inconstitutionnelles doit surseoir à statuer jusqu’à la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation sur sa transmission ou, s’il a été saisi, jusqu’à celle du Conseil constitutionnel
B) Un mécanisme d’unification de l’interprétation constitutionnelle
139. Le lecteur sera peut être surpris de trouver la question prioritaire de
constitutionnalité présentée comme un artisan de l’unité d’interprétation de la Constitution. Il
est en effet plus conventionnel de présenter ce mécanisme comme tendant à assainir le
système juridique de ses dispositions inconstitutionnelles
357. Assurer la constitutionnalité de
l’ordre juridique, octroyer au citoyen la possibilité de faire valoir ses droits constitutionnels,
conforter la prééminence de la Constitution, telles sont assurément les idéaux qui ont motivé
l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité. De l’uniformisation de
l’interprétation de la Constitution en revanche, il semble ne pas être question. Est-ce à dire
que la question prioritaire de constitutionnalité lui est étrangère ? Assurément non. Si telle
354 J.-L. WARSMANN, Rapport n° 892 du 15 mai 2008 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles
de la législation et de l’administration générale de la république sur le projet de loi constitutionnelle n° 820 de modernisation des institutions de la Ve République.
355 M. GUILLAUME, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ? », NCCC 2011, n° 30, p. 49.
356Ibid.
357 La lecture des rapports du député J.-L. WARSMANN (rapport n° 892) et du sénateur J.-J. HYEST (rapport
n° 387) sur le projet de réforme constitutionnelle ainsi que celle des rapports du député WARSMANN (rapport n° 1898) et du sénateur H. PORTELLI (rapport n° 637) sur la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 expriment la volonté première de consacrer un nouveau droit au justiciable afin de renforcer la protection de ses droits fondamentaux.
n’est pas sa finalité première, elle participe de l’unité d’interprétation de la Loi, mécanisme
fondamental du régime des sources en droit français. Elle s’attaque à la cause même des
divergences d’interprétation de la Constitution : l’absence d’interprète officiellement déclaré.
En effet, en centralisant les déclarations d’inconstitutionnalité, la question prioritaire fait du
Conseil constitutionnel l’interprète officiel de la Constitution et, corrélativement, résorbe les
divergences d’interprétation. Pour trois raisons qui tiennent à son essence, à l’étude de ses
travaux préparatoires et à la jurisprudence constitutionnelle qu’elle a déjà suscitée, la réforme
de 2008 a placé le Conseil constitutionnel en interprète hégémonique de la Constitution.
140. L’essence de la réforme. En associant les juridictions ordinaires au contrôle de
constitutionnalité a posteriori et en les plaçant sous l’égide du Conseil constitutionnel, la
question prioritaire de constitutionnalité désigne clairement ce dernier comme l’interprète
officiel de la Constitution. Si la question prioritaire de constitutionnalité ne crée pas de lien de
subordination entre les juridictions de droit commun et le Conseil constitutionnel, elle
hiérarchise toutefois leurs interprétations de la Constitution
358. Chaque juridiction, à
l’occasion du filtre dont elle a la charge, opère un pré-contrôle la constitutionnalité de la
loi
359. Ce pré-contrôle
360l’oblige à interpréter les dispositions constitutionnelles qui fondent le
moyen d’inconstitutionnnalité. Il est évident que, telle qu’elle a été conçue par ses rédacteurs,
la question prioritaire de constitutionnalité impose qu’à cette occasion le juge ordinaire
mobilise les dispositions constitutionnelles telles qu’elles ont été préalablement interprétées
par le Conseil constitutionnel
361. « Ce système implique un dialogue des juges renforcé (…)
Ce dialogue passe par la prise en compte, d’une part, par le Conseil constitutionnel de
l’interprétation de la loi par les deux cours suprêmes et, d’autre part, par ces deux cours
suprêmes des décisions du Conseil constitutionnel »
362. Le Constituant ayant en effet accordé
aux juridictions ordinaires un rôle de filtrage des demandes, ce filtre doit être exercé dans les
mêmes conditions que le contrôle opéré, en dernier lieu, par le Conseil. En faisant des
358 « En tout état de cause, la question prioritaire de constitutionnalité rend probablement inéluctable la reconnaissance d’une telle autorité (de chose interprétée) », B. MATHIEU, « Les décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme : coexistence, autorité, conflits, régulation », NCCC, 2011, n° 32, p. 54.
