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Additionner un radical sur un composé hétéroaromatique Les additions des radicaux sur les composés aromatiques sont connues depuis plus d’un

Fonctionnalisation de Liaisons C−H, Chimie Radicalaire et Xanthates

I.2. Quelques Principes de Base de la Chimie Radicalaire

I.2.2. Réactions radicalaires

I.2.2.3. Additionner un radical sur un composé hétéroaromatique Les additions des radicaux sur les composés aromatiques sont connues depuis plus d’un

siècle. C’est en 1937 que Hey et Waters ont rationalisé cette réaction en la décrivant comme une substitution homolytique aromatique.18,20 Longtemps laissée pour compte à cause de son imprévisibilité, cette réaction a connu un renouveau dans les années 70 avec le travail de

19 Minisci, qui en plus de proposer une méthode très simple pour additionner des radicaux sur des dérivés hétéroaromatiques, en a étudié les mécanismes et les sélectivités.21

Durant cette thèse, nous nous sommes focalisés sur l’addition de radicaux alkyles sur des composés hétéroaromatiques afin de fonctionnaliser les liaisons C−H de façon intermoléculaire. L’addition sur des composés purement aromatiques, possible bien que beaucoup plus lente et moins éfficace,9b,22 ne sera pas traitée dans ce manuscrit.

D’un point de vue mécanistique, la réaction se déroule en trois étapes (Figure I-12). La première est la formation du radical d’intérêt (a) (à l’instar de l’initiation dans la partie précédente) qui va s’additionner de manière réversible sur l’hétéroaromatique en question (b). A la différence des mécanismes en chaîne, le nouveau radical formé A est très peu réactif car très stabilisé et ne va donc pas ou très peu propager la chaine radicalaire. Formellement, ce qui est observé est une élimination d’un radical hydrogène pour réaromatiser le système, mais nous verrons plus tard que ce processus est un peu plus complexe et fait appel aux réactions de terminaisons présentées plus haut.

Figure I-12 : Mécanisme général d’addition d’un radical sur un composé hétéroaromatique.

Si la formation du radical s’effectue de la même façon que pour les mécanismes en chaînes (I.2.2.2), il est important de s’attarder un peu plus sur l’étape d’addition, beaucoup plus subtile. Tout d’abord l’addition d’un radical sur un hétéroaromatique est réversible. En effet,

21 Sélection de publications : (a) Minisci, F.; Bernardi, R.; Bertini, F.; Galli, R.; Perchinummo, M. Tetrahedron

1971, 27, 3575–3579. (b) Minisci, F.; Mondelli, R.; Gardini, G. P.; Porta, O. Tetrahedron 1972, 28, 2403–2413.

Pour une sélection de revues : (c) Citterio, A.; Minisci, F.; Porta, O.; Sesana, G. J. Am. Chem. Soc. 1977, 99, 7960– 7968. (d) Minisci, F. Synth. Mech. Org. Chem. 1976, 62, 1–48. (e) Minisci, F. Synthesis 1973, 1, 1–24. (f) Minisci, F.; Vismara, E.; Fontana, F. Heterocycles 1989, 28, 489–519. Récemment, une version énantioselective de ces additions a été publié : (g) Proctor, R. S. J.; Davis, H. J.; Phipps, R. J. Science 2018., DOI : 10.1126/science.aar6376

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l’addition entraîne la rupture de l’aromaticité du système, alors que la fragmentation inverse la restaurera. De plus, il est aisé de concevoir que plus le radical R• est stabilisé, plus l’équilibre sera déplacé vers les réactifs et vice-versa. Ensuite, la cinétique d’addition dépend grandement de la polarité du radical et du substrat (Figure I-13).

L’analyse de ce diagramme révèle plusieurs choses. Pour un radical à caractère nucléophile (R1•), la meilleure interaction se fera avec la LUMO d’un hétérocycle pauvre en

électrons (A). Cependant une interaction avec la HOMO d’un hétérocycle riche en électrons (D) n’est pas impossible, bien que moins favorable à cause de la différence d’énergie ΔE1.

