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Un monde arrangé et dominé par le business.

CHAPITRE 7 : PERCEPTION DES MONDES AMATEUR ET PROFESSIONNEL

7.2. Particularités du monde professionnel par les amateurs et les professionnels

7.2.3 Un monde arrangé et dominé par le business.

7.2.3.1 Un monde arrangé

En premier lieu, le problème d’un monde « très arrangé » est quasi unanyme dans les discours.

« Sans vraiment le connaître à la base, il me semble que le monde pro soit un monde de magouilles, vu le nombre de fédés internationales qui existent : on peut se retrouver numéro 1 d’une fédé sans avoir fait de gros résultats tout ça parce que l’on a un bon promoteur. On peut arriver à être champion du monde sans avoir fait ses preuves on va dire. » (Ancien amateur club, 25 ans).

Il n’est pas rare d’entendre ce discours. Sans être aussi excessif, il semble que les boxeurs perçoivent les arrangements comme une véritable norme de fonctionnement du monde professionnel. Ils l’opposent d’ailleurs souvent à la logique sportive (tirage aléatoire des matchs) du monde amateur comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent. En professionnel, on choisit les boxeurs que l’on rencontre. Ceci est très important et doit, selon certains, être envisagé avec le plus grand soin car c’est un facteur décisif de la carrière du boxeur. Cela correspond à une véritable gestion du risque.

« ah ouais, mais c’est un risque. C’est un risque à prendre, mais qui est calculé, tu prends pas un boxeur n’importe comment. Tu vois des cassettes, tu te déplaces, tu va voir un combat, tu prends des renseignements sur lui, tu juges la valeur du boxeur, et tu dis c’est bon, c’est pas bon. Les risques, tu minimises quand même. Tu prends pas un mec qui a 10 combats, 9 défaites sans savoir qu’il a pu avoir 9 défaites contre 9 tueurs, contre 9 tueurs à gage, tu vois. Donc, ça se calcule. » (Ancien pro ex INSEP, 30 ans)

Ces arrangements font donc partie d’une véritable logique sportive. Cependant, il y a danger de tomber dans un « excès d’arrangements », c’est à dire choisir des boxeurs trop faibles. Or, pour beaucoup, cette dérive est abusivement pratiqué dans le monde de la boxe professionnelle. Les arrangements frôlent le scandale. Cette logique de préserver le boxeur pour lui construire une carrière progressive, est souvent poussée à son extrême. La prise de risque dans le choix du boxeur est réduite à son maximum si bien que les combats opposent souvent des niveaux trop différents.

« Chez les pros, les 10 premiers combats tu vas tirer 10 chèvres (…) Quand je vois les réunions Acaries, c’est du cinéma, ça ne ressemble plus à rien ! Ils font boxer des américains qui habitent à Porte de St Ouen. C’est bidon ! (…) Le gala du second combat d’Asloum, j’y vais mais je me fais chier parce que je connais déjà la décision finale (…) J’aime les vrais combats (…) Je dis pas qu’il faut mettre un tueur en face mais lundi le mec en face, il ne rendait pas un coup ! » (Amateur INSEP, 22 ans)

Ces arrangements sont un véritable piège : le risque de présenter un spectacle peu attrayant à la fois pour les passionnés qui se déplacent pour les combats et pour ceux qui les suivent à la télévision. Pour beaucoup cette situation participe à l’affaiblissement de la boxe.

« Ça tue la boxe ce genre de combat ! » (Amateur INSEP, 22 ans)

Outre la perte d’intérêt du spectacle, cette situation peut comporter aussi un risque du point de vue de la carrière du boxeur : ne pas être réellement prêt pour le combat espéré car habitué à rencontrer des adversaires trop faciles.

« J’ai son numéro, je pourrais te le filler, et c’est un mec, tu vois, il est génial. Et lui, oui bien sûr, il va pas te dire j’ai rencontré des chèvres et tout et tout, et lui sur médiatisé. Il sort des jeux olympiques. Il a pas fait un combat pro. Il rencontre sincèrement 28 chèvres, mais 28 chèvres (…) Et championnat d’Europe contre A, il se fait allumer la gueule, pendant 12 rounds. Pourquoi ? parce qu’il a jamais travaillé, il a toujours couché ses mecs 3ème, 2ème, 4ème, 6ème, 8ème rounds pas plus, et contre des mecs faciles en plus. » (Ancien pro ex INSEP, 30

ans).

