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Chapitre 3: Aboutissements et conclusion de la mission impériale

3.2. La vacuité des promesses

3.2.1. Volonté occidentale

3.2.1.2. Communications royales

Pour qu’une promesse soit illusoire, il faut qu’elle ne se combine pas aux intentions ou aux actions. Pourtant, en ce qui concerne les attentes de Manuel et les engagements des cours européennes, il semble qu’il y ait plus que de simples paroles. Même si une armée occidentale ne libère finalement pas Constantinople, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’entreprise militaire planifiée ou organisée. Dans un premier temps, à l’inverse de ce qu’on peut penser, les sources ne cessent de mentionner l’organisation d’une telle entreprise. Dans un deuxième temps, contrairement à ce que l’historiographie a retenu, il n’y a rien qui laisse croire que l’entreprise a été abandonnée durant le déroulement de la mission de Manuel.

Dans ses lettres, l’empereur traite toujours de l’armée à venir. Même la dernière lettre, utilisée traditionnellement pour démontrer le désespoir du basileus, mentionne cette entreprise et la présente comme imminente. Comme il a été étayé précédemment, cette lettre peut facilement être datée de 1402, moment où des thématiques similaires se retrouvent dans la correspondance de Venise avec l’empereur. Les lettres précédentes de Manuel nous informent plus au sujet de cette armée. Bien que sa composition et le nombre de combattants semblent changer, l’organisation semble toujours réelle. Après avoir énoncé ses doutes quant au respect des délais, Manuel affirme la préparation

militaire de plusieurs pays32. Selon cette lettre, suivant la datation de George T. Dennis,

les préparatifs débutent en 1401 et les chefs de l’expédition sont choisis à ce moment. Il est vrai que l’on peut douter de la véracité de ce témoignage de l’empereur, possiblement retouchée à des fins littéraires ou artistiques. Par contre, d’autres sources confirment l’information. Par exemple, la correspondance franco-aragonaise existe toujours pour témoigner des discussions entre Charles VI et Martin Ier. Selon l’inventaire

des lettres des rois d’Aragon à la cour de France dressé par Jeanne Vielliard et Léon Mirot, les rois de France et d’Aragon s’étaient entendus sur un plan pour porter secours à Constantinople à la fin de l’été 140133. La chancellerie royale de ces deux États

confirme l’existence de réelles discussions et de planification, comme quoi il y a une véritable intention d’agir. La correspondance diplomatique étendue de l’empereur laisse entrevoir un plan multinational34. Dans les régestes, Venise réitère sa volonté d’offrir de

l’aide supplémentaire si les Génois et les Français entreprennent une action. Ceci, combiné à la tutelle française de Gênes sous le maréchal « pro-byzantin » Boucicaut, fait ressortir la bonne volonté française. De plus, il ne faut pas oublier que la Hongrie s’était

32 Ἐγὼ τὴν σωτηρίαν ὑμῖν εἰδὼς πραγμάτων δεομένην οὐχ ὑποσχέσεων, ἔχων μὲν ἐπαγγελίας πάνυ χρηστάς, δεδιὼς δὲ μάλα τὴν ἔκβασιν ἅτε χρόνου δεομένην πολλὰ τίκτοντος, γράμμασιν ἑτέρας χειρὸς τὰ καθ' ἡμᾶς διεγνώριζον. ἄρτι δὲ τῶν ἀνὰ χεῖρας ἡμῖν πραγμάτων κατὰ νοῦν προκεχωρηκότον, καὶ τῶν ἁπανταχοῦ σταλέντων πρέσβεων ἠνυκότων ἅπερ εὐχομεθα, ἐνταῦθα δὲ τοῦ στρατηγοῦ - ὁ μαρισκάλκος οὗτος ἐστιν - χάριν ἐμὴν ἀνηγορευμένου πρὸ πολλῶν ἐψηφισμένων τῶν τῷ ῥηγὶ προσηκόντων, καὶ ἐπὶ τοῖς ἔργοις ὄντος, καὶ μηδενὸς ἐλλείποντος ἤδη ἢ τοῦ τὰς δυνάμεις τὰς ὑπὲρ ἡμῶν ἑτοιμαζομένας παρ' οὐκ ὀλίγων δυναστῶν ἀθροισθῆναι ἐν ᾧ προστέτακται ταύταις χώπῳ, τὸν δὲ μισθὸν διανεῖμαι τοῖς ἐνταυθοῖ στρατιώταις, μάλα ῥᾷστον, ἔχουσι τὰ χρήματα ἐν χεροῖν, ἄλλως τε καὶ ὅταν ᾖ τὸ τὸν μισθὸν ληψόμενον οὕτω πρόθυμον, ὥστε καὶ προσδοῦναι μισθόν, εἴ τις ὅπλων ἀφορμὰς δικαίας τούτοις παράσχοιτο.

