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2. Des enjeux environnementaux planétaires et locaux

2.1 Diffusion et mobilisation des connaissances sur les enjeux environnementaux

2.1.3 De l’information à la connaissance

Depuis le constat de la rationalité limitée du décideur (par H. Simon en 1955) et jusqu’aux années 1990, de nombreux travaux de recherche se sont intéressés à l’utilisation de l’information dans l’organisation, que ce soit en sciences de gestion ou en sciences de l’information. Ainsi que nous l’avons souligné précédemment, ces travaux se situent souvent dans le cadre d’une vision managériale, et plus particulièrement, relèvent de la théorie des systèmes (inspirée par exemple des travaux de J.L. Lemoigne, L. Von Bertalanffy, etc.). Cette vision occidentale dans laquelle s’inscrivent les travaux de management a été remise en cause, dans la fin des années 90, par les travaux de chercheurs japonais (Nonaka, Takeuchi 1997). La vision occidentale considère en effet l’organisation comme une boîte noire, qui collecterait à l’extérieur de l’information puis la transformerait pour résoudre un problème et s’adapter à son environnement afin d’atteindre un objectif donné. Selon ces auteurs japonais, cette vision statique et passive de l’organisation ne permet pas de cerner la dynamique des processus de création de la connaissance (Nonaka, Toyama & Konno 2000). Selon eux, les organisations ne se contentent pas de résoudre des problèmes, mais créent et définissent des problèmes, développent et utilisent des connaissances nouvelles. L’organisation n’est donc pas seulement une machine qui traite de l’information, mais une entité qui crée de la connaissance à travers l’action et les interactions (Nonaka, Toyama & Konno 2000).

La connaissance est définie par Nonaka et al. comme « un processus humain dynamique qui

conduit à justifier ses croyances personnelles vers une “vérité » » (Nonaka, Toyama & Konno 2000)

(notre traduction). « La connaissance exprimée sous forme de mots ne représente que le sommet de

l’iceberg » (Nonaka, Toyama & Konno 2000). La connaissance est donc par essence humaine,

et liée aux actions des hommes. Elle est dynamique car issue d’interactions sociales entre les individus et les organisations. Elle est contextualisée car elle est spécifique à un moment et un lieu donnés. Hors de son contexte, il s’agit d’information et non de connaissance.

L’information se transforme en connaissance quand elle est interprétée par un individu, dans un contexte donné, et ancrée dans les croyances et les valeurs de cet individu. Ainsi la connaissance est relationnelle. « La connaissance est profondément enracinée dans l’action et

l’expérience d’un individu autant que dans ses idéaux, ses valeurs et ses émotions » (Nonaka,

Takeuchi 1997).

Selon Nonaka et al., il y a deux types de connaissances : les connaissances explicites et les connaissances implicites. Les connaissances explicites peuvent être exprimées en langage formel et systématique. Elles peuvent être partagées sous la forme de données, formules scientifiques, spécifications, manuels, etc. Elles sont donc facilement traitées, transmises et conservées. Inversement, les connaissances implicites sont quant à elles propres à chaque personne et difficiles à formaliser : idées subjectives, intuitions et pressentiments, par exemple. Elles sont également fortement ancrées dans l’action, les tâches quotidiennes, les engagements, idéaux, valeurs et émotions. Il est ainsi difficile de les communiquer aux autres de façon formelle. Par contre, ce sont aussi des connaissances que l’on peut partager sans les expliciter.

Nonaka et al. définissent quatre modes d’échanges de connaissances : la socialisation, l’extériorisation, la combinaison puis l’intériorisation.

Figure 6. Transferts de connaissances explicites et tacites (d’après (Nonaka, Toyama & Konno 2000))

Le processus de création de nouvelles connaissances implicites est nommé « socialisation » par Nonaka et al. (2000). En effet, l’échange de connaissances implicites émerge d’expériences partagées (apprentissage manuel, par exemple), d’échanges sur les différentes visions du monde.

Le passage de connaissances implicites en connaissances explicites est nommé

« extériorisation ». Cela permet une cristallisation de la connaissance qui peut ainsi plus

facilement être partagée et être une base pour le développement de nouvelles connaissances.

Socialisation Extériorisation Empathie Articulation Intériorisation Combinaison Appropriation Connexions Implicite Explicite Implicite Explicite

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Le processus de « combinaison » permet de transformer de la connaissance explicite en jeux de connaissances plus complexes et systématiques.

Ces deux processus – extériorisation et combinaison – nous semblent être ceux sur lesquels reposent, par exemple, les démarches dites de « Knowledge-Management », définies par (Sene 2000) comme « l’ensemble des pratiques de rationalisation des savoirs, autrement dit l’ensemble des démarches, méthodes et outils facilitant la création, la diffusion et le renouvellement des connaissances

consubstantielles d’une action collective jugée performante ».

Le processus « d’intériorisation » permet de s’approprier des connaissances explicites sous la forme de connaissances implicites (apprendre en faisant soi-même, par exemple).

Ainsi, les travaux de Nonaka et al. montrent que si la formalisation des connaissances (sous forme électronique, par exemple) est nécessaire et peut permettre une diffusion plus large des connaissances explicites, cet outil ne peut suffire pour une appropriation individuelle et collective des connaissances. Dans un article précédent (Von Krogh, Nonaka & Ichijo 1997), I. Nonaka, G. Von Krogh et K. Ichijo plaidaient pour l’introduction de « militants de la

connaissance » (notre traduction de « knowledge activists ») comme facilitateurs du partage et

de la création de la connaissance.

Leurs travaux, comme la plupart des travaux de recherche portant sur le sujet de la connaissance d’ailleurs, ont pour finalité d’aider les organisations (et en particulier les entreprises) à optimiser leurs performances. Performances a priori évaluées selon des critères économiques. Les travaux de recherche portant sur la gestion de la connaissance dans un cadre social plus large et en vue de la durabilité écologique nous semblent plus rares.

Nous avions initié une telle réflexion dans le cadre de notre thèse de doctorat portant sur le système de diffusion de l’information environnementale à destination des PME. V. Soulignac s’est inspiré de nos travaux pour poursuivre la réflexion quant à lui dans le domaine de l’agriculture durable (Soulignac 2012).

Si les travaux de recherche sur la gestion de la connaissance en vue de la soutenabilité écologique nous semblent peu nombreux, nombreuses sont les initiatives, anglophones comme francophones, de mise à disposition de l’information dans ce domaine, en particulier sur le support d’internet. Certains sites et portails internet sont mis en place par les acteurs publics (http ://www2.ademe.fr/servlet/getDoc?id=11433&m=3&cid=96 , http ://www.toutsurlenvironnement.fr/, base de données statistiques http ://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/, etc.). D’autres, que nous ne citerons pas ici, sont publiés par des entreprises. Mais la majorité sont portés par des associations, ayant des audiences diverses selon leurs thèmes et leurs spécificités :

communauté francophone (http ://www.mediaterre.org), grand public

(http ://www.ritimo.org/, http ://www.encyclopedie-dd.org , etc.), experts (http ://www.global-chance.org, par exemple), universitaires ( http ://www.uved.fr/ ), militants (http :// http ://www.ecologitheque.com/, par exemple), pour n’en citer que quelques-uns à titre illustratif.

Cependant, les travaux de Nonaka nous montrent la limite des systèmes d’information sur support informatique. Si ces systèmes peuvent contribuer à la phase de combinaison,

l’appropriation des connaissances doit se faire par d’autres vecteurs. En particulier, il semble indispensable de faire transiter les connaissances par des êtres humains, des facilitateurs du partage et de la création des connaissances en soutenabilité.