Pour certains mêmes, au-delà de frôler le scandale en raison d’arrangements sécuritaires trop importants, on entre parfois dans une forme d’autoprotection communautaire. L’important est surtout d’appartenir à la communauté professionnelle et d’y être soutenu par les acteurs influents. La situation frôle alors la malhonnêteté sportive.

« C’est comme une mafia la boxe. A la fédé, ce sont souvent les vieux d’avant qui placent leurs boxeurs (…) Par exemple Monsieur Y est au comité qui place les boxeurs dans les classements. Moi, mon entraîneur il n’y est pas. Donc je suis désavantagé par rapport aux boxeurs de ce monsieur qui sont surs d’être placés » (Pro bon niveau,

27 ans).

« La Boxe pro n’est pas régi par les mêmes règles que le monde amateur. On a beau avoir fait des résultats en amateur, ça ne veut pas dire qu’on va s’en sortir en Pro. Parce qu’il y a des histoires d’influence, il faut cirer les pompes à des gens pour pouvoir progresser. » (Ancien amateur club, 25 ans)

« En France, si t’es bon. Tu passes pas si t’es pas aimé par les gens qu’il faut, quand il faut, où il faut, et si tu marches pas avec eux. T’as beau être le meilleur en France s’ils ont décidé de ne pas te faire passer, tu passes pas. Il y a certains boxeurs, ils auraient dû être 50 fois champions du Monde mais ils y sont pas. Mon oncle, c’est un boxeur, il avait 2 bombes dans les mains. Il a fait 53 combats, il a fait 48 KO, c’est énorme pour un boxeur. Et il avait des qualités de champion et on n’a jamais voulu lui donner sa chance. On n’a pas voulu, parce que c’était lui qui gérait sa carrière donc les gens ils l’ont bloqué. Et il y a des boxeurs qui étaient beaucoup plus mauvais que lui, ils ont marché de l’autre côté, ils y arrivent. » (Amateur club, 16 ans)

7.2.3.2 Un monde pauvre dominé par le business

Dans la continuité de ce constat d’un monde arrangé, le problème d’un monde finalement assez pauvre et dominé par le business, pose encore une fois le problème du rôle de l’encadrement. Dans une logique de rareté des galas et devant le besoin de combattre

absolument pour obtenir des bourses et construire une carrière, l’encadrement peut accepter des matchs peu cohérents, voire parfois dangereux pour le boxeur.

« C’est pareil dans la boxe. Il faut voir comment c’est préparé, c’est manigancé, les achats de bourse, les coups de fils, des gens qui rentrent en compte, des %. C’est tout un business. Et quand vous rentrez dedans, c’est pire que le métier de commercial, c’est un engrenage. L’amitié, vous en voyez plus. Le côté humain. Parce que c’est des hommes malgré tout. Quand on est entraîneur, moi ça me ferait chier d’envoyer un gars, au charbon, qu’il ressorte avec une tête comme ça, j’aurais quelque chose sur le cœur. » (Ancien amateur club, 29 ans)

Finalement tous les boxeurs ne s’estiment pas traités au même niveau. Des choix sont réalisés par les promoteurs parmi les boxeurs amateurs, débutant dans le professionnalisme. Deux cas de figure se dégagent. Ceux sur lesquels on investit et les autres. Les premiers bénéficient des arrangements, les seconds servent à mettre en place ces arrangements. Le poids financier des prometteurs est alors décisif dans la construction de la carrière des meilleurs. Les moins bons, voire parfois les bons sur lesquels on n’a pas misé, sont effectivement défavorisés.

