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Présentation des terrains et de la méthode

3 Comment évaluer l’acceptabilité, l’acceptation et l’appropriation sociale ?

3.1 Les représentations

L’étude des représentations renvoie originellement aux champs de la psychologie sociale et de la sociologie avant d’avoir irrigué l’ensemble des sciences sociales. En 1898, Durkheim conceptualise le terme de représentation collective en le différenciant de celui de représentation individuelle notamment afin de particulariser la pensée sociale de la pensée individuelle, argumentant de la primauté du social sur l’individuel. Les représentations individuelles sont variables, elles dépendant de l’individu, tandis que les représentations collectives sont idéelles, rattachées à des croyances partagées par toute une société et stables dans le temps. Ainsi, les représentations collectives ne constituent pas la somme des représentations individuelles.

Moscovici (1961, p. 26) considérant la théorie des représentations collectives comme incomplète, introduit le concept de représentation sociale, définie comme « une modalité de connaissance particulière ayant pour fonction l’élaboration des comportements et la communication entre individus ». Est opéré alors un basculement de la sociologie à la psychologie sociale. Les représentations sociales selon Moscovici sont produites et diffusées au cours d’échanges sociaux, et engendrent des pratiques pouvant différer selon les groupes sociaux. Contrairement à la conception de Durkheim, les représentations sociales se modifient avec le temps. L’individu et la société sont en constante interaction, l’individu étant influencé par la société, société elle-même construite par ces individus. En tant que construction, la représentation sociale est le produit de références implicites et explicites induites par des dimensions sociale, historique, culturelle, symbolique et idéologique contextualisées, « à la fois produit et processus d'élaboration psychologique et sociale de cette réalité, la représentation sociale sert de charnière aux éléments affectifs, mentaux et sociaux tout en intégrant les éléments cognitifs, linguistiques ou de

Plusieurs approches envisagent le processus d’élaboration d’une représentation sociale, respectivement amorcées par deux écoles de pensée : l’école de Paris (Moscovici, Jodelet) et l’école d’Aix-en-Provence (dont Abric, Vergès, Flament).

La première école appréhende l’élaboration des représentations sociales selon une approche dynamique. Ainsi, pour qu’elles puissent s’élaborer, l’objet de la représentation doit à la fois être présent, pour pouvoir être perçu, et s’effacer, pour laisser place au concept. La représentation « éloigne suffisamment [les objets] de leur contexte pour que le concept puisse intervenir, les modeler à sa façon » (Moscovici, 1961, p. 56). L’autre aspect dynamique de la représentation est sa double dimension psychologique (processus cognitifs individuels) et sociologique (contexte social). Les processus cognitifs correspondent aux mécanismes d’objectivation et d’ancrage. Ils permettent d’effectuer le changement d’une idée étrangère en un objet du sens commun. Ces processus cognitifs émanant de la sphère individuelle vont venir se nourrir de la sphère sociale par l’intermédiaire du contexte idéologique et de communications interindividuelles et intergroupes. L’objectivation consiste à rendre concret ce qui est abstrait en simplifiant la nature de l’objet. L’ancrage permet l’intégration de l’objet et de ses informations dans le système de valeurs préexistant de l’individu et ainsi de pouvoir se positionner vis-à-vis de l’objet. Cette dynamique permet ainsi d’appréhender et de s’approprier des réalités étrangères.

La deuxième école fait appel à une approche structurelle. Elle s’intéresse à la structure de la représentation, à l’organisation de son contenu. Celle-ci ne sera cependant pas employée dans la thèse. On retiendra alors qu’un objet n’existe pas en lui-même, mais pour et à travers un individu ou un groupe. La représentation sociale est alors à la fois « produit et processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique » (Félonneau, 2003, p. 149). En effet, pour Abric (1992 in Félonneau, 2003, p. 149) « il n’existe pas a priori de réalité objective, toute réalité est représentée, c’est-à-dire appropriée par l’individu et le groupe, reconstruite dans son système cognitif, intégrée dans son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social et idéologique qui l’environne. Et c’est cette réalité appropriée et restructurée qui constitue pour l’individu ou le groupe la réalité même. Toute représentation est donc une forme globale et unitaire d’un objet, mais aussi d’un sujet. Cette représentation restructure la réalité pour permettre une intégration à la fois des caractéristiques objectives de l’objet, des expériences antérieures du sujet et de son système d’attitudes et de normes ». À travers cette citation, on aperçoit une perméabilité entre univers personnel et univers social. Ainsi il existerait une continuité entre représentation mentale individuelle et représentation sociale, collectivement partagée, répondant à une même faculté

construire son propre univers que d’emprunter à sa culture ce qui a du sens pour lui comme pour ses compagnons, qu’il fasse un usage personnel restreint ou qu’il adopte une vision collective » (op. cit., p. 17). L’émergence des représentations se joue sur trois scènes en étroites relations : la première composée de l’imaginaire individuel dans lequel apparaissent les représentations individuelles (images, vécus, fantasmes), la deuxième de l’imaginaire collectif dans lequel apparaissent les représentations sociales (depuis les clichés et les préjugés jusqu’aux contes et mythes) et la troisième constituée de la réalité sociale dans laquelle se manifestent les actions socialement représentées (Mannoni, 2010).

