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2.2. Description commentée des conditions structurantes et des phases de la

2.2.1. Les 10 conditions structurantes

2.2.1.3. Un espace

Le lieu du cours de théâtre doit être assez vaste afin de permettre une liberté de mouvements ainsi qu’un confort relatif pour que puissent s’effectuer des exercices au sol.

Il doit également être en mesure d’accueillir un certain nombre de spectateurs à l’occasion des répétitions publiques ou des spectacles.

Le centre culturel Abdallah Benkeriou de Laghouat avait mis à la disposition du cours une grande salle avec scène en haricot courant le long du mur du fond, au parterre couvert en bois.

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C’est le public qui se déplaçait en milieu et fin de semestres pour voir les étudiants dans leur lieu de travail.

L’avantage considérable de cela réside dans le fait que la mise en scène de la pièce permettait une utilisation de tout l’espace de la salle et les déplacements sur scène et dont le public pouvait être calculé de manière très précise.

La scène en plancher, assez étroite mais occupant toute la largeur de l’amphithéâtre, bénéficiait d’un prolongement mobile à l’avant, sorte de passerelle, rapprochant les acteurs occupant la scène du public et augmentant ainsi les possibilités de mouvement.

La salle entière - scène + parterre - était aussi totalement investie par les acteurs qui sillonnaient le public parfois et jouaient sur les deux niveaux de spectateurs - haut et bas - afin d’entraîner ces derniers dans la dynamique de la représentation.

Cette variation des positions dans l’espace générait une participation très chaleureuse des spectateurs sans cesse surpris par les lieux des diverses interventions.

En guise d’exemple, Scapin, depuis la salle parvenait à faire taper des pieds le public pour effrayer Géronte enfermé dans son sac, mimant ainsi l’équipe de soldats menaçants imaginés par le valet qui bastonne son maître. Entraîné par l’acteur au milieu de ses rangs, le public participait au jeu avec enthousiasme.

Ce théâtre au cœur du public n’est pas une nouveauté mais il permettait une proximité stimulante pour les acteurs qui renforçaient encore la convention du spectacle en faisant agir le public dans la représentation. C’était parfois Géronte qui allait s’asseoir au milieu du public pour se plaindre : « Ah ! c’est la douleur qui me trouble l’esprit ». Et le : « mais que diable allait-il faire dans cette galère ? » bien connu, était répété de différents lieux, naviguant ainsi de la salle à la scène, prenant le public à témoin en l’enroulant dans le leitmotiv, l’incluant ainsi dans le rythme de la parole scénique.

Pour Huis clos au contraire, le public représentait l’inaccessible monde des vivants à qui l’on s’adresse tout de même. La scène était donc utilisée en tant que limite. Tout au bord de la scène Estelle mime le meurtre de son enfant : « il y avait un balcon au-dessus „un lac. J’ai apporté une grosse pierre. », ou encore Estelle cherche à pousser Inès hors de scène : « Estelle, je t’en supplie, garde-moi. Pas dans le couloir, ne me jette pas dans le couloir ! ».

L’espace était partie prenante de la mise en scène et jouait un rôle différent selon les pièces.

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Le jeu de l’amour et du hasard était à l’instar des Fourberies de Scapin, une sorte de mise en mouvement du texte qui exploitait tous les possibles de l’espace sans souci de réalisme dans la mesure où une phrase pouvait être commencée à un bout de la salle et se terminer à l’autre extrémité sans que la concentration et la présence de l’acteur en soient affectées.

Cette élasticité du rapport parole-gestualité/espace, suscitait une dimension créative particulière, et les étudiants pouvaient inventer là de multiples modalités. Lisette suivant sa maîtresse en colère, les deux femmes parcouraient toute la salle en ménageant quelques arrêts brusques : Sylvia : « Mais encore une fois de quoi vous mêlez-vous ? Pourquoi répondre de mes sentiments ? » Lisette : « C’est que j’ai cru que, dans cette occasion-ci, vos sentiments ressembleraient à ceux de tout le monde. ».

L’échange des deux personnages s’effectue dans un véritable tourbillon qui donne dès le début la dimension spatiale de la pièce dans un parti-pris de représentation où la scène se prolonge dans la salle.

L’importance du lieu de travail est fondamentale autant pour des raisons de mise en scène, ou mise en espace, que pour les échauffements, les exercices d’improvisation et les discussions.

