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Introduction : évaluation et représentation des enjeux environnementaux

environnementaux

« Il faut que l’on se partage Tant de nature à soigner Il faudrait que l’on ménage La Terre et ses subtilités » Les Ogres de Barback, A vous la Terre, 2013

La préoccupation centrale guidant mes travaux de recherches est le postulat que les impacts sur l’environnement de nos modes de production et de consommation viennent mettre en péril nos sociétés elles-mêmes. L’environnement est ici pris dans son acception la plus large, incluant les ressources et milieux naturels, mais aussi les êtres qui y vivent, y compris les humains eux-mêmes. De nombreux travaux scientifiques viennent aujourd’hui étayer ce postulat : GIEC (Parry et al. 2007), (GIEC 2013), Millenium assesment (Millennium Ecosystem Assessment 2005), (Barnosky et al. 2011), pour ne citer qu’eux. Ce postulat peut être considéré comme une hypothèse directrice pour mes travaux de recherche qui ne visent pas à tester sa validité. Dans ce contexte, nous nous positionnons dans le cadre d’un questionnement visant à identifier les changements qui seraient nécessaires pour réduire ces impacts sur l’environnement ainsi que les conditions de mise en œuvre de ces changements. Notons bien cependant qu’il ne s’agit là que d’un cadre de questionnement : il est évident qu’un chercheur seul ne peut avoir l’ambition de répondre à ces vastes et complexes questions ! En particulier, des changements sont nécessaires à de nombreuses échelles : du niveau mondial ou "macro" (à l’échelle des Nations, voire du Monde, relevant du domaine de la macro-économie, par exemple) jusqu’au niveau local ou "micro" (échelle des collectivités locales, des organisations, voire des individus). Cela implique donc de nombreuses disciplines (macro-économie, géographie, sociologie, gestion, sciences dites pour l’ingénieur, etc.) et de nombreux domaines (modes de production, modes de consommation, mobilité, bâtiments, modes de vie, agriculture, etc.).

Au sein de ce contexte très large, une autre ligne directrice de mes travaux de recherche est dictée par le cadre des Ecoles des Mines dans lequel s’inscrivent ces travaux : d’une part, un ancrage important dans le territoire d’implantation de l’Ecole (la région Rhône-Alpes) et d’autre part une recherche connectée avec les problématiques concrètes des acteurs territoriaux.

Ainsi, mes travaux se positionnent dans une démarche de recherche-intervention, visant à aider les acteurs territoriaux à prendre conscience des impacts de leurs activités sur l’environnement afin de les aider à les identifier et les quantifier et, in fine, les encourager à les réduire.

L’objet d’étude commun à l’ensemble de mes recherches est l’organisation. Organisation qui peut être de droit public, à vocation territoriale (collectivités locales, services déconcentrés de l’Etat, Parc national) ou de droit privé (entreprise). Pour observer ces organisations, deux approches complémentaires ont été principalement développées selon les travaux de recherche : approche "site" ou organisation dans son ensemble [par exemple (Delchet 2006), (Ponrouch 2008), (Moreau 2012)] ou approche "projet" : projet d’aménagement [(EL BOUAZZAOUI 2008), (Le Féon et al. 2012)], de développement de produit (Guilloux 2009) ou de rénovation de bâtiments (Villot 2012)). Ces objets sont liés. Le centre SITE (Science, Information et Technologie pour l’Environnement) où se sont déroulées la majorité de ces thèses co-encadrées, avait en effet pour objet de recherches l’interface entre les entreprises et leur territoire. L’entreprise est ainsi vue comme un acteur du territoire. Acteur économique, parfois politique, mais aussi physique au sens où elle prélève dans les milieux des ressources naturelles, et y rejette des polluants.

Ainsi, nous faisons l’hypothèse que le rôle de l’entreprise, que son activité soit industrielle, de service ou plus directement liée à l’aménagement (travaux publics, bâtiment), a un impact sur le territoire tant dans sa dimension identitaire, matérielle (en particulier en tant que milieu et "fournisseur" de ressources naturelles), que fonctionnelle (en tant qu’acteur) (Laganier, Villalba & Zuindeau 2002), et que ces impacts méritent d’être étudiés pour interroger la durabilité de nos modes de consommation et de production.

