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Une étape dégénérée pour une réaction bien contrôlée

Fonctionnalisation de Liaisons C−H, Chimie Radicalaire et Xanthates

I.3. Concernant les Xanthates

I.3.2. Une étape dégénérée pour une réaction bien contrôlée

I.3.2.1. Addition sur une oléfine non activée par transfert de xanthate.

Les constatations précédentes ont permis le développement d’une nouvelle réaction radicalaire des xanthates, l’addition sur des oléfines non activées par transfert de xanthates, étudiée depuis une trentaine d’années au sein du laboratoire (Schéma I-6).39

Au cours de cette réaction (Schéma I-6, a), une liaison C−C et une liaison C−S sont créées. Le produit de la réaction étant un xanthate également, cela ouvre le champ des applications envisageables comme une autre réaction radicalaire, une réduction, un accès aux thiols et à la chimie du soufre ou encore une élimination, … A la différence de la réaction de Barton- McCombie, le groupement d’intérêt est ici celui porté par le soufre. Celui du côté de l’oxygène

39 Quelques revues : (a) Quiclet-Sire, B.; Zard, S. Z. Pure Appl. Chem. 2010, 83, 519–551. (b) Zard, S. Z. Angew.

Chem. Int. Ed. 1997, 36, 672–685. (c) Quiclet-Sire, B.; Zard, S. Synlett 2016, 27, 680–701. (d) Quiclet-Sire, B.;

27 est généralement un groupement éthyle, substituant que nous utiliserons par la suite. Nous reviendrons plus tard sur les voies de synthèses possibles pour obtenir les xanthates de départ.

Comme pour la désoxygenation de Barton-McCombie, le mécanisme de cette addition présente son lot de subtilités. Une version simplifiée40 est présentée ci-dessous (Schéma I-6, b). Après l’initiation de la chaîne radicalaire, le radical R• peut évoluer selon plusieurs voies.

La première consiste à le faire réagir de nouveau avec un xanthate de départ I.7 pour donner l’intermédiaire I.7a (voie a) et la seconde est l’addition sur une oléfine pour donner l’adduit I.7b (voie b). Dans la réalité, le thiocarbonyle étant beaucoup plus radicophile qu’une double liaison, l’addition sur le thiocarbonyle (voie a) sera privilégiée.

Le radical I.7a est en soit la clef la réactivité exceptionnelle des xanthates. Ce dernier est tertiaire, bien stabilisé par les hétéroatomes environnant (les deux atomes de soufre et d’oxygène), de plus il est trop encombré pour dimériser rapidement et ne peut pas dismuter. La seule évolution possible pour ce radical est de fragmenter pour relibérer le radical R• et le xanthate I.7. La rupture selon la liaison C−O est beaucoup plus difficile que celle d’une liaison C−S,38 et cela produirait un radical primaire (Et) beaucoup trop haut en énergie. Cette étape

(voie a) est donc un équilibre, plus déplacée vers la formation du radical I.7a, qui agit alors comme un réservoir de radicaux, maintenant la concentration des radicaux actifs très faible, diminuant ainsi fortement les réactions secondaires. Cette étape est donc dégénérée et sa compréhension est cruciale pour appréhender la réactivité radicalaire des xanthates.

Ce phénomène va donc favoriser l’addition du radical R•

sur l’oléfine sur la position la moins encombrée, permettant la formation de l’adduit I.7b (voie b). Ce dernier doit être impérativement moins stable que le radical R•, ou alors on observera la formation d’oligomères dans le milieu. C’est le principe de la polymérisation RAFT-MADIX qui utilise les xanthates pour contrôler la polymérisation, une des techniques les plus utilisée en industrie aujourd’hui pour la synthèse de copolymères à blocks.41

Néanmoins pour éviter l’oligomérisation, G doit être un groupement qui stabilise moins les radicaux que ceux portés par R•. En d’autres termes, l’oléfine doit être peu ou non activée. Cette non-stabilisation va faciliter le piégeage par un xanthate I.7, pour donner l’adduit I.7c qui va se comporter comme le radical tertiaire I.7a. Ce dernier aura le choix de fragmenter pour

40 Pour simplifier l’explication, seule la stabilité thermodynamique des radicaux sera considérée. 41 Taton, D.; Bonnet-Gonnet, C.; Zard, S. Z. Handbook of RAFT Polymerization, Wiley-VCH.; 2008.

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redonner le radical I.7b, voie défavorisée car ce dernier n’est pas très stable, ou de fragmenter pour donner le produit désiré I.8 un nouveau radical R• qui va propager la chaîne radicalaire.

Le système s’autorégule alors, ce qui permet de travailler dans des conditions de concentrations élevées et évite d’utiliser des pousse-seringues ou autres artifices permettant de réguler « manuellement » la concentration des radicaux dans le mélange réactionnel.