Ceux-ci pouvaient prendre place sur la moquette, les chaises étant déplaçables, ou sur la scène dont le plancher assurait un contact agréable. Les échanges avaient lieu également assis sur des chaises ou assis en cercle au sol et sur la scène.

La variation des lieux d’intervention permet de dynamiser les relations multi- directionnelles en décentralisant la place particulière attribuée généralement à l’enseignant.

Les étudiants ont à investir pleinement cet espace qui est leur, et cela leur donne un sentiment de confiance, développant la prise de risques et les initiatives utiles à un travail créatif.

La parole est également stimulée par la liberté de mouvement et les échanges existent à plusieurs niveaux pour différentes sortes de tâches, entre étudiants et entre étudiants et enseignant, dans un mouvement relationnel continu et sans cesse différent.

Le cours se voit transformé en espace ouvert où le public est accueilli à plusieurs reprises pendant le semestre, à l’occasion des répétitions publiques, des spectacles, et des quelques dernières répétitions générales. Les étudiants prenaient ainsi l’habitude d’un regard

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extérieur porté sur eux, et cela les aidait à acquérir de la confiance tout en prenant la vraie mesure de la vocation publique de l’acte théâtral.

Ce lieu, bien éclairé, muni de rideaux pouvait accueillir environ quatre cents cinquante personnes et où étaient apportées les costumes et le décor que les étudiants disposaient selon les exigences de la mise en scène seulement la veille du spectacle, lors de la répétition dans les lieux, qui était leur contact physique avec l’espace qu’ils devraient investir le lendemain.

En effet, cette difficulté rendait nécessaire une première visite au centre culturel en début de semestre afin que les étudiants puissent visualiser le lieu dans lequel ils auraient à transporter leur décor et leur mise en scène. Celle-ci ne pouvait pas, pour ces raisons, être réalisée en fonction du lieu de manière très élaborée, et cette impossibilité était compensée par davantage d’improvisation, l’essentiel étant que les étudiants se sentent libres dans cet espace et puissent communiquer leur joie de jouer leurs personnages.

Malgré ces inconvénients importants au niveau de l’exploitation créative de l’espace dans la mise en scène représentée, le Centre Rencontre offrait l’avantage d’être un lieu de travail qui se transformait en lieu d’accueil pour nos étudiants, grâce aux organisateurs qui leur donnaient toutes les facilités pour des répétitions en dehors des cours. Les décors pouvaient également y être préparés et de nombreux éléments étaient même prêtés : parasol, table, tabourets, bûches de bois, grille, vaisselle, etc.

La mise en espace du texte était pensée dans ce cadre, à une échelle plus petite, et le décor prévu pour. Un exemple précis à ce sujet est le travail de décor réalisé sur de très longues toiles que les étudiants avaient peintes à l’occasion de la mise en scène du Voyage de Monsieur Perrichon, immense train avec fenêtres que les étudiants décollaient du mur en fin d’acte I et « faisaient marcher » en laissant dépasser leurs têtes par les issues et en avançant, effectuant ainsi plusieurs passages dans le public.

L’effet réussi le premier soir du spectacle, donna une impression plus étriquée, quand, pour des raisons de priorité donnée aux programmes culturels du centre, la salle fut occupée une semaine avant le spectacle, et ce dernier dût être produit à l’un des amphis de l’université en milieu d’après-midi, avec très peu de spectateurs à la seconde représentation.

Ici se confirme l’importance d’avoir un lieu réservé au cours pouvant accueillir le public, car l’énorme travail de préparation de la pièce ne doit pas être dévalorisé, ce qui entraînerait une déception des participants ayant mis tant d’enthousiasme dans les efforts qui les ont conduits à la gratification finale du spectacle.

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Pour ce qui concerne le travail de répétitions, le centre culturel était pleinement suffisant au niveau des exercices corporels et d’improvisation. Les discussions aussi pouvaient être menées sans aucune forme de gêne.

La pratique théâtrale proposée s’inventant des dans conditions spécifiques puisqu’il s’agit d’une pédagogie, la question reste posée de la qualité du lieu dans lequel peut se situer ce travail, à savoir : équipement en lumière, scène, etc. afin qu’il soit pris en considération dans la singularité de ce qu’il propose et qu’il puisse bénéficier des facilités utiles à son bon déroulement.

En travaillant ainsi leur mouvement en fonction de l’espace global de la salle, les étudiants acquéraient une grande force dans leur interprétation et les quelques appréhensions liées à cette très grande proximité du public se convertissaient rapidement en stimulation et plaisir de jouer, dans cette relation magique et empathique au spectateur.