359 Le contrôle de constitutionnalité de la loi opéré par les juridictions ordinaires est particulièrement flagrant en cas de refus de transmettre la question au Conseil constitutionnel.
360 L’expression est consacrée par de nombreux auteurs : O. DESAULNAY, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel vue par la Cour de cassation », NCCC 2011, n° 30, p. 45.
361 J. ARRIGHI DE CASANOVA, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel vue du Conseil d’État »,
NCCC 2011, n° 30, p. 27.
362 M. GUILLAUME, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ? », NCCC 2011, n° 30, p. 71.
juridictions ordinaires les bras armés du Conseil constitutionnel, le Constituant a manifesté sa
volonté de les subordonner à l’interprétation que celui-ci délivre de la Constitution. Il est
indubitable que l’institution même de la question prioritaire de constitutionnalité permet
d’affirmer « l’autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel et ce à deux
niveaux : d’une part, en amont, c’est au regard des interprétations du Conseil que le renvoi est
jugé nécessaire par la Cour, et, d’autre part, c’est précisément pour obtenir, en aval,
l’interprétation authentique de la Constitution que le Conseil constitutionnel est sollicité »
363.
141. La jurisprudence constitutionnelle. Le Conseil s’est par ailleurs expressément
reconnu la qualité d’interprète officiel de la Constitution. En effet, à la question de savoir
dans quelle situation une question prioritaire de constitutionnalité peut présenter un caractère
nouveau et doit, à ce titre, lui être transmise, le Conseil a répondu que « le législateur
organique a entendu, par l'ajout de ce critère, imposer que le Conseil constitutionnel soit saisi
de l'interprétation de toute disposition constitutionnelle dont il n'a pas encore eu l'occasion de
faire application »
364. En d’autres termes, les juridictions de droit commun ne peuvent délivrer
l’interprétation de dispositions constitutionnelles qui, telles certaines de la Charte de
l’environnement, n’ont pas encore été interprétées par le Conseil
365. On ne peut affirmer plus
clairement que, par l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, le
Constituant a entendu réserver l’interprétation officielle de la Constitution au Conseil
constitutionnel
366.
142. Les travaux préparatoires. L’examen des travaux préparatoires à la réforme termine
de convaincre du rôle du Conseil dans le maintien de l’unité d’interprétation de la
Constitution. Après avoir rappelé la divergence née de l’arrêt Breisacher, M. Jean-Louis
Debré a déclaré, lors de son audition le 19 septembre 2007 devant le Comité de réflexion, que
l’ « intérêt de la réforme serait d’améliorer l’unité d’interprétation de la Constitution ». Il était
impérieux selon lui que « demain, le Conseil constitutionnel assure l’unité de l’interprétation
de la Constitution »
367. M. Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel, a
363 O. DESAULNAY, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel vue par la Cour de cassation », NCCC 2011, n° 30, p. 46.
364 CC 2009-595 DC du 03 décembre 2009, Loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, cons. 21.
365 M. GUILLAUME, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ? », NCCC 2011, n° 30, p. 67.
366Ibid.
367 J.-L. DEBRE, Intervention devant le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République, 19 septembre 2007.
repris cette idée lorsqu’il a été interrogé le 30 juin 2009 par la Commission des lois
constitutionnelles. Il a observé que les décisions du Conseil constitutionnel n’auront « pas
seulement l’autorité de la chose jugée mais également de la chose interprétée »
368. Il a ajouté
qu’ « alors que le Conseil d’État, depuis décembre 2006, reconnaît aux décisions de la Cour
de justice des Communautés européennes l’autorité de la chose interprétée, il conviendra de
faire de même pour les décisions du Conseil constitutionnel »
369. Lors de la création de la
question prioritaire de constitutionnalité, le maintien de l’unité d’interprétation de la
Constitution n’était donc pas étranger à la volonté du constituant
370.
