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Les raisons du voyage dans les sources byzantines

Chapitre 2: Objectifs de l’entreprise de Manuel II Paléologue

2.1. Circonstances et objectifs dans les sources

2.1.2. Les raisons du voyage dans les sources byzantines

Le témoignage des sources orientales renseigne sur les différentes façons de percevoir le départ de l’empereur dans le monde byzantin. La pertinence d’un point de vue autre que celui de Manuel II, en ce qui concerne les visées de sa visite des rois latins, est évidente. Par contre, bien que les sources byzantines ne cachent pas la visite de Manuel II Paléologue en Occident, elles n’énoncent généralement pas les intentions de ce dernier. De plus, lorsque les chroniqueurs traitent du déplacement, ils ne sont pas unanimes dans ce qu’ils en retiennent. Il existe donc plusieurs perceptions du voyage à Byzance.

13 George T. Dennis, The Letters of Manuel II Palaeologus. Text, translation and notes by George T.

Des trois principaux chroniqueurs byzantins, Georgios Sphrantzes est le seul qui n’aborde pas la mission elle-même14. Puisque sa chronique débute avec le retour de

l’empereur, il n’a pas l’occasion de relever les objectifs de l’entreprise qui se termine. Les deux autres historiens principaux, bien qu’écrivant également après les évènements, amorcent leurs chronologies à une date permettant la narration des circonstances du voyage. Par contre, ils ne s’entendent pas sur les raisons du déplacement de Manuel Paléologue.

Selon Laonikos Chalkokondyles, l’empereur fait voile vers l’Europe pour demander secours contre les Turcs assiégeant Constantinople15. Il relève que cette

entreprise de l’empereur n’est possible que par l’arrivée de Jean VII dans la ville. Jusqu’alors utilisé par Bajazet pour susciter la dissension parmi les assiégés, le neveu de Manuel réussit à fuir la cour du sultan. Reconnaissant enfin la nature factice des promesses promulguées par Bajazet à son égard, ce rival d’autrefois se rallie à Manuel II pour l’aider à défendre la ville contre les Ottomans. Chalkokondyles explique que Manuel lui accorde l’intendance de la ville avant de partir chercher de l’aide personnellement. Le chroniqueur relate ensuite l’itinéraire de l’empereur expliquant qu’il encourage les cours occidentales à ne pas abandonner Constantinople et à porter assistance à l’Empire byzantin. Selon cette source, il est évident que le voyage de Manuel est une mission diplomatique et que Jean VII se réconcilie avec son oncle bénévolement.

14 Georgios Sphrantzes, The Fall of the Byzantine Empire, p. 21.

15 Laonikos Chalkokondyles, L’histoire de la décadence de l’Empire grec, et établissement de celui des

Turcs; comprise en dix livres, par Nicolas Chalcondyle Athénien. De la traduction de Blaise de Vigenère, Paris, Nicolas Chesneau (imp.), 1577, p. 110-111.

L’explication de Doukas diffère de celle qu’il est possible de dégager des écrits de l’empereur ou de Laonikos Chalkokondyles16. Selon lui, le déplacement de Manuel II

en Occident n’est pas tout à fait volontaire et il n’y a pas pleine réconciliation avec son neveu. Dans la version de ce chroniqueur, l’empereur est victime d’un complot unissant le prétendant rival au trône et le sultan. Tout comme Chalkokondyles, Doukas raconte que Bajazet se sert de la prétention de Jean VII pour revendiquer de trône de Constantinople et affaiblir les défenseurs en créant de la dissension à l’intérieur de la ville17. Suivant le récit de Doukas, cette manoeuvre fonctionne; la population se

montrant de plus en plus insatisfaite de l’administration de Manuel, le peuple l’accuse de tyrannie. Voyant la colère de la population à son égard, l’empereur fléchit. Il accepte de céder la ville à son neveu, en échange de la possibilité de quitter Constantinople avec sa famille. Lorsque Jean VII entre se faire couronner, il permet la nomination d’un juge islamique pour gérer les disputes entre Byzantins et musulmans, et cède la Sélymbrie au sultan. Manuel découvre alors que son neveu est un pion de Bajazet et décide de fuir l’empire pour sauver sa vie18. Quittant pour l’Occident, l’empereur est bien reçu par les

cours d’Europe où il est traité « comme un demi-dieu »19. Par la suite, il retourne en

territoire vénitien pour attendre le cours des évènements auprès de sa famille, à Modon. Lorsque Bajazet est défait à Ankara, Doukas explique que Manuel revient

16 Doukas, Decline and fall of Byzantium to the Ottoman Turks (Historia Byzantina), p. 85-87, 100. 17 Le chroniqueur identifie deux factions supportant la légitimité de Jean VII au détriment de Manuel II.

L’une encourage les Byzantins à déserter la ville pour rejoindre les Turcs et le prétendant, et l’autre prône l’admission de l’empereur rival à l’intérieur de la cité. Ibid.

18 Doukas affirme que Manuel conseille à son neveu d’en faire autant après avoir découvert l’entente entre Jean VII et Bajazet: ὁ Μανουὴλ „τò σῶζον σώζου καὶ μὴ μελέτω σοι περì βασιλεíας”. Doukas, Michaelis

ducae nepotis. Historia byzantina, Bonn, Corpus Scriptorum Historiae Byzantinae 20, 1834, p. 55-56.

19 καὶ πὰντες οἱ ῥηγάδες καὶ δοῦκαι καὶ κόντιδες ἐτίμων αὐτòν καὶ ὡς ἡμίθεον δώροις ἠμείβοντο. Doukas,

immédiatement à Constantinople et exile son neveu à Lemnos20. Selon cette chronique,

il est évident que le voyage de Manuel est une fuite issue de la pression populaire et que son but est de mettre l’empereur hors de la portée du sultan.

Une autre source, un témoignage anonyme de l’époque, identifie également le but du voyage21. Selon cet auteur dont le nom est aujourd’hui perdu, Manuel II

entreprend son voyage lorsqu’il constate, durant le siège de Constantinople par Bajazet, qu’aucun secours ne vient d’Orient ou d’Occident. Il cherche d’abord un « secours pour la ville » en Italie et, par la suite, vogue vers les Gaules pour « s’entret[enir] d’une alliance avec les princes de ces pays »22. Le récit s’intéresse davantage à l’intervention

divine dans la libération de la ville et ne traite pas plus des tractations impériales ou du retour de Manuel. Par contre, la situation interne de la Constantinople assiégée est décrite et il est clair que ce document souligne la nature diplomatique du voyage de l’empereur.

Ainsi, même si les sources byzantines ne traitent que peu du voyage lui-même, elles nous informent davantage du contexte sociopolitique de l’Empire menant au départ de l’empereur. Malgré la proximité temporelle de ces auteurs en fonction des évènements et contrairement à la production personnelle de Manuel II, le regard byzantin n’est pas unanime dans sa perception de la situation. Avant d’identifier les objectifs de la mission, l’historien doit vérifier si cette dichotomie existe dans la dernière catégorie de sources.