Réciproquement, le territoire est principalement observé, dans nos travaux, sous l’angle des collectivités locales ou administrations qui le gèrent et l’aménagent. Nous ne faisons pas l’hypothèse que ces organisations se comportent de la même façon que les entreprises privées. Cependant, nous faisons l’hypothèse que certaines méthodologies d’analyse ou d’évaluation des enjeux sociaux et environnementaux, développées en premier lieu pour des entreprises peuvent s’appliquer, sous réserves de modifications et de conditions d’utilisation à préciser, aux organisations publiques territoriales telles que les collectivités locales ou les administrations.

La notion de développement durable apparaît centrale dans nos travaux. La plupart des premiers projets sur lesquels nous avons travaillé ont été initialement impulsés par Christian Brodhag, ardent promoteur, en France, de cette notion. Nous sommes bien conscients des ambiguïtés liées à son appropriation et des critiques pouvant être adressées à cette idée

« drapée dans une rhétorique vertueuse et salvatrice », mais qui « n’en consacre pas moins

l’économisation du monde, à la base des problèmes socioécologiques actuels » (Sauvé 2011). Nous

retiendrons principalement de cette notion deux éléments qui sont a priori consensuels : le principe de solidarité intergénérationnelle et celui de transversalité (Boutaud, Gondran 2009). Et nous l’utiliserons comme élément potentiellement "déclencheur de changement" pour certains acteurs et clé d’entrée pour « l’espoir d’un changement vers une meilleure prise en

compte des enjeux socio-écologiques » (Sauvé 2011). Dans la mesure du possible, nous essaierons

cependant d’éviter, tout au long de ce manuscrit, l’utilisation de ce terme souvent jugé comme trop englobant (« qui trop embrasse mal étreint ») afin de gagner en précision dans nos propos.

Dans ce contexte scientifique, deux activités de recherche se sont déroulées en complémentarité : montage et réalisation de projets de recherche partenariaux (soit effectués

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pour le compte de partenaires publics ou privés, soit financés dans le cadre de programmes de recherche nationaux ou européens) et encadrement de travaux de recherche (stages de master recherche et doctorants). Si, la plupart du temps, les travaux des étudiants de master recherche étaient directement liés à des projets de recherche, les travaux de thèse peuvent :

- soit être financés par des partenaires extérieurs (thèses de A. Boutaud, G. Guilloux cofinancées par l’ADEME et S. Le Féon, financée par EDF, par exemple) et/ou être directement liés à des projets partenariaux (thèse de K. Delchet en partenariat avec CAP-AFNOR, thèse de S. Dumoulinneuf en partenariat avec CASINO, par exemple),

- soit donner lieu à un contrat de recherche au cours de la thèse, afin de permettre au doctorant d’avoir un terrain d’études : par exemple, partenariat avec l’entreprise Casino IT dans le cadre de la thèse de V. Moreau, partenariat avec l’entreprise sociale de l’habitat Cité Nouvelle dans le cadre de la thèse de J. Villot.

- soit être déconnectés de tout projet partenarial afin de laisser une plus grande liberté au doctorant et permettre de mener une réflexion de fond ou un développement méthodologique (thèses de N. Lourdel et I. El Bouazzaoui, par exemple).

Globalement, nos travaux de recherche se positionnent autour de trois axes complémentaires de recherche : expérimenter des pratiques dans une optique de meilleure prise en compte, par les acteurs territoriaux, des enjeux sociaux et environnementaux ; développer des méthodologies permettant d’évaluer les pressions environnementales et le niveau de prise en compte des enjeux sociaux et écologiques et transmettre les enjeux et méthodes pour tendre vers une meilleure prise en compte de l’environnement (pédagogie du développement durable) :

