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3. Evaluer la durabilité, ou non-durabilité, écologique : une démarche interdisciplinaire qui

3.2 Les méthodologies de comptabilité environnementale : des outils de représentation

3.2.6 Un focus spécifique sur les questions énergétiques

Parmi les différents enjeux liés à la soutenabilité, un thème attire plus particulièrement mon attention : l’énergie. Ce thème est lié à ma formation initiale d’ingénieur en génie énergétique et il m’intéresse particulièrement à titre personnel. Mais il apparaît surtout comme une clé d’entrée centrale aux transitions écologiques. C’est en effet un domaine qui présente des enjeux forts tant en termes économiques, politiques, qu’environnementaux. Les systèmes énergétiques classiques dans lesquels sont actuellement installées nos sociétés présentent en effet plusieurs limites :

Le poids dominant des énergies fossiles dans les bilans énergétiques des différents pays du Monde en font les sources principales de l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre.

Ces ressources ne sont pas pérennes, même si l’exploitation actuelle de formes non conventionnelles (gaz de schistes, par exemple) donne une illusion contraire en repoussant provisoirement l’échéance des différents pics d’extraction et consommation de ces ressources (Mosseri, Jeandel 2013).

La production d’électricité d’origine nucléaire ne nous semble pas être une alternative durable aux énergies fossiles du fait des risques qu’elle génère. En effet, les réactions de fission et la réaction en chaîne dans les combustibles des réacteurs nucléaires engendrent des produits radioactifs dangereux, ce qui suscite deux types de risques : l’accident grave, voire majeur, dans les installations nucléaires (centrales ou usines du combustible) et les pollutions, notamment à long terme, engendrées par les flux de matières et les déchets radioactifs (Global Chance 2013).

Dans une perspective de durabilité sociale et écologique, nous rejoignons B. Dessus lorsqu’il souligne que « l’enjeu est à la fois de permettre à tous les pays d’accéder à un niveau de développement équivalent à celui des sociétés industrialisées, de restreindre au mieux nos ponctions de ressources fossiles d’énergie (pétrole, gaz, charbon) et de diviser par deux les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) avant 2050, le tout sans faire de paris technologiques ni prendre des risques

environnementaux inconsidérés » (Dessus 2012).

Nos travaux de recherche s’inscrivent dans ce domaine dans la vision proposée, au niveau international, par E.U. Von Weizacker et A. et H.Lovins (Von Weizacker, Lovins & Lovins 1997) et, promue, en France, en particulier, par les associations Global Chance et Negawatt (Salomon, Jedliczka & Marignac 2012). Cette vision vise à accorder autant d’importance à la maîtrise de la demande d’énergie qu’à celle de l’offre d’énergie. Il s’agit ainsi de reconnaître que l’objectif des systèmes énergétiques est « de mettre à la disposition d’une société donnée les services requérant de l’énergie, nécessaires aux besoins de l’ensemble de ses membres : alimentation,

logement, éducation, santé, culture, mobilité, etc. » (Dessus 2012). La question énergétique ne

doit ainsi pas se résoudre à la définition des différents moyens de production d’énergie. Il s’agit au contraire d’interroger ces besoins dans la perspective de les limiter. Cette approche permet de répondre aux différentes contraintes (ressources, effet de serre, pollutions de l’air, risques d’accidents, déchets) qui se posent aux systèmes énergétiques actuels. Elle s’avère également « souvent bien plus rentable économiquement pour la collectivité et les individus, plus

Les premiers travaux de recherche que j’ai menés sur ce sujet remontent à 2006. Dans un premier temps, l’encadrement de stages et mémoires de master recherche ont permis d’aborder plus précisément la problématique des économies d’énergie dans le bâtiment, sujet alors émergent ((Cazenave 2006), (Serrano 2006), (Dabee 2007), (David 2008) ). Ces réflexions ont pu ensuite être approfondies dans le cadre de la thèse de J. Villot (Villot 2012).