Manuel II Paléologue, « Lettre 41 », The Letters of Manuel II Palaeologus, p.108-109.

33 Malheureusement, cette entreprise jointe n'a pas lieu, car l’Aragon ne peut préparer ses navires à temps pour l’intervention de la France à l’automne 1401. Par contre, comme il sera mentionné un peu plus loin, ceci n'enlève rien aux discussions. Léon Mirot et Jeanne Vielliard, «Inventaire des lettres des rois d’Aragon à Charles VI et à la cour de France, conservées aux Archives de la Couronne d’Aragon à Barcelone», Bibliothèque de l’école des chartes, 1942, tome 103. p. 138.

34 Stavroula Andriopoulou, Diplomatic Communication Between Byzantium and the West Under the Late

également prononcée en faveur d’une participation éventuelle à une nouvelle croisade35.

Ainsi, il apparaît évident qu’un réseau complexe de volonté et de conditions était attaché aux demandes de l’empereur36.

S’il est vrai que les discussions internationales concernant l’aide pour l’empereur de Byzance existaient, il est également vrai que l’armée prévue ne se matérialise pas. Peut-on alors parler d’une entreprise abandonnée? George T. Dennis fait remarquer que la mention de Boucicaut comme chef d’expédition dans une lettre enthousiaste de Manuel signifie qu’il n’était pas encore nommé gouverneur de Gênes au moment de la rédaction37. Il affirme que la nomination subséquente du maréchal comme gouverneur

de ce nouveau territoire français a dû atterrer l’empereur et faire naître le désespoir quant à la réalité d’une entreprise. Cette lecture de l’histoire n’est pas la seule possible. N’est-il pas plus probable que l’octroi de la gouvernance de Gênes à un illustre maréchal de France ait supposé une pause temporaire dans les rivalités avec Venise et une alliance possible des deux républiques sous le patronage français? Barker affirme que:

[t]he actual collapse, for all intents and purposes, of the projected expedition is further suggested by the appointment of Boucicaut, instead, as the French governor of newly subject Genoa, in which capacity he entered that city on October 31, 140138.

Cette interprétation avance que la nomination de Boucicaut à Gênes sonne le glas de l’expédition. Pourtant, cette nouvelle capacité du maréchal n’empêche en rien sa

35 John W. Barker, Op. cit., p. 134-138.

36 Ainsi, la difficulté de coordination plus que la mauvaise foi entrave les plans militaires.

37 « This letter was propably written in the spring or summer of 1401 when Manuel was still optimistic about obtaining aid. [...] Yet, for a number of reasons, not all of them clear, the aid did not materialize, and the troops did not assemble[...] most disappointing of all, in September or October Boucicaut was named governor of Genoa, entering the city on 31 October ». George T. Dennis, The Letters of

Manuel... Op. cit., p.110 n.1

capacité à sortir de la ville ou d’entreprendre des missions sur le terrain39. Un peu plus

tard, toujours lors de sa gouvernance, Boucicaut est envoyé aussi loin que Chypre et Rhodes. Il est évident que le gouverneur de Gênes peut toujours agir en tant que commandant d’armée. De plus, les régestes du sénat de Venise mentionnent que Charles VI de France est toujours décidé à une intervention à Byzance à une date aussi tardive que le 6 juillet 140240. Il ne semble pas y avoir d’abandon de la mission par les

Français. Pareillement, lorsque le roi d’Aragon explique qu’il ne peut préparer ses navires à temps à l’automne 1401, ceci sous-entend la possibilité de se conformer aux délais pour l’année suivante. Est-ce donc un hasard que le nouveau poste de Boucicaut coïncide avec ce report de l’entreprise militaire? L’entretien continu de Manuel II aux frais du royaume de France laisse supposer plus qu’un projet abandonné ou oublié. Selon Barker, la clause « lorsque les autres sont prêts », ajoutée à de nombreuses promesses d’aide, a son rôle à jouer dans l’absence d’intervention41. Ceci ne signifie

pourtant pas la vacuité des engagements, mais plutôt leur conditionnalité. Ainsi, il est impossible d’affirmer que l’entreprise de 1401 n’était simplement pas remise à l’automne 1402.