Les travaux entrant dans le cadre de l’Expérimentation de pratiques dans une optique de prise en compte des enjeux sociaux et écologiques, ont été réalisés en coopération étroite avec des acteurs de terrain, dans le cadre de démarches de recherche-intervention. Les principaux projets menés sur ce thème visent à accompagner différents types d’acteurs territoriaux, souvent sur leur propre initiative, dans des démarches visant à mieux prendre en compte l’environnement (mise en place d’un système de management environnemental pour un chantier routier avec le service Transports et Infrastructures de la DDE 42, par exemple), à mettre en place des démarches de responsabilité sociétale (diagnostics et accompagnements de PME vers une démarche de responsabilité sociétale, dans le cadre de l’expérimentation du guide SD 21000 réalisé en partenariat avec l’AFNOR), ou la promotion de l’efficacité énergétique (divers projets avec l’ANAH de la Loire, la Société d'Equipement et de Développement de la Loire et une Entreprise sociale de l’habitat) ou, plus largement, à mieux cerner les enjeux liés au développement durable (différents partenariats avec Saint-Etienne Métropole dans le cadre de la mise en place de leur agenda 21 puis du Plan Climat Energie Territoire). Cet axe a donné lieu en particulier aux publications (Brodhag, Gondran & Delchet 2004), (Gondran, Fontaine 2006) et (Delchet, Gondran & Brodhag 2008).

Les travaux visant le développement de méthodologies d’évaluation des pressions environnementales et du développement durable ont permis de développer des méthodologies d’évaluation basées sur les méthodes de l’empreinte écologique, l’ACV ou l’analyse multicritère pour des entreprises (CASINO IT, SAUR) ou des établissements publics (EPASE, Parc National de la Vanoise). Il a conduit à un référencement IDDN auprès de l’Agence de Protection des Programmes et a donné lieu par exemple aux publications (Gondran et al. 2000), (Boutaud, Gondran & Brodhag 2006), (Boubaker, Djebara & Gondran 2008), (Gondran, Boutaud 2008),(Boutaud, Gondran 2009), (Boubaker, Djebara & Gondran 2011), (Villot, Gondran & Laforest 2011), (Gondran 2012),.

La question de la pédagogie du développement durable m’a interrogée assez rapidement en tant qu’enseignante. En effet, les cours portant sur la prise en compte de l’environnement par les entreprises et le développement durable, dont j’ai été chargée en tant que jeune enseignante-chercheur, était nouvellement introduits dans les cursus académiques. Je devais donc, d’une part, créer le contenu de ces nouveaux cours, mais également définir leur forme pédagogique. En effet, ces thèmes posent des questions morales et éthiques qui ne peuvent être occultées et face auxquelles les approches pédagogiques classiques me semblaient inadaptées aux apprentissages en termes de "savoirs êtres" et de "savoirs-faires" que je souhaitais transmettre. Probablement pour ces mêmes raisons, le centre de recherche SITE était déjà très en avance sur le thème des innovations et simulateurs pédagogiques. En effet, des travaux étaient menés sur ces sujets depuis les années 80 par le Professeur Philippe Davoine et, dans sa continuité, par Didier Graillot et Bruno Debray. Ce thème de recherche – intervention a principalement pour objectif de permettre une distanciation sur nos pratiques et innovations pédagogiques afin d’améliorer des pratiques pédagogiques qui doivent sans cesse évoluer du fait de sujets aux contours mouvants. Concrètement, il a en particulier été initié par une réflexion sur l’interdisciplinarité, tant en enseignement qu’en recherche lors de mon séjour post-doctoral de trois mois au sein du centre interdisciplinaire Energy and Resources Group de l’Université de Californie de Berkeley. Il a ensuite été approfondi grâce puis au co-encadrement de la thèse de doctorat de Nathalie Lourdel. Il est donc principalement motivé par une volonté de prendre du recul sur nos pratiques d’enseignants. Ce thème a donné lieu aux publications (Gondran, Kammen 2004), (Lourdel, N. 2005), (Gondran, Breuil 2005), (Lourdel et al. 2006) et (Lourdel et al. 2007).