La thèse de J. Villot visait à étudier la mise en place du « facteur 4 » dans le cadre de la rénovation de bâtiments, en France. L’idée initiale, à la base de la notion de facteur 4, proposée par (Von Weizacker, Lovins & Lovins 1997) est d’obtenir deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources grâce à l’amélioration de l’efficience des modes de production. Cette notion de ≪ facteur 4 ≫ s’est ensuite modifiée pour être appropriée par de nombreux acteurs comme l’objectif de division par 4 des émissions moyennes de gaz à effet de serre, par habitant, pour les pays développés tels que la France. Le secteur du bâtiment a fait l’objet d’un engouement pour l’efficacité énergétique plus important que d’autres secteurs de par son gisement d’économies d’énergie et la maturité de ses acteurs. La thèse de J. Villot a montré que le facteur 4 peut se définir comme un objectif fractal, faisant référence selon l’échelle étudiée à deux objectifs différents mais reliés : le facteur 4 climatique (à l’échelle nationale) et le facteur 4 énergétique, défini comme la réduction d’un facteur 4 des consommations énergétiques moyennes d’un bâtiment. Malgré l’engouement incontestable du secteur pour l’efficacité énergétique, la transposition pratique d’objectifs d’améliorations théoriques se heurte à la complexité du système et des jeux d’acteurs. Cette complexité est due à la diversité du bâti mais aussi, et surtout, aux nombreux acteurs qu’il est nécessaire de mobiliser pour un véritable changement des pratiques aux différentes phases du bâtiment. Dans ce contexte, l’objectif de cette thèse était d’identifier les freins et leviers d’action rencontrés par les acteurs pour atteindre le facteur 4 dans le bâtiment ?

Figure 28. La Tour Borie, à Saint-Etienne, qui a servi de terrain d’expérimentation à la thèse de J. Villot (crédit photo : Cité Nouvelle)

Le département de la Loire a été choisi comme terrain d’étude pour une vingtaine d’entretiens en face à face avec des professionnels du bâtiment. La transposition des enseignements à l’ensemble de la France s’est effectuée grâce à un questionnaire semi-directif

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auquel ont répondu plus de 200 acteurs professionnels français du bâtiment. Ces enquêtes qualitatives et quantitatives ont permis d’identifier et classer 24 types de freins, relevant de problématiques financières, techniques, réglementaires et comportementales, ainsi que les principaux leviers pouvant permettre de les contourner. Au travers des discours et résultats obtenus, les contraintes financières et comportementales apparaissent prépondérantes pour les acteurs interrogés. Malgré tout, l’enchevêtrement des freins et l’interrelation de ces derniers entre catégories imposent une conclusion : le système actuel, face aux contraintes du facteur 4, nécessite non pas une adaptation voire une évolution mais une refonte des modes de penser et de faire (Villot 2012). L’association Negawatt propose une approche en trois étapes pour orienter une telle refonte (Salomon, Jedliczka & Marignac 2012):

La « sobriété » vise à interroger les besoins en énergie afin de "faire les bonnes choses" et supprimer les gaspillages coûteux inutiles à tous les niveaux de l'organisation de la société. Cela peut par exemple se traduire par des améliorations de l'organisation (dans le temps et l'espace) afin de réduire les transports (de personnes, biens et énergie), limiter les pertes et les dépenses énergétiques et de matières premières inutiles.

« L’efficacité » vise à "faire bien les choses". Une fois que le besoin est précisé, il faut y répondre de la façon la plus efficace possible. Cela peut se traduire par des choix technologiques sur des équipements efficaces (en prenant en compte le couple investissement + fonctionnement et pas seulement le montant d’investissement), l’amélioration des rendements des appareils existants.

Enfin, les deux premières étapes ayant permis de réduire significativement les consommations, il s’agit, pour répondre aux besoins énergétiques incompressibles, de privilégier les énergies renouvelables et décentralisées.

J. Villot a pu préciser cette démarche en montrant la nécessité d’ordonnancer les notions de sobriété et d’efficacité. La sobriété de conception constitue en effet une étape préalable à l’efficacité énergétique du bâtiment. Mais les performances du bâtiment ne seront effectivement améliorées que si les usagers s’engagent dans des démarches de sobriété d’utilisation, rendue possible par une meilleure conception du bâtiment. La recherche-intervention, menée par J. Villot sur le territoire de Saint-Etienne Métropole, a couplé plus d’une centaine d’entretiens auprès de locataires de 3 logements sociaux faisant l’objet d’un projet de rénovation de bâtiments habités avec des simulations thermiques dynamiques des bâtiments. Les utilisateurs, acteurs incontournables du projet, conditionnent la sobriété à l’amélioration des niveaux de performances du logement et à une augmentation de leur niveau de confort. Les simulations thermiques dynamiques sur trois variables d’utilisation (température, taux d’occupation, fermeture des volets) ont montré que cette sobriété d’utilisation pourrait permettre une division par deux des consommations du bâti (Villot 2012).