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Intentions du voyage dans les lettres de Manuel II Paléologue

Chapitre 2: Objectifs de l’entreprise de Manuel II Paléologue

2.1. Circonstances et objectifs dans les sources

2.1.1. Intentions du voyage dans les lettres de Manuel II Paléologue

Au sein de la production de l’empereur qui nous est parvenue, six lettres proviennent de son séjour en Occident. Deux d’entre-elles s’adressent à Manuel Chrysoloras, deux au prêtre Euthymios, une à Démétrios Chrysoloras et une à Manuel Pothos. L’étude prosopographique de George T. Dennis associe ces quatre personnages à l’élite érudite constantinopolitaine, quoique Pothos soit un partisan anti-Latin3. Le

témoignage personnel de Manuel II est évidemment nécessaire pour une étude conséquente de l’évènement, mais ses lettres possèdent des particularités qu’il faut

considérer. Comme il a été dit précédemment, la lettre byzantine de la période des Paléologues est davantage une production artistique qu’un moyen efficace de communication. Elle vise à être intentionnellement ambiguë et sert de véhicule à la flexibilité littéraire. La missive s’adresse non seulement à son destinataire, mais également aux cercles érudits. Dès l’époque, l’auteur sait qu’elle a le potentiel intrinsèque de servir pour la postérité en tant qu’exemple ou exercice de la littérature. De plus, elle n’est pas nécessairement fidèle à l’original. On sait qu’elle subit correction et altération de la part de l’auteur jusqu’au moment où les lettres sont colligées. En tant que rédaction littéraire et artistique, elle est organique et malléable. Ceci ne signifie pourtant pas que la source perd de sa valeur. Il est certain qu’il ne s’agit plus d’une capture immédiate de l’opinion d’un moment4. Par contre, ces lettres nous informent de la vision

que l’auteur souhaitait transmettre de l’évènement. Elle n’est ni fondamentalement trompeuse ni garante de vérité, mais témoigne fortement d’intention. Suivant cette idée, ces lettres, nous informent de ce que l’empereur voulût que ces contemporains et que la postérité retiennent de son entreprise.

Manuel II n’énonce pas une liste de ses propres attentes quant à son déplacement, mais mentionne le sujet de ses discussions, la nature des tractations en cours et les attentes de ses correspondants. Dans la première lettre datant du séjour en Occident, l’empereur renseigne brièvement Manuel Chrysoloras au sujet du déroulement de son voyage jusqu’en France5. Il est notable que Manuel II y relève la bienveillance du

4 Même excluant les retouches ultérieures, peu de sources sont réellement libres d’une mesure de subjectivité.

5 George T. Dennis date cette lettre à l’été de 1400. L’empereur vient de traverser l’Italie où il a visité différents princes et laissé Manuel Chrysoloras en tant qu'ambassadeur. Il n'y a donc pas de nécessité de raconter les évènements du trajet en péninsule italienne, car le destinataire les connait déjà. Manuel II Paléologue, « Lettre 37 », The Letters of Manuel II Palaeologus. p. 98-101.

roi Charles VI et le « zèle pour la foi » des nobles français6. L’empereur conclut sur son

espoir d’un retour rapide en sa patrie, fait pour lequel Chrysoloras prie et que leurs ennemis redoutent.

La deuxième lettre s’adresse également à Manuel Chrysoloras, mais traite du début du séjour de Manuel Paléologue dans les îles britanniques7. L’empereur y

mentionne les attentes de Chrysoloras en ce qui concerne « une armée ou autre forme d’aide dans lequel repose le salut de [la] cité8 ». Suite à une énumération des merveilles

de la cour anglaise, il y est question des promesses du roi Henri IV en ce qui concerne une aide militaire9.

Dans les deux lettres suivantes, Manuel II Paléologue explique au prêtre Euthymios que les négociations stagnent au stage de promesses favorables, mais que les préparatifs d’une coalition de plusieurs rois sont en cours10.

La cinquième lettre de Manuel Paléologue est envoyée à Démétrios Chrysoloras, toujours à Constantinople11. L’empereur y explique qu’il est conscient que le salut des

6 ζῆλον περὶ τὴν πίστιν

7 George T. Dennis date cette lettre au mois de janvier ou février 1401, moment où Manuel Paléologue visite la cour d’Henri IV. Manuel II Paléologue, « Lettre 38 », The Letters of Manuel II Palaeologus. p. 100-104.