Ce mémoire présentera, dans un premier temps, une synthèse bibliographique sur l’évaluation et la représentation des enjeux environnementaux pour des transitions écologiques et énergétiques. A cette fin, nous dresserons d’abord le contexte de cette évaluation en évoquant brièvement certains enjeux environnementaux planétaires et locaux. L’objectif de l’évaluation étant de fournir des informations aux décideurs, nous nous pencherons ensuite sur la problématique de la diffusion et la mobilisation des connaissances, en nous concentrant plus particulièrement sur les connaissances liées aux enjeux

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environnementaux. Nous évoquerons ensuite la notion d’évaluation environnementale stratégique en distinguant les notions d’impacts et d’enjeux environnementaux. Nous présenterons ensuite les outils de comptabilité environnementale sur lesquels reposent nos recherches. Nous aborderons le lien entre l’évaluation et la notion polysémique de valeurs, afin de montrer en quoi le choix d’un outil d’évaluation plutôt qu’un autre ne peut être considéré comme totalement dénué de subjectivité. Ces réflexions nous amèneront à expliciter deux postulats qui nous semblent être au cœur de notre positionnement de recherche :

- L’évaluation environnementale peut être perçue comme un moyen de construire de nouvelles représentations de l’environnement afin d’amener les acteurs à prendre en compte certaines préoccupations qu’ils n’envisageraient pas spontanément.

- Nous essaierons d’éviter de développer des outils d’évaluation reposant, de façon plus ou moins implicite, sur le postulat de substituabilité entre capital naturel et capital humain.

Ce paysage général étant dressé, nous présenterons ensuite plus en détail notre positionnement scientifique, reposant sur une approche interdisciplinaires basée sur la recherche-intervention. Bien que pouvant sembler à première vue dispersés sur des thèmes, et des approches, différents mais complémentaires, nos divers travaux de recherche suivent plusieurs orientations communes :

- Ils se situent à l’interface entre les outils de niveau "macro" (au niveau de la nation, par exemple) et les outils d’évaluation au niveau "micro" de chaque organisation.

- Ils s’appuient sur des approches de comptabilité environnementale basées sur les consommations des systèmes étudiés (et non sur leurs seules émissions directes).

- Ils ont vocation à proposer, aux acteurs impliqués, un élargissement de leurs critères de décision à partir des approches multicritères ou représentant les flux biophysiques.

Nous présenterons ensuite les apports de nos principaux projets de recherche, déclinés selon le type de méthodologie mise en œuvre :

- Les outils de comptabilité environnementale basés sur les méthodes d’analyses de risques

- Les outils d’évaluation qualitative à base d’indicateurs

- Un focus spécifique sur les questions énergétiques

- Les méthodes quantitatives de représentation d’indicateurs (reposant sur les méthodologies d’analyse multicritère et/ou sur les méthodologies de type ACV)

- Les travaux portant sur l’empreinte écologique

Nous prendrons ensuite un peu de distance sur ces travaux en évoquant nos difficultés à trouver un équilibre entre, d’une part, approche normative versus approche constructiviste et, d’autre part, entre précision scientifique versus la simplification souhaitée par les usagers des outils proposés. En nous appuyant en particulier sur les travaux de G. Bouleau et F. Jany Catrice, nous présenterons également quelques limites de l’évaluation environnementale.

Nous reviendrons ensuite sur la démarche d’interdisciplinarité intrinsèque à ces travaux en présentant et illustrant quelques principes qui guident la méthodologie de recherche que nous souhaitons essayer de transmettre.

Enfin, nous présenterons nos perspectives de recherche qui s’inscrivent dans une volonté de proposer aux acteurs des outils de comptabilité environnementale visant à guider les transitions écologiques et énergétiques. Ces perspectives se structurent autour de trois axes de recherche complémentaires et un axe transverse de réflexion.

Notre premier axe de recherche vise à appliquer des méthodes de comptabilité environnementale à d’autres systèmes complexes que ceux étudiés jusqu’alors dans nos travaux.

Le deuxième axe de recherche a pour objectif d’améliorer les outils d’évaluation existant dans une perspective d’aide à la décision.

Notre troisième axe de recherche propose une réflexion amont sur le choix de nouveaux indicateurs qui semblent nécessaires dans une perspective de transition, tant par la forme que par le fond du choix des indicateurs.

Enfin, nous ouvrons des pistes de réflexion transverses en nous interrogeant sur le lien entre le temps, la vitesse, l’accélération et la durabilité.

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