En géographie, l’étude des représentations permet d’appréhender la relation des hommes à leur territoire. La notion de représentation est souvent accompagnée de celle de perception, nécessitant une clarification conceptuelle. Antoine Bailly définit la perception comme « la fonction par laquelle l’esprit se représente les objets en leur présence », laissant entrevoir qu’il s’agit d’une activité sensorielle et non le fruit direct de l’imaginaire et de la conceptualisation (in Di Méo, 2001). La représentation permet de convoquer des objets en leur absence, mais également d’enrichir la connaissance perceptive grâce à des considérations ou des connotations provenant de l’intelligence et de l’imaginaire (Piaget in Di Méo, 2001). L’espace ou l’objet que l’on se représente est chargé d’idéologie, de valeurs, intégrées par le sujet et propres aux groupes sociaux auxquels il appartient. Les normes sociales influencent la cognition, qui finit par produire des représentations sociales. Pour Di Méo (2001), il n’existe pas de perception pure, il s’agit uniquement de représentations du réel, déformées par les filtres individuels et sociaux. Ainsi, les représentations sociales sont constituées d’opinions, d’images, de préjugés, d’attitudes, dont les principes organisateurs sont communs à des ensembles d’individus.

Pourquoi étudier les représentations sociales ?

Les représentations sociales constituent des grilles de lecture et d’action, elles permettent de comprendre et d’expliquer la réalité (fonction de savoir), de guider nos comportements vis-à-vis d’un objet inconnu (fonction d’orientation). Les représentations sociales jouent un rôle également dans la définition de l’identité d’un groupe, aidant les sujets à se situer dans la réalité (fonction identitaire) et dans la justification a posteriori de ses comportements ou prises de position (fonction justificatrice)4. Les représentations sociales permettent de comprendre les pratiques, tout comme les pratiques permettent d’entrevoir les représentations sociales : « par ses fonctions d’élaboration d’un sens

4 https://www.canal-u.tv/video/universite_rennes_2_crea_cim/la_theorie_des_representations_sociales.11585

commun, de construction de l’identité sociale, par les attentes et les aspirations qu’elle génère, la représentation sociale est à l’origine des pratiques sociales. Par ses fonctions justificatrices, adaptatrices et de différenciation sociale, elle est dépendante des circonstances extérieures et des pratiques elles-mêmes, elle est modulée ou induite par les pratiques » (Abric, 1994, p.18).

La théorie des représentations sociales offre une approche utile pour étudier comment les changements proposés/potentiels sont interprétés, évalués, en tant menace ou opportunité, et contestés (Devine-Wright, 2009).

Comment étudier ces représentations sociales ?

Comment savoir si un objet peut-être objet de représentation sociale ? Moliner (1993) définit plusieurs critères : • l’existence d’un groupe social donné • un enjeu de l’objet pour le groupe • une dynamique sociale à l’égard de l’objet • l’absence d’orthodoxie, contraire à toute discussion/échange ouvert • des pratiques sociales vis-à-vis de l’objet. Le téléphérique urbain, en tant qu’objet impliquant des impacts sur un territoire habité et objet potentiellement polémique, revêt d’une importance sociétale qui justifie son étude en tant qu’objet de représentation sociale. En effet, l’approche par les représentations sociales permet d’étudier comment le changement apporté sur un territoire par un nouveau projet d’aménagement est interprété par les acteurs, en fonction de leurs valeurs, de ce qui leur est familier, évalué et appréhendé soit comme une menace, soit comme une opportunité, et éventuellement contesté parmi les individus et/ou groupes d’individus, tout en tenant compte de l’inégalité des relations de pouvoir entre les différents acteurs (Devine-Wright, 2009).

Les représentations sont, dans la majorité des travaux, recueillies par des méthodes qualitatives, classiquement, l’entretien, le questionnaire ou les focus groups (Abric 2005 ; Moliner et al., 2002 ; Félonneau, 2003). La méthode d’associations de mots préproposés (Doise et al., 1992) est le plus souvent privilégiée pour identifier les représentations sociales. Cette méthode implique cependant l’impossibilité pour la personne enquêtée de choisir elle-même les dimensions et le vocabulaire qui lui semblent pertinent pour qualifier l’objet en question (Kaufmann, 2000). Devant les faibles connaissances, voire l’inexistence de données concernant les représentations sociales des téléphériques urbains, nous avons fait le choix de ne pas recourir à cette méthode et de privilégier le recours à des questions ouvertes à travers deux outils principaux, à savoir l’entretien semi-directif et le questionnaire, présentés plus bas.