8 C'est-à-dire Constantinople.

9 Il y est aussi sujet de largesses déjà obtenues, ce qui concorde avec les premiers subsides mentionnés dans d’autres sources. Celles-ci seront abordées plus loin.

10 George T. Dennis date ces deux lettres du printemps ou de l’été 1401, moment où Manuel est toujours un invité de Charles VI à Paris et qu'Euthymios patiente à Constantinople. La première lettre traite des sujets politiques alors que la seconde ne discute que de sujets pieux ou artistiques. Manuel II Paléologue, « Lettre 39 » et« Lettre 40 », The Letters of Manuel II Palaeologus, p. 104-107.

11 George T. Dennis situe cette lettre à l’été 1401, car il sous-entend que le ton positif de l’empereur exclu la possibilité de son écriture après quelques évènements de cette année. En effet, le roi Martin d’Aragon notifie l’empereur de l’impossibilité de préparer ses navires en août, on assiste au déplacement des troupes anglaises en pays de Galles et Charles VI nomme le maréchal Boucicaut à la gouvernance de Gênes, nouvellement sous contrôle français. Dennis y voit autant de raison pour le désespoir de Manuel et pour la vacuité des promesses obtenues. Pourtant, dans cette lettre, l’empereur énonce que ses doutes concernant les promesses ne proviennent pas de leur nature irréaliste, mais de l’étendue de temps requis pour y répondre et la quantité d’incidents possibles durant cette période. À elle seule, cette lettre ne

gens de la ville repose sur des actes et non sur des promesses. Il affirme le succès des ambassadeurs dans ce qu’ils avaient entrepris et la nomination du maréchal Boucicaut comme commandant de l’expédition à venir. Selon cette lettre, il ne reste qu’à réunir toutes les troupes accordées par plusieurs souverains en un seul endroit.

La sixième lettre de l’empereur s’adresse à Manuel Pothos12. L’empereur

explique à ce dernier que ses incitations à hâter son retour ne sont pas pertinentes, car c’est ce qu’il fait déjà. Il conseille plutôt à son correspondant de mieux travailler et d’encourager les autres à faire la même chose, afin qu’ils ne périssent pas avant que ceux qui viennent pour les défendre se tiennent aux portes de la ville.

En étudiant le sujet des lettres, il est évident que Manuel Paléologue souhaite que tous retiennent une certaine vision de la mission. Il s’agit d’une entreprise visant à obtenir une aide, militaire ou autre, pour libérer la ville de Constantinople d’une situation néfaste. De plus, cette aide est motivée par la foi des gens concernés et se revêt d’un caractère international. Par contre, il ne suffit pas de prendre ces informations sans les mesurer. Ce corpus de source provenant de la main de l’empereur, les dires de Manuel ne peuvent qu’avoir un biais évident. Au mieux, on sait ce que le voyage doit signifier selon l’empereur. La compilation des lettres dans un seul document signifie qu’un tri a déjà lieu au moment de la compilation. Dans ce cas-ci, Manuel peut décider de ne pas retenir certaines lettres qui ne correspondent pas à la vision souhaitée. De plus, les corrections apportées par l’empereur lui-même au manuscrit principal signifient qu’il y a altération intentionnelle des lettres retenues. Le basileus sait que les lettres seront

permet pas d’affimer l’échec de la diplomatie occidentale de l’empereur byzantin. Manuel II Paléologue, « Lettre 41 », The Letters of Manuel II Palaeologus, p. 104-111.

lues et souhaite leur diffusion à un public plus large. À travers ce contrôle du texte et, par extension, de la mémoire de l’évènement, il est aisé pour l’auteur d’orienter la vision que la postérité aura de l’évènement. La compilation des lettres dans un seul document signifie qu’un tri a déjà lieu au moment de la compilation. Dans ce cas-ci, Manuel peut décider de ne pas retenir certaines lettres qui ne correspondent pas à la vision souhaitée. De plus, les corrections apportées par l’empereur lui-même au manuscrit principal signifient qu’il y a altération intentionnelle des lettres retenues. Le basileus sait que les lettres seront lues et souhaite leur diffusion à un public plus large. À travers ce contrôle du texte et, par extension, de la mémoire de l’évènement, il est aisé pour l’auteur d’orienter la vision que la postérité aura de l’évènement.13. C’est pourquoi il importe de

les comparer aux autres sources