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Chapitre 4: Impact de la visite de l’empereur

4.2. La stratégie de Manuel II Paléologue

4.2.2. Renouvellement de l’idéologie impériale

4.2.2.1. Un souverain européen

Sous le règne de Manuel, on assiste à une continuité de l’ouverture de la fonction impériale au reste du monde. Le basileus des débuts de l’Empire est un personnage effrayant, il est l’égal des apôtres, un être spirituel qui navigue dans le monde du divin65.

L’ère des Paléologues voit le cérémonial se simplifier et emprunter aux cultures limitrophes66. Cecily J. Hilsdale relève deux situations types pour démontrer la

différence des époques67. Lorsqu’il rencontre l’empereur Constantin VII

Porphyrogénète, au Xième siècle, Liudprand de Crémone est confronté à un scénario

63 Florin Léonte, Op. cit., p.8.

64 Cette recherche ne prétend pas pleinement saisir l’univers théorique de la rénovation entreprise par Manuel ou la continuation du projet sous ses successeurs. Une telle entreprise mérite une étude beaucoup plus ambitieuse et doit se fonder sur un autre corpus de sources. Le sujet est abordé ici sous l’angle de la manifestation de l’empereur et de l’empire à l’étranger, à l’occasion du voyage, en continuité à la politique dynastique et de l’arrière-plan de la « Renaissance paléologuienne ».

65 Michael McCormick, « Emperor », The Oxford Dictionary of Byzantium, vol. 1, p.692-693; Georgije Ostrogorski, « The Byzantine Emperor and the Hierarchical World Order », Op. cit., p.1-14.

66 Ihor Ševčenko, « The Decline of Byzantium Seen Through the Eyes of Its Intellectuals », Op. cit., p.183.

préparé pour lui. Se relevant de la proskynèsis68 après avoir vu des lions mécaniques

rugir et le trône impérial s’élever, l’empereur ne daigne converser avec lui que de loin et par le truchement d’un ministre69. La situation contraste d’avec celle relevée par le récit

d’Ibn Battûta à la cour d’Andronic III. Le voyageur maghrébin rencontre le basileus qui initie la conversation, avant qu’il ne le salue, en le priant de prendre siège, sans artifice; l’empereur discute avec son invité par l’entremise d’un traducteur, mais sans intermédiaire ministériel et sans grande distance physique70. Symboliquement, même la

simple invitation à prendre siège détonne du strict héritage du passé71. Même si les

changements ont beaucoup à voir avec la dégringolade de la fortune de l’État, l’évolution à l’avantage de fonctionner selon le concept de remise à niveau énoncé par la « Renaissance paléologuienne ». De plus, le déclin ne peut pas être le seul facteur, car la situation sous Andronic III n’est pas encore celle de ces successeurs; Byzance possède encore des territoires asiatiques, les Turcs ne sont pas encore en Europe et l’Empire n’est pas encore complètement appauvri. Sous les Paléologues, la mise en scène et la théâtralité font finalement place à une plus grande honnêteté et à une certaine transparence. Les automates et le subterfuge sont remplacés par la piété et la valeur morale.

68 La proskynèsis (ἡ προσκύνησις, εως) est un acte de révérence accordé à une figure d’autorité. Le terme regroupe plus sieurs pratiques passant de la génuflexion à la prostration complète. Dans le cas de la réception d’un délégué ou ambassadeur comme Liudprand de Crémone, à l’époque de Constantin VII, la proskynèsis se réfère à une série de prostrations faites sur une suite de disques de porphyre menant jusqu'à l’empereur. Michael McCormick, « Proskynesis », The Oxford Dictionary of Byzantium, vol. 3, p.1738-1739.

69 Cecily J. Hilsdale, Byzantine Art and Diplomacy in an Age of Decline, p.200.

70 Rappelons-nous que c'est également aux réformes de la cour sous Andronic III que l’on voit l’autorisation de port de chapeaux étrangers auprès de l’empereur. Ihor Ševčenko, « The Decline of Byzantium Seen Through the Eyes of Its Intellectuals », Op. cit., p.183.

71 Traditionnellement, invités et ministres se tiennent debout alors que l’empereur siège sur son trône. L’autorisation à s'asseoir est alors un insigne honneur. Georgije Ostrogorski, « The Byzantine Emperor and the Hierarchical World Order », p.12-13.

Dans le cas particulier de Manuel, c’est un empereur théologien, un roi philosophe, un homme de bonne mine et de corps solide qui se présente aux cours d’Europe72. Il est conscient des nouveaux défis auxquels l’Empire est confronté et sait

que certaines bases théoriques de l’application de la basileia doivent s’adapter73. Il se

déplace par contrainte, mais loin d’avoir à se soumettre à la monarchie ou à l’Église occidentale, il entretient une relation franche avec les rois. Bien qu’il soit, dans la pratique et comme le souligne Hilsdale, un souverain adressant une supplique74, il n’est

pourtant pas un simple mendiant. Il est reçu avec grand honneur en tant qu’empereur, ce que toutes les sources soulignent. Il ne faut donc pas généraliser le caractère honteux du voyage impérial. Alors que tous les déplacements de Jean V se plaçaient en relation avec la question de l’Union ou de la soumission personnelle à la papauté, il n’y a pas de concept de soumission ou de compromis dans les relations de Manuel avec l’Occident. Ainsi, toute honte possiblement présente sous son père n’est pas applicable au fils. Le rapport de pouvoir existant entre l’empereur et les rois est évident dans les sources. Cette visite n’est pas un honneur pour l’empereur byzantin, mais elle apporte un grand prestige à Charles VI et Henri IV qui reconnaissent ainsi la supériorité hierarchique de l’empereur. Il n’y a pas d’honneur à recevoir un inférieur, et il est très peu notable d’accueillir un pair.

Si le titre impérial est théoriquement supérieur à la couronne royale, Manuel est tout de même un invité soumis aux règles de l’hospitalité. L’hôte ne peut pas recevoir au-delà de ses capacités pratiques et l’invité ne peut que rendre la pareille à son

72 Charalambos J. Dendrinos, « Historical Introduction: the Author », An annotated critical edition (editio

princeps) of Emperor Manuel II Palaeologus' treatise On the Procession of the Holy Spirit, p.iii.

73 Florin Léonte, Op. cit., p.72-75.

bienfaiteur75. C’est dans cette conception qu’au moment de son voyage, Manuel est

toujours l’Empereur, mais il est également et pleinement un souverain européen, comparable aux autres rois et reçu par eux. Sa tournée des cours latines se place en continuité avec l’ouverture de sa dynastie et avec l’ordre nouveau préconisé par la « Renaissance paléologuienne ».