale qu’il offre. La technologie est également présentée comme fiable, sans interruption de trafic, capacitaire (l’équivalent d’un tramway), peu consommateur d’espace urbain, évolutif (possibilité de prolongement de la ligne), rapide et accessible à tous grâce à un arrêt complet en station. Les documents de présentation publique insistent également sur l’intermodalité en tant qu’objectif prioritaire. Enfin, en interconnectant les territoires enclavés et les territoires d’activité, le transport par câble est présenté comme un « levier de développement urbain et économique ». Objet « unique », de fierté et d’innovation, « le 1er téléphérique de France13 », « le 1er téléphérique d’Ile-de-France14 », le transport par câble faciliterait le développement de la « ville de demain », « être téléporté de l’Oncopole au CHU et à l’Université en 10 minutes, science-fiction ou futur possible ?15 », en donnant aux villes acquéreuses une image de modernité, un nouveau symbole valorisant pour les villes. Seul le projet de Grenoble aborde les « critiques adressées au câble16 » en les nuançant, cependant, fortement : « l’impact visuel est subjectif et complexe. Le téléphérique de la Bastille fait partie de l’image de la ville de Grenoble et il est parfaitement accepté par ses habitants ». Sur la question du

12 Rapport et conclusions du Commissaire enquêteur Jean-Paul Campion n°E13000518 / 35 13 Dépliants 2015 et 2016 www.capucinsbrest.com 14 Plaque de présentation « Un téléphérique pour le Val-de-Marne le téléval » du Conseil Général du Val-de-Marne 15 https://www.tisseo.fr/sites/default/files/medias/telepherique-urbain-sud.pdf

16https://www.lametro.fr/cms_viewFile.php?idtf=441&path=Cahier-concertation-Metrocable.pdf

vis-à-vis et du survol la critique est évincée : « 2/3 traversent des secteurs d’activité économique, 1/3 concerne les futurs logements qui seront mis à distance, et le « survol a été évité par l’étude d’un tracé adapté ». L’impact sur l’avifaune : même s’il existe un risque de collision en vol, les dispositifs de visualisation des câbles ont cependant « démontré leur efficacité, notamment sur les câbles électriques ».

Le porteur de projet de Toulouse explique sa volonté de ne pas communiquer sur les points plus délicats tels que le vis-à-vis, le survol et les pylônes :

« Cette discussion viendra dans un second temps au cas par cas avec les personnes directement concernées pour trouver le temps et les bons mots. Avec le lycée, concerné par le survol, on se doit de tenir un langage de vérité pour qu’ils aient une approche vraie sans préjugés » (entretien du 15/12/15).

Conscients de la nouveauté de ce mode de transport et des interrogations qu’il peut susciter, le porteur de projet de Toulouse évoque la nécessité de « faire preuve de plus de pédagogie que sur les autres projets de transport en commun » (entretien du 15/12/15). Il est fait ainsi le choix d’accentuer la communication et les démarches d’information par l’intermédiaire d’outils originaux et novateurs : outil de data-visualisation, vidéos, drone, site internet dédié, etc. Ces outils, pédagogiques et accessibles, rendent l’information plus lisible et ont l’avantage d’attirer un public plus large (voire plus jeune) en apportant une touche innovante et moderne correspondant à l’image du câble véhiculée. A‰ travers l’étude de ces quatre projets, on assiste à une recontextualisation des projets de câble par un agrandissement de l’échelle d’intéressement. Le transport aérien par câble est présenté comme une étape d’un projet plus général de développement du territoire. La mise en avant d’un transport respectueux de l’environnement colle aux objectifs des politiques publiques actuelles et à la sensibilité ascendante des habitants pour les questions environnementales ; la ville durable devient un enjeu incontournable de l’action publique. Mais le