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Une différence de médiatisation

CHAPITRE 5 : LA MEDIATISATION DE LA BOXE

5.3 Une différence de médiatisation

Nous sommes en présence de pratiques différentes, mais surtout différemment médiatisées. Dans ce contexte, il est alors légitime de savoir si la faible médiatisation de la boxe amateur est réellement fondée et si cette boxe a véritablement les moyens d’être davantage médiatisée. Là se trouve véritablement une question centrale de cette recherche : quelles raisons profondes se trouvent à l’origine de cette sous-médiatisation ? Sans doute la boxe amateur est- elle davantage éthique. Sans doute est-elle plus sportive et de meilleur niveau (les combats opposent souvent des boxeurs de même niveau). Mais peut-être ne s’adresse-t-elle pas au même public.

On peut alors se demander si le « grand public », c’est-à-dire le public de télévision, est réellement un public captif. On a vu lors des J.O. qu’il était tout à fait capable de suivre Asloum et Thomas. L’épreuve était exceptionnelle. Des français étaient présents, chose très rare puisque la dernière médaille remontait à Christophe Tiozzo en 1986. De plus, il faut remarquer que lors des J.O., les spectateurs suivent davantage les jeux pour eux-mêmes que les disciplines en particulier. Les spectateurs suivent toutes les disciplines où les Français peuvent avoir une médaille. Il ne faut donc pas prendre l’audience d’une épreuve olympique pour l’audience d’une épreuve normale. Seules les grandes activités comme le football, le tennis ou le cyclisme peuvent prétendre être moins médiatisées aux J.O. que pour leurs épreuves habituelles. D’ailleurs les champions n’y sont pas dupes. En tennis par exemple, ils viennent souvent avec beaucoup moins de sérieux que pour une épreuve du Grand Chelem, voire même de tournois secondaires.

Aussi ne faut-il pas prendre l’excès d’audience d’une finale olympique de boxe amateur pour argent comptant. En réalité, les spectateurs suivent avant tout une épreuve olympique où un français peut gagner. Ce n’est donc pas la discipline en elle-même qui est suivie mais davantage la lutte pour l’obtention d’une médaille d’or pour la France. Tout le monde sait qu’Asloum est champion olympique, mais rares sont ceux qui savent que Thomas est champion du monde. En effet, la médiatisation de son titre a été très faible, à peine un quart de page dans l’Equipe. Le combat n’est même pas passé en direct à la télévision alors que

canal + diffuse les combats des débuts professionnels d’Asloum. Le traitement médiatique est incomparable.

Au fond il faut rappeler qu’à l’origine de cette différence de traitement, se trouvent deux boxes très différentes dans leur logique interne :

- La boxe amateur est rapide, difficile à juger. Elle met en jeu deux boxeurs, plutôt devrions-nous dire deux sportifs. Il est certain que le boxeur en amateur est le produit d’une logique sportive.

- La boxe professionnelle est posée, plus facile à juger et surtout s’arbitrant souvent par elle-même (le KO). Le boxeur est, au-delà d’être un sportif, un acteur.

Ainsi dans leurs logiques internes propres, ces deux boxes sont déjà plus ou moins faciles à comprendre pour l’œil du spectateur. Le combat professionnel est facile à comprendre. En 12 rounds de 3 minutes, il se dégage rapidement des différences notoires entre les boxeurs. Le public est souvent capable de dire sans être connaisseur qui a gagné. De plus, le KO vient souvent donner la sentence.

En amateur, un spectateur est rarement capable de dire qui a gagné (même des gens avertis sont souvent surpris des décisions comme nous l’avons été lors de la finale des championnats de France). Ceci, bien entendu, ne veut pas dire qu’il y a trucage mais, plutôt qu’il est très difficile de tout voir et de juger en boxe amateur anglaise. Sans doute y a-t-il là également une raison de cette différence de traitement médiatique.

La différence est également historique et sociale. Historiquement, il est intéressant de constater que la médiatisation de la boxe est parallèle à son dynamisme. Faut-il le rappeler à l’apogée de la boxe dans l’entre-deux-guerres et l’après-guerre, la médiatisation était très forte. C’était d’ailleurs l’une des pratiques sportives les plus médiatisées. Certains évoquent d’ailleurs cette même médiatisation comme l’une des raisons de la chute de la boxe : les spectateurs préférant regarder la boxe à la télévision plutôt que d’aller dans les salles.