L’addition d’un radical à caractère nucléophile sera sans doute plus rapide (et plus efficace) sur un composé hétéroaromatique appauvri en électrons que sur un dérivé hétéroaromatique enrichi. Il en est de même pour un radical qui présente un caractère électrophile (R2•), son

addition sera plus aisée sur un composé hétéroaromatique riche en électrons que pauvre en électrons.23

Figure I-13 : Diagramme énergétique des interactions entre un radical à caractère nucléophile (R1•), à caractère électrophile

(R2•) et un dérivé hétéroaromatique riche en électrons (D) ou pauvre en électrons (A). Les niveaux d’énergie ont été dessinés

arbitrairement.

Un point important de ces transformations réside dans les sélectivités de ces réactions. En effet, suivant le radical mis en jeu et le substrat, différents isomères de positions peuvent être

23 L’interaction entre la SOMO de R

1• et la HOMO de l’hétéroaromatique riche en électron est une interaction de

type électrophile (interaction SOMO↔HOMO à trois électrons). Dans ce cas, R1• possède un caractère

électrophile, ce qui va à l’encontre de ce qui a été dit précédemment. Appeler un radical nucléophile ou électrophile est en fait un raccourci, la philicité d’un radical dépends en toute rigueur de la nature du substrat avec lequel il réagit.

21 obtenus. Pour comprendre ces sélectivités, nous devons étudier les orbitales frontières du substrat en première approximation. Ici, l’exemple choisi est la 4-methylpyridine, neutre (I.4a) ou protonée (I.4b), (Figure I-14).

Une vision simpliste du système consisterait à dire que l’étude du développement des orbitales sur les positions d’attaques devrait donner une idée de la sélectivité de la réaction, la position, où l’orbitale est la plus développée étant probablement celle qui sera la plus substituée, le recouvrement étant dans ce cas maximum. Bien que certains résultats corroborent cette théorie,24 il ne faut pas négliger le caractère réversible de la réaction d’addition. Prenons le cas de l’addition d’un radical à caractère plutôt nucléophile sur le pyridinium I.4b, l’addition devrait se faire préférentiellement sur la position 2, où la LUMO est la plus développée (interaction « nucléophile » SOMO↔LUMO, voir Figure I-13). En effet, il a été montré que le radical tert-butyle s’additionnait à 68% sur la position 2 et 32% sur la position 3.9b,25

Cependant, si l’on considère le radical éthyle, il n’y a presque plus de sélectivité et un mélange 56:44 (position 2 : position 3) est obtenu. L’attaque des radicaux sur un aromatique s’effectue sur toutes les positions, la sélectivité est en fait due à l’équilibre d’addition (Figure I-12). En effet, le radical adduit A refragmente plus ou moins selon la stabilité du radical de départ R• et le système s’équilibre de lui-même pour favoriser l’attaque sur la position où l’orbitale en question est la plus développée. Le radical éthyle a certes un caractère nucléophile moins prononcé, mais il est surtout beaucoup moins stable par rapport au tert-butyle (voir Figure I-3). L’addition sur l’aromatique est moins réversible, un mélange d’isomères est obtenu, la réaction est finalement moins sélective.

Figure I-14 : Structure et énergies des orbitales frontières des 4-methylpyridines neutre (I.4a) ou protonée (I.4b), calculées

avec la base STO-3G9b.

24 (a) Minisci, F.; Vismara, E.; Fontana, F.; Morini, G.; Serravalle, M.; Giordano, C. J. Org. Chem. 1986, 51,

4411–4416. (b) Smith, D. M. Rodd’s chemistry of carbon compounds, Elsevier.; Coffey, S., Ed.; Manchester,

1976.

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Raisonner uniquement avec les orbitales est en soi un raccourci. Bien que cela permet d’expliquer la plupart des sélectivités, il faut bien garder à l’esprit que le processus est beaucoup plus compliqué et dépend de nombreux facteurs, comme nous le reverrons au travers de ce manuscrit.

