• Aucun résultat trouvé

Cette solution jurisprudentielle est similaire à celle consacrée par la loi organique régissant la question prioritaire de constitutionnalité. La Cour de cassation et le Conseil d’État ne peuvent

écarter une loi qui, selon eux, serait contraire à la Constitution. Ils sont, dans ce dernier cas,

obligés de renvoyer l’examen de cette question au Conseil constitutionnel.

624 COLLIARD, « L’obscure clarté de l’article 37 du Traité de communauté économique européenne »,

D. 1964. 263.

625 M. LAGRANGE, « Cour de justice européenne et tribunaux nationaux. La théorie de l’acte clair : pomme de

discorde ou trait d’union ? », Gaz. Pal., 19 mars 1971, p. 130.

626 CJCE, 22 octobre 1987, Foto Frost c/ Hauptzollamt Lübeck Ost, 314/85, Rec. p. 4199.

627 CJCE, 15 avril 1997, Bakers of Nailsea, C-27/95, Rec. p. I-1847.

244. Doit-on voir dans ces dispositions l’anéantissement du libre arbitre des juridictions

dans la mise en œuvre du renvoi ? Une fois encore l’utilisation des termes « obligation »,

« tenues de renvoyer » peut légitimement le laisser penser. Pourtant, un examen attentif ne

peut qu’inspirer une réponse négative. En effet, si la juridiction devant laquelle est soulevé le

moyen tiré de l’inconventionnalité d’un acte de l’Union européenne ou l’inconstitutionnalité

de la loi est tenue de renvoyer lorsque le moyen paraît sérieux ; si, en d’autres termes, il lui

est interdit d’écarter la loi ou l’acte de l’Union supposé invalide, cette juridiction peut en

revanche légitimement écarter un tel moyen lorsqu’il lui paraît infondé. Le juge saisi d’une

demande de renvoi en conformité garde, une fois encore, une large part de son libre arbitre.

La question ne sera renvoyée au Conseil constitutionnel ou à la Cour de justice qu’après que

la juridiction saisie en aura jugé l’opportunité. La décision de renvoyer constitue donc bien

l’expression de la volonté de son auteur. L’obligation de renvoi ne vaut qu’à compter du

moment où le renvoi est jugé nécessaire, or c’est à la juridiction saisie d’en décider, sans que

cette décision ne puisse faire l’objet d’aucun contrôle juridique.

2) Une appréciation non contrôlée

245. Le renvoi n’est donc jamais systématique. Lorsqu’une partie sollicite sa mise en

œuvre, il revient à la juridiction devant laquelle une telle demande est portée d’en apprécier

l’opportunité. En cela le renvoi est toujours un acte volontaire, il n’intervient qu’après que la

juridiction a décidé de sa nécessité.

Toutefois, cette latitude dans la mise en œuvre du renvoi serait anéantie si la juridiction

pouvait être contrainte d’exercer le renvoi préalable. La juridiction refusant d’opérer le renvoi

préalable peut-elle s’en voir imposer l’exercice ?

Le rôle majeur des juridictions d’application dans l’exercice du renvoi préalable est efficient

par l’absence de contrôle de leur décision. Non seulement la juridiction saisie du fond de

l’affaire apprécie l’opportunité du renvoi préjudiciel, mais cette appréciation n’est susceptible

d’aucune vérification. La décision par laquelle la juridiction refuse de renvoyer est

insusceptible de recours

629

.

246. Absence de contrôle par le destinataire du renvoi. La juridiction saisie du litige est

tenue au renvoi dans trois situations différentes : lorsque ses décisions sont insusceptibles de

recours et qu’elle se trouve confrontée à un problème sérieux d’interprétation du droit de

l’Union, lorsqu’il s’agit de déclarer l’inconventionnalité d’un acte de l’Union ou, enfin,

lorsqu’il s’agit de déclarer l’inconstitutionnalité d’une loi. Outre que le terme « obligation »

sied mal avec la possibilité pour la juridiction saisie du litige d’apprécier l’opportunité du

renvoi, cette décision ne peut faire l’objet d’aucun contrôle par la Cour de justice ou le

Conseil constitutionnel. Ces derniers sont dans l’incapacité de sanctionner une juridiction qui

ne respecterait pas l’obligation de renvoi que les textes leur imposent. Obligatoire, le renvoi

n’est pas contraignant. La Cour de cassation et le Conseil d’État peuvent bien considérer

comme dépourvu de caractère sérieux une question de constitutionnalité pourtant légitime, le

Conseil constitutionnel ne dispose d’aucune voie de droit pour sanctionner une telle attitude.

La doctrine a d’ailleurs critiqué la Cour de cassation pour n’avoir pas renvoyé au Conseil

constitutionnel certaines dispositions législatives dont la constitutionnalité était pourtant

douteuse

630

. De même, l’essence du renvoi préjudiciel à la Cour de justice s’oppose à ce

qu’une juridiction soit sanctionnée pour avoir refusé de renvoyer une question pourtant

douteuse

631

. Le renvoi est le produit d’une démarche volontaire qui lie ses acteurs.

630 Cass. crim., 7 mai 2010, n° 09-80.774, D. 2010. 1286 ; CCC. 2010. 256, chron. P. DE MONTALIVET ; CCC

2010. 261, chron. A. VIDAL-NACQUET ; Constitutions, 2010, p. 366, obs. A.-M. LE POURHIET ;

Constitutions, 2011, p. 396, obs. D. DE BELLESCIZE ; Rev. science crim., 2010, p. 640, obs. J. FRANCILLON ; Rev. science crim., 2011, p. 178, obs. B. DE LAMY ; RTD civ. 2010. 504, obs. P. DEUMIER ; D. ROUSSEAU, « La Cour à ses raisons, la raison les siennes ! », Gaz. Pal., 31 mai 2011, n° 151, p. 7 ; J.-B. PERRIER, « Le non renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité par la Cour de cassation », RFDA 2011. 711.

631 Sur la tendance à la réintroduction de la sanction dans le cadre du renvoi préjudiciel à la Cour de justice : v. infra, n° 657 et s.

CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE

247. Le premier terme du renvoi est maintenant strictement délimité. À la question « qui

renvoie ? », la réponse désigne les juridictions et exclut corrélativement les parties à

l’instance. À la question « que renvoie-t-on ? », la réponse est que le renvoi préalable se

limite aux questions de droit et exclut corrélativement les questions de pur fait. Cette double

limitation de l’auteur et de l’objet du renvoi s’explique par sa finalité : l’unification du droit.

Écarter les parties de sa mise en œuvre permet de maîtriser le rôle de la juridiction suprême.

Exclure les considérations de fait de son objet permet à cette dernière d’accentuer son office

interprétatif.

248. La spécificité du renvoi tient à ses caractères. Antérieur à toute décision, il fait de

l’unification de l’interprétation le produit d’une collaboration inter-juridictionnelle. Cet esprit

dialogique se prolonge dans sa mise en œuvre qui répugne la sanction et prône la délibération.

Outline

Documents relatifs