Schéma I-6 : Schéma général et mécanisme simplifié de l’addition radicalaire sur une oléfine par transfert de xanthates.

Au laboratoire, l’étape d’initiation s’effectue généralement à l’aide de peroxyde de di- lauroyle (I.9) (noté DLP dans ce manuscrit, voir Tableau I-1), un sous-produit de l’industrie du savon, qui permet de générer des radicaux primaires (C11H23•) par décomposition thermique

(Schéma I-7). Après décarboxylation, les radicaux C11H23• vont s’additionner sur le

thiocarbonyle d’un xanthate I.7, pour conduire à l’adduit I.10, qui n’a d’autre choix que de fragmenter pour donner le radical le plus stable, ici R•, et le xanthate de lauroyle I.11.

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Schéma I-7 : Décomposition thermique du DLP et amorçage de la réaction radicalaire des xanthates.

Le DLP se trouve sous la forme d’une poudre blanche et n’a pas besoin d’être stabilisé par des additifs. C’est un peroxyde assez lourd, ce qui assure une pesée précise même sur des réactions à petite échelle. De plus, sa taille lui confère un critère de stabilité très avantageux : il est beaucoup moins explosif que le peroxyde d’acétyle par exemple. Sa manipulation est très aisée et présente peu de risques par rapport à d’autres initiateurs.

Les réactions radicalaires des xanthates ne se limitent néanmoins pas aux additions sur les oléfines non activées. Les additions sur des systèmes aromatiques sont possibles et feront l’objet du paragraphe suivant.

I.3.2.2. Les xanthates comme précurseurs pour des additions sur des

composés hétéroaromatiques

Les additions des radicaux dérivés des xanthates sur des hétéroaromatiques sont possibles et relativement efficaces, comme nous le montrerons tout au long de ce manuscrit. Pour comprendre les subtilités de ce mécanisme, nous devons combiner celui des additions radicalaires des xanthates et celui des additions sur les composés hétéroaromatiques vues précédemment (voir I.2.2.3) (Schéma I-8).

Comme pour l’initiation lors des additions sur les oléfines, le DLP (I.9) se décompose sous l’effet de la chaleur pour créer des radicaux alkyles primaires qui vont s’additionner sur le thiocarbonyle du xanthate I.7 pour donner le radical I.10. Ici, la seule condition de fragmentation est la stabilité du radical R•, il faut qu’il soit plus stable qu’un radical primaire pour ne pas relibérer les radicaux C11H23• issus du DLP.

La fragmentation produit alors le xanthate I.11 et le radical R•. Comme dans le cas des additions sur les oléfines, cette étape est dégénérée et le radical I.10 agit aussi comme un réservoir de radicaux, prolongeant artificiellement la durée de vie du radical actif R•. Entre en compte maintenant l’addition réversible sur l’hétérocycle : la stabilité de R• est encore une fois

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un critère primordial. Si R• est trop stable, l’équilibre entre I.10 et R• sera plus déplacé en faveur de R•, mais l’équilibre entre R• et l’adduit I.12a sera lui aussi plus déplacé en faveur de la formation de R•, ce qui aura pour résultat de favoriser les réactions secondaires et de rendre l’addition sur l’hétéroaromatique moins favorable. A contrario, si R est peu stabilisé, les

radicaux dans le milieu seront majoritairement stockés sous forme de I.10 et l’addition sur l’aromatique pour fournir I.12a sera facilitée. En conséquence, la réaction sera plus éfficace, diminuant aussi les réactions secondaires possibles, au détriment de la sélectivité de l’addition (voir I.2.2.3). Cette paire d’équilibres n’est donc pas anodine et permet un contrôle de la réactivité et de la sélectivité assez important.

Enfin, l’étape d’oxydation formelle est assurée ici par le DLP, ce dernier a donc une double fonction : initiateur radicalaire et oxydant pour la réaromatisation. Il faut donc engager au moins une quantité stœchiométrique pour que la réaction soit efficace. De par sa taille, il est aussi raisonnable de penser que l’oxydation sera relativement douce, permettant facilement d’obtenir le composé I.12b, dans des conditions qui tolèrent nombre de groupement fonctionnels.

Schéma I-8 : Mécanisme général de l’addition d’un xanthate sur un composé hétéroaromatique.

En plus d’être expérimentalement très simple à mettre en œuvre, il existe une multitude d’accès aux xanthates de départ, ainsi qu’une multitude de transformations des xanthates d’arrivée. Ceci qui permet d’avoir un accès rapide et très aisé à une grande variété de composés, de la simple addition sur une oléfine aux composés polycycliques portant des groupements fonctionnels variés.

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