En résumé il faut donc comprendre que la médiatisation de la boxe passe par la boxe professionnelle : des hommes qui sont payés pour combattre … des hommes qui en l’occurrence mettent leur corps à nu, en spectacle (sans maillot). C’est un spectacle surtout fondé sur la violence et la possible mort d’un des boxeurs. L’une des raisons d’ailleurs évoquées pour le déclin de la boxe serait la mort d’un boxeur suite à un match26. La boxe va donc opérer un glissement progressif de sa médiatisation. Mais en réalité on ne va pas changer le spectacle, on va en réduire la violence (gants, soigneurs, etc.). On va en réduire la diffusion

puisque cette violence choque. Le public initié va donc se réduire, car la société va s’euphémiser. On préférera alors des pratiques en Europe comme le football et aux USA comme le foot américain. Il est tout à fait normal de comprendre que, dans ce contexte historique, et devant la pression croissante de l’audimat, personne n’ait voulu médiatiser la boxe amateur. Comment faire comprendre que c’était différent et peut-être mieux. Les anciens de la boxe professionnelle n’auraient pas regardé car bien entendu le spectacle n’aurait pas constitué quelque chose à laquelle ils adhéraient (pas de violence, présence des maillots). Par ailleurs, les spectateurs n’étant pas engagés dans cette pratique n’auraient sans doute pas adhéré non plus car derrière le mot boxe, ils auraient associé un certain nombre d’éléments négatifs : violence, maffias, etc. Cette attitude se retrouve également aujourd’hui où il faut vraiment une épreuve comme les J.O. pour que les gens sachent qu’il y a une autre boxe que la boxe des professionnels et de la violence.

Pour l’ensemble de ces raisons, il semble qu’il sera très difficile pour la boxe amateur de remplacer la boxe professionnelle. Un certain nombre de caractéristiques techniques et matérielles ne favorise pas la médiatisation de la boxe amateur. De plus, il n’est véritablement pas sûr que le public télévisuel de la boxe professionnelle aspire à voir une pratique plus euphémisée. Nous sommes en présence de deux pratiques fortement différentes. D’autres pratiques de combats rencontrent les mêmes difficultés pour être médiatisées. Le judo par exemple qui, malgré un niveau de performance exceptionnel, ne remplacera jamais un match de football à la télévision. La boxe professionnelle a encore le privilège d’être attractive, malheureusement son image se détériore et sa réalité pose réellement des problèmes d’éthique.

Sans doute faudrait-il que les acteurs du monde amateur et du monde professionnel se posent des questions d’éthique et réfléchissent sur les enjeux et les coopérations possibles. Chacun des deux mondes a besoin de l’autre : la boxe amateur a besoin de la médiatisation de la boxe professionnelle et la boxe professionnelle a besoin du rôle formateur de la boxe amateur. Aussi il semble que seule une coopération entre les deux univers pourrait aider la boxe à résoudre ses problèmes.

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PARTIE II : LES BOXEURS, CE QU’ILS EN DISENT…

La question est désormais de savoir comment les boxeurs se représentent le monde de la boxe ? Comment se perçoivent-ils dans ce monde ? (leur carrière, leurs objectifs) Quelles sont leurs motivations ? Et comment envisagent-ils ce passage du monde amateur à professionnel ? Pour répondre à ce questionnement, il nous a semblé opportun de traiter séparément deux types de population : la population jeune (boxe éducative) et adulte (boxes amateur et professionnelle).

Ainsi le chapitre 6 apporte d’une part, un certain nombre d’éléments descriptifs sur les boxeurs interviewés du point de vue de leur engagement dans la boxe, leur carrière, leur croyances et leurs valeurs. D’autre part, sur la base de l’analyse du discours des jeunes pratiquants de boxe éducative, il cherche à comprendre les éléments en œuvre dans la construction des représentations. Qui sont ces jeunes ? Quels types de motivations les animent dans cette activité ? Comment perçoivent-ils la boxe ou plutôt les boxes ? Et surtout comment envisagent-ils le passage vers le professionnalisme ?

Le chapitre 7 analyse le discours des boxeurs amateurs, professionnels et de leurs entraîneurs (des anciens boxeurs) et précise leur perception du monde de la boxe

CHAPITRE 6 : QUELQUES ELEMENTS SUR LES BOXEURS ET LEUR