« Les gros promoteurs se gavent car ce sont les seuls qui ont des budgets pour pouvoir organiser des réunions. » (Ancien amateur club, 25 ans)

« Non, non, mon ami, c’est pas vrai. Tout le monde n’a pas cette chance. La volonté ne suffit pas tu n’es pas maître de ton destin. Tu ne détiens pas tout ce qu’il y a autour du business de la boxe pour finalement arriver au top. On te fera arriver si on a envie de te faire arriver. S., il aurait pu faire une carrière nettement meilleure, s’il avait été encadré comme un mec comme L. Donc c’est pas forcément l’envie du boxeur ou son potentiel. (…) Ça revient à ce que je t’ai dit. Si on a envie de sortir la monnaie pour toi, on la sort. Si on en a pas envie et bien on sort pas la monnaie. Tu peux être meilleur que celui à qui on sort la monnaie pour faire du faux spectacle (…) Parce que la logique, elle est là. Moi, je suis promoteur et j’ai de l’argent, j’ai un boxeur prometteur, je vais pas lui organiser un combat contre un boxeur qui est trop fort. Je vais le faire rencontrer un boxeur qu’il va pouvoir battre. Moi, mon boxeur à moi il progresse. Pourquoi ? Parce que j’ai de l’argent. Donc je lui organise plein de combats dans l’année sans le mettre en danger. Bon ça, c’est pour ceux qui sont encadrés. » (Ancien pro, 32

ans)

7.2.3.3 Un monde monopolisé par un seul promoteur.

S’ajoute à cette situation dans laquelle le poids financier des promoteurs est déterminant, le contexte d’un monde où l’élite est monopolisée en partie par un seul promoteur. Tous les boxeurs dénoncent cette mainmise des frères Acariès sur la boxe professionnelle. Ces derniers choisissent les boxeurs, organisent les combats de Canal +. Pour les boxeurs, leur poids est trop grand sur la boxe en France.

« Donc être professionnel en France c’est bien mais il faut avoir un emploi à côté. C’est pas comme le football. Donc à part passer professionnel avec les Acariès sinon c’est pas facile. Donc pour moi c’est un des freins à ne pas passer professionnel. Si je passe professionnel avec un promoteur ok, sinon c’est la galère comme X par

exemple. Lui il est passé pro car il était n°2 et ne pouvait pas faire les grandes compétitions. A mon avis il a eu tort » (amateur INSEP, 24 ans)

Certains cherchent à ne pas passer professionnel par le circuit des frères Acariès. Selon eux, ils ont trop de pouvoir et peuvent agir, dans ce système de non concurrence, sur les carrières comme bon leur semble. Ils ont un véritable droit de vie (proposition de combats) ou de mort (plus aucun combat d’organisé). Les boxeurs sont alors en situation de devoir accepter sans négocier. Pour certains la solution se trouve alors dans les circuits étrangers (l’Allemagne mais surtout des Etats-Unis).

« Pour te dire un mec comme C., il est parti aux USA pour l’argent et pour boxer (…) Si je passe pro, je n’irais pas avec les Acaries, j’irais avec un autre truc, je ne m’associerai pas avec un promoteur. Je préfère m’associer avec une télé. » (Amateur INSEP)

« Tu sais qu’en France on a un système, que les trois quarts des boxeurs passent avec le même promoteur. Ils ont signé avec eux, ils ont un contrat. Moi j’ai pas signé avec eux. (…) Les seuls qui maintiennent le pouvoir aujourd’hui dans la boxe, c’est Acariès. Sans eux, sans passer par eux, vous faîtes rien. Il faut partir aux Etats- Unis. » (Pro ex INSEP)

Face à cette situation, certains pensent qu’il est du ressort de la fédération de gérer et régler le problème.

« Non mais tu sais, aujourd’hui tant que la fédération, elle n’aura pas compris qu’il faut faire jouer la concurrence, on n’y arrivera pas. Quand tu as qu’une personne qui fait avancer la boxe (…) Je ne fais pas une guerre après eux. Mais je veux dire par là que t’as un monopole aujourd’hui en France. » (Pro ex INSEP) Dans ce contexte la boxe professionnelle est alors présentée par les boxeurs comme un monde dangereux pour eux-mêmes en termes de carrière, de santé et de reconversion.