143. Ces trois considérations établissent que la question prioritaire de constitutionnalité
participe de l’unité d’interprétation de la Constitution. Trois raisons qui font de cette
procédure un moyen de résorber les divergences que le système antérieur avait laissé se
développer. Sans doute aucun moyen de contrainte ne vient-il obliger les juridictions
ordinaires à retenir l’interprétation retenue par le Conseil, carence pouvant inspirer la crainte
que son unification ne soit mise à mal. Toutefois, une chose est de démontrer que la question
prioritaire de constitutionnalité fait du Conseil constitutionnel l’organe officiel de
l’interprétation constitutionnelle et que ses décisions sont revêtues d’une autorité qui
désormais oblige, autre chose est la question des moyens qui permettent d’imposer cette
autorité. Ce n’est pas parce que le Conseil ne dispose d’aucun moyen de contrainte que la
question prioritaire de constitutionnalité n’a pas fait de lui l’interprète officiel de la
Constitution. La reconnaissance de l’autorité de l’interprétation du Conseil est, comme il sera
démontré plus loin
371, indépendante de la mise en œuvre d’un mécanisme lui permettant de
l’imposer par la contrainte.
368 M. GUILLAUME, audition devant la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mardi 23 juin 2009, Séance de 9 heures, Compte rendu n° 58, en ligne http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/modernisation_institutions/.
369Ibid.
370 « La procédure de la question préjudicielle devant la Cour de justice des communautés européennes a pour
objet d’assurer une interprétation uniforme du droit communautaire et d’éviter d’autant les divergences au plan national en la matière. C’est une ambition, sinon identique, comparable qui a retenu le récurrent débat puis enfin la récente institution d’un mode préjudiciel d’interprétation de la Constitution par le Conseil constitutionnel » (M. DISANT, L’autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel, LGDJ, 2010, p. 101).
144. Conclusion de la section 1 : La question prioritaire de constitutionnalité n’est pas
un renvoi en interprétation. En aucun cas le juge de droit commun ne saurait saisir le Conseil
constitutionnel d’une telle demande. L’interdiction est d’ailleurs dommageable
372lorsqu’en
dehors du contrôle de constitutionnalité de la loi, le juge est confronté à l’interprétation de
dispositions constitutionnelles sur lesquelles le Conseil ne s’est pas encore prononcé
373.
Pour autant, s’il n’est pas question de nier les différences qui séparent la question prioritaire
de constitutionnalité des renvois en pure interprétation, il ne faut pas non plus que, focalisé
sur cette dissemblance, le commentateur en vienne à nier leurs points de convergence. Certes
la question posée au Conseil n’est pas une question d’interprétation, mais son objet spécifique
ne fait pas obstacle à ce que la question prioritaire de constitutionnalité soit le principal
artisan de l’unification de l’interprétation de la Constitution. Elle opère une centralisation de
l’interprétation des textes constitutionnels, assurant par là leur unité. Contrairement aux
apparences trompeuses que suscite la lecture des dispositions constitutionnelles, la réforme a
« renforcé [le Conseil] dans son rôle d’interprète premier de la Constitution »
374, « son action
dans le cadre de l’article 61-1 ne sera pas seulement de censurer les dispositions législatives,
mais aussi d’assurer l’interprétation uniforme de la Constitution, même dans les cas dans
lesquels la disposition législative contestée n’apparaît pas contraire à la Constitution »
375. Dès
lors, la question prioritaire poursuit « la finalité de générer l’interprétation authentique de la
Constitution ainsi que d’unifier et d’imposer celle-ci sous l’égide du Conseil
constitutionnel »
376.
145. La question prioritaire est donc un mécanisme d’uniformisation de l’interprétation.
C’est un fait. Toutefois, par delà cette finalité, sa structure et son fonctionnement intriguent. À
l’instar du mécanisme des demandes d’avis et du renvoi au Tribunal des conflits, cette
uniformisation est le fruit d’un renvoi inter-juridictionnel. À l’instar de ces mécanismes elle a
372 Comme le relève M. Disant, « il est permis d’évoquer l’intérêt que pourrait présenter un mécanisme complémentaire à la QPC, de renvoi en interprétation des décisions QPC du Conseil constitutionnel » (M. DISANT, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, p. 96). Sur ce point également : X.
DOMINO, A. BRETONNEAU, « Les suites de la QPC : histoire et géographie du dialogue des juges », AJDA
2011. 1136.
373 Le Conseil d’État considère que la QPC « a pour objet de faire juger par le Conseil constitutionnel si une disposition législative porte ou non atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution mais non de l’interroger, à titre préjudiciel, sur l’interprétation d’une norme constitutionnelle en vue de son application au litige » (CE, 16 avril 2010, n° 336270).
374 O. DESAULNAY, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel vue par la Cour de cassation », NCCC 2011, n° 30, p. 42.
375 M. GUILLAUME, « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ? », NCCC 2011, n° 30, p. 67.