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Le début de carrière.

CHAPITRE 6 : QUELQUES ELEMENTS SUR LES BOXEURS ET LEUR ENGAGEMENT DANS LA BOXE

6.3 Quelques éléments sur les boxeurs amateurs et professionnels.

6.3.2 Le début de carrière.

Un abandon souvent précoce.

Comme le laisse entendre la plupart des boxeurs entraîneurs interviewés, le début de carrière est une période charnière pour la fidélisation. Elle est présentée comme fortement marquée par l’abandon. De nombreux boxeurs ne passent pas le cap des deux années consécutives. Nous l’avons vu, dans les salles, les contraintes sont très importantes. Il faut faire preuve de beaucoup d’abnégation pour se faire accepter. A cela bien sûr s’ajoute le contraste voire la rupture entre cette réalité de la salle de boxe faite de rigueur, de travail et de discipline et les représentations des boxeurs qui s’engagent dans l’activité.

« La boxe c’est dur. Il y en a plein qui viennent, ils restent un an puis on les retrouve au foot l’année suivante ou au judo. Des garçons qui sont bien… Il voit un match de boxe à la télévision, il veut faire de la boxe. Combien sont venus après un match, souvent ils ont vu un grand combat. La semaine suivante, ils viennent faire de la boxe. Mais ils se découragent vite. Alors il est évident que la boxe, il y a beaucoup de déchets. Sur une trentaine de boxeurs, il y en a 10 qui persistent et les autres sont perdus en cours de route. Donc déjà, il y a une sélection qui se fait par la valeur de l’individu … En plus, faut également qu’il passe le cap des deux premières années tous les abandons ont lieu à peu près à ce moment. » (Entraîneur de club)

Ils ont souvent idéalisé un monde qui va leur permettre d’accéder à une identité porteuse alliant violence et show-biz etc. Ils se retrouvent dans un monde de rigueur, de discipline et profondément vieillissant. On comprend alors que finalement seuls persistent ceux qui sont familialement attachés à cette activité et ceux qui sont encadrés avec beaucoup d’attention.

La question du passage vers le professionnalisme

Ensuite et dépassée la situation d’abandon, deux cas de figure semblent se dégager : le cas des boxeurs susceptibles de passer professionnel car ils possèdent réellement des qualités et les autres. La question du passage vers le professionnalisme apparaît donc rapidement.

« Tous veulent devenir boxeurs professionnels, maintenant ils en ont la possibilité ou pas. On voit rapidement s’il y a un potentiel ou pas. Déjà sur le début de carrière. Si le garçon est battu régulièrement, 2 fois sur trois. Il n’est pas très bien disposé. (…) Maintenant, pour passer pro il faut que, nous, on le présente. C’est l’entraîneur qui présente le boxeur, c’est à dire qui estime qu’un boxeur peut passer professionnel.

En résumé, soit l’abandon se produit durant les deux premières années. Soit le boxeur continue mais perd la plupart de ses rencontres auquel cas, soit il comprend de lui-même qu’il ne faut pas passer pro ou soit il est vraiment acharné et c’est à nous de lui faire comprendre. De toute manière, c’est nous qui détenons le privilège de le présenter pro. Mais bon c’est très rare de devoir en arriver là. » (Entraîneur de club)

On comprend que rapidement dans le discours des entraîneurs, de certains boxeurs ou chez les jeunes, la seule question qui se pose est celle du passage vers le professionnalisme.

« … ceux qui deviennent amateur ... Si leurs progrès sont constants. Au fils des années, en fréquentant la salle où il y a des pros, des champions, ces garçons essayent de se dire tiens pourquoi je n’essaierais pas de faire comme lui. Donc il y en a qui réussissent et d’autres pas mais enfin c’est un esprit spécial. » (Entraîneur de club) « Ça m’a plu et j’ai signé. Et j’ai tout de suite voulu devenir un de ces champions qu’il y a sur les murs et qui est un champion. Donc j’ai commencé à m’entraîner tous les jours. J’étais hyper motivé. »(amateur INSEP, 25 ans)

Bien entendu, cette question du passage vers le professionnalisme est différemment envisagée en fonction de l’âge du boxeur. Chez les plus jeunes de la boxe éducative, nous avons vu qu’elle était rapidement idéalisée même si elle reste lointaine et sans véritable stratégie. Chez les adolescents et les jeunes amateurs, elle devient l’objectif d’une stratégie de carrière.

« Moi je boxe en amateur pour être un grand professionnel, pas pour devenir un grand amateur, comme beaucoup de boxeurs ils font… je m’en donne les moyens … je fais pas comme les jeunes de mon âge le soir je traîne pas … je fais attention à beaucoup de choses … je regarde les cassettes des grands et j’analyse ce que je pourrais prendre dans leur technique… » (Amateur club, 16 ans)

L’influence du milieu professionnel

L’influence du milieu professionnel est prépondérante dans cette détermination à passer ou ne pas passer professionnel. Les moins bons regardent et les meilleurs s’entraînent avec les boxeurs professionnels. Leur objectif devient rapidement d’être un jour appelé à mettre les gants avec le professionnel. C’est un moment qui semble très important pour la plupart des boxeurs à la fois véritable signe de reconnaissance et rite d’intégration au milieu professionnel.