Comme nous l’avons présenté, l’étape suivante est la réaromatisation du système. Le radical adduit perd formellement un radical hydrogène pour reformer son aromaticité. C’est la force motrice de la réaction. En réalité, cette étape est un peu plus subtile. A l’instar des réactions en chaîne, trois cas de figures sont envisageables : une dimérisation, une dismutation et une réaction d’oxydoréduction (Figure I-15). Dans le cas de la dimérisation (a), un dimère non aromatique est obtenu, mais, en présence d’un oxydant (oxygène, peroxydes, …), il se décompose facilement pour redonner deux composés aromatiques par l’intermédiaire d’une réaction de type Von Auwers.26 Cette dimérisation a été observée par notre groupe en 2012, lors d’une cyclisation radicalaire sur une pyridine par la chimie des xanthates.27 Une

dismutation (b) est aussi envisageable et donne un composé aromatisé et un composé réduit qui peut se réoxyder très facilement et ainsi redonner le composé aromatique désiré. Enfin, l’oxydation du radical adduit permet d’obtenir l’intermédiaire de Wheland B correspondant, et par élimination d’un proton, le composé retrouve son aromaticité (c).28,29

26 (a) Auwers, K. V.; Jülicher, W. Ber. der Dtsch. Chem. Ges. 1922, 55, 2167–2191. Pour un exemple de ce genre

d’oxydation appliqué en synthèse, voir : Louërat, F.; Fort, Y.; Mamane, V. Tetrahedron Lett. 2009, 50, 5716– 5718.

27 Petit, L.; Botez, I.; Tizot, A.; Zard, S. Z. Tetrahedron Lett. 2012, 53, 3220–3224. 28 Wheland, G. W. J. Am. Chem. Soc. 1942, 64, 900–908.

29 En toute rigueur il faudrait aussi mentionner la réduction du composé. Si des groupements partants se trouvent

sur l’aromatique (CN, NO2, …) ils seront alors éliminés pour réaromatiser le système. Or dans notre cas, cela

impliquerait une élimination d’hydrure, en passant par l’intermédiaire de Meisenheimer, qui est assez difficile à imaginer.

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Figure I-15 : Etape de réaromatisation : une dimérisation (a), une dismutation (b), une oxydation (c).

Il est difficile de discriminer les réactions de terminaison dans ce cas. Elles interviennent sans doute en même temps, à des proportions différentes. Il est important de noter que les réactions (a) et (b) font intervenir deux radicaux, or généralement ces réactions sont très limitées à cause notamment de la concentration des espèces radicalaires dans le milieu. Ces réactions de terminaison concerneront donc les radicaux adduits présents en plus grand nombre dans le milieu. Cela influence aussi la sélectivité de la réaction : le système s’équilibre pour donner le radical adduit le plus stable, qui réagira à son tour, dès que sa concentration sera suffisante. Ainsi, la sélectivité est aussi déterminée par l’étape de terminaison de la réaction. Par exemple, si l’oxydation est « très rapide », le système n’aura pas le temps de s’équilibrer et un mélange d’isomères sera obtenu. En revanche, un oxydant plus « lent » permettra de laisser l’équilibre d’addition se mettre en place, la réaction sera plus sélective.

Le point commun de ces étapes est l’intervention d’un oxydant afin de réaromatiser le système. Il est donc nécessaire d’introduire dans le milieu une quantité stœchiométrique d’oxydant, qui sert en général aussi bien à l’initiation qu’à la réaromatisation du système.

Par la suite, dans ce manuscrit, nous feront référence à l’ensemble de ces étapes de terminaison par le terme « oxydation »

Pour conclure sur cette partie, nous avons vu qu’un bon nombre de facteurs rentrent en compte lors des additions de radicaux sur des dérivés hétéroaromatiques. La stabilité et la philicité des radicaux, les orbitales frontières ou encore la réaromatisation ont un poids

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considérable sur la sélectivité mais surtout sur l’efficacité (voire la faisabilité) de la réaction. De plus, l’équipe de Baran, dans la continuité de Minisci, a rapporté récemment que d’autres conditions pouvaient aussi influencer grandement la réaction, comme le solvant, le pH, la température,…30 Prédire la sélectivité de cette réaction n’est donc pas chose facile, bien que

pour la plupart du temps, considérer que l’addition se fera sur la position qui donnera le radical adduit le plus stabilisé permet de rationaliser cette réaction.

Les recherches du laboratoire concernant la chimie radicalaire sont axées sur la chimie des xanthates. Avant de continuer ce manuscrit, il apparait donc nécessaire de présenter la réactivité exceptionnelle des xanthates en conditions radicalaires.