« Nous les jeunes, on était dans une salle à côté. On s’entraînait. On voyait les professionnels s’entraîner. J’avais 16 ans. Et donc à partir de là dès que les pros, ils mettaient les gants, moi je demandais à les mettre aussi. Moi je voulais devenir un champion professionnel, c’était mon objectif. Je voulais devenir le plus jeune pro un bon quoi et pas dormir. J’étais décidé. » (Amateur INSEP, 25 ans)

« C’est en mettant les gants avec beaucoup de champions que j’ai progressé. Et après, je me suis encore plus accroché à la boxe. Après, l’arrivée des Tiozzo, j’avais 17-18 ans » (Amateur moyen club, 30 ans)

« Quand vous avez un professionnel qui travaille, il a obligatoirement besoin de calme, de concentration. Et quand vous êtes un peu jeune, vous avez tendance à chahuter. Et le professionnel, il va se retourner vers vous et va vous dire qu’il a besoin de travailler d’un air sérieux. Et c’est pas méchant… Le but, c’était de venir s’entraîner tous les jours comme les grands, pour être sérieux. De toute façon, il y a aucun boxeur, qui franchit la salle et qui ne rêve pas d’être champion du monde. Tous ceux qui se sont entraînés, étant jeunes, le but est de devenir champion du monde. Comme on a tous ce rêve là, cet objectif, on va tous se donner les possibilités pour essayer de l’atteindre. » (Ancien amateur club, 29 ans)

L’idole locale

Dans cette dynamique de nombreux boxeurs insistent sur la question de la reconnaissance locale. Avant d’espérer devenir une « star », le boxeur devient d’abord une idole locale. Cette situation semble très déterminante car le boxeur entre alors dans une logique de dette symbolique par rapport à ses suiveurs. Sans doute alors est-il difficile de revenir en arrière. Le boxeur se sent alors reconnu, suivi et attendu : il ne peut plus décevoir. Il doit aller le plus loin possible, en l’occurrence le plus loin possible signifie souvent le monde professionnel. C’est à la fois le principal monde côtoyé dans la salle et de surcroît le seul monde connu véritablement par le groupe de suiveurs. Ces derniers ne comprendraient pas pourquoi un boxeur talentueux ne voudrait pas passer professionnel. Dans ce sens, l’INSEP peut être perçu comme une rupture avec ce milieu et un lieu de réorientation. Avant d’entrer à l’INSEP, tous les boxeurs interrogés voulaient devenir professionnels. Ils envisageaient un passage bref à l’INSEP. Au final, la plupart retardent ce passage et certains parfois ne l’envisagent qu’en fin de carrière amateur (après s’être fait une réputation).

« Je me suis laissé un peu, prendre au jeu des compétitions, et de plus en plus, le contingent de supporters de mon quartier s’agrandissait … s’agrandissait. Les résultats suivaient et tout … Je voulais aller en finale, devenir champion de France. Pas parce que ça aurait été médiatiquement intéressant pour moi, parce que c’était une compétition, il fallait que j’aille au bout de cette compétition, que je gagne, que je sois champion de France. C’était un bonheur pour moi, en plus de ça dans le quartier, t’as tout le monde qui est content. T’es la star de la cité. Modeste, je frimais pas. Mais voir des copains à moi contents, pleins de bonheur, rien que de savoir qu’ils avaient un copain champion de France, pour moi c’était important, pour moi c’était super important. » (Ancien

pro ex INSEP, 30 ans)

On comprend alors que pour des adolescents, voire des jeunes adultes souvent difficiles, plutôt en échec scolaire et plutôt attirés par la violence, cette situation de reconnaissance devient très importante. Elle concrétise et symbolise pour eux une véritable réussite sociale. Ceci pourrait également expliquer pourquoi le taux d’abandon est aussi important dans cette activité. Si la situation de réussite n’est pas atteinte ou plutôt si la situation d’échec est trop importante, les boxeurs arrêtent, surtout dans une activité où l’échec est sanctionné physiquement. La situation de prendre des coups sur un ring ne semble pas évidente à assumer.

« Mon premier combat, il y avait vraiment du monde, mes cousins, cousines, des amis…Il y avait tout le monde. Il y a au moins une quinzaine de personnes de la famille et puis les amis.

Ma dernière année senior, comme je suis juif, il y avait un club qui avait entendu parler de moi. Et à la radio juive, ils en parlaient. Il commençait à y avoir des affiches quand il y avait des galas. Donc ça remplissait la salle. L’année dernière c’était impressionnant. Parce qu’en fait, j’ai fait mon dernier combat amateur à St Ouen en plein air. Il y avait de la famille mais là par contre, il y en avait beaucoup de l’extérieur. D’ailleurs, on a eu

des problèmes car ils sont trop chauds. Malgré que j’ai gagné, ils ont pris les chaises ils ont tout jeté en l’air. Ils étaient contents. L’année d’après je suis passé professionnel. Et à chaque fois c’était la même chose. Après il y avait de plus en plus de personnes de l’extérieur.

Après en professionnel c’est plus la famille qui vient regarder son fils, c’est des vrais coups il n’y a plus de casque, les gants changent. » (Pro moyen niveau, 21 ans)

Un basculement dans un nouveau style de vie : un début d’intégration sociale.

Dans les discours, il apparaît également que cet engagement marque souvent pour les boxeurs une transition sociale. Nous le verrons dans le chapitre suivant. Il y a une forte croyance dans la capacité intégrative de la boxe.

« Donc j’y allais tous les jours ça voulait dire qu’il n’y avait plus de temps pour les conneries. Et grâce à la boxe. Déjà ça me fatiguait et ça me prenait donc beaucoup de temps. Il y avait les cours et directement après les cours, j’allais à l’entraînement. Je voyais de moins en moins mes amis. J’étais pris par la boxe. Je faisais moins de conneries parce qu’avant j’étais bagarreur dans la rue. Je sais pas, si c’était les gènes mais j’ai commis pas mal de petits larcins, bagarre donc on va dire un petit peu trop connu des commissariats. » (amateur INSEP, 25

ans)