• Aucun résultat trouvé

2.2. Description commentée des conditions structurantes et des phases de la

2.2.1. Les 10 conditions structurantes

2.2.1.6. Relais des personnages et découpage de la pièce

Afin qu’il n’y ait pas de grands rôles et de petits rôles, chaque étudiant doit interpréter plusieurs personnages.

En plus d’une participation maximale des membres du groupe tout au long de la pièce grâce à une équité dans la quantité de texte à travailler, ce principe permet une meilleure appréhension de l’œuvre. La mise en scène est conçue dans un relais au cœur des personnages: les acteurs jouant le même rôle se remplacent au cours de la représentation. Le parti-pris est expliqué au public avant le spectacle où chaque personnage présente la manière dont il sera vêtu afin que les spectateurs puissent le reconnaître sur le corps de différents acteurs.

Par exemple : M. Perrichon portera un pantalon rayé et une veste noire, Mme Perrichon une robe bleue à pois blancs, Henriette une robe claire à col blanc, Armand une veste noire et une cravate rouge, Daniel une veste claire et une pochette rose, etc.

Le repérage étant fait, les spectateurs ne s’étonneront pas des différences de taille ainsi que de l’immobilisation soudaine et de la disparition d’un personnage en train d’être relayé par un autre comédien.

Selon les nécessités de la pièce, les transitions se font de manière simultanée - plusieurs personnages sont relayés en même temps à la fin d’un acte ou d’une scène - ou progressivement : le jeu continue et un acteur soudain s’immobilise tandis qu’un autre vient le remplacer en prenant la même posture et poursuit le mouvement pendant que l’autre s’éclipse discrètement.

Ce procédé, sur lequel repose toute la dynamique de jeu, permet aux apprenants de travailler profondément plusieurs personnages en faisant l’effort d’interpréter également ceux

91

qui représenteraient plus de difficulté pour eux. Cet exercice donne de très bons résultats dans la mesure où il permet d’approfondir la recherche de l’interprétation et de comparer les différents styles des acteurs qui ne doivent pas chercher à s’imiter mais au contraire à personnaliser leur interprétation en tenant compte de l’énergie contenue dans le rôle.

Des discussions de groupes du même personnage peuvent s’établir, où sont confrontées les diverses opinions, afin d’éviter tout contre-sens visible dû à une lecture insuffisante du texte.

La liberté d’interprétation est requise à partir du moment où les étudiants ont pu reconnaître l’essence commune du personnage présente dans l’œuvre.

Ce travail nécessite une grande écoute et une observation attentive des actions et situations inventées au fil des répétitions où chaque apprenant manifeste sa solidarité aux autres en participant aux discussions critiques et en apportant de nouvelles propositions qui font progresser le travail collectif concernant chacun au plus près.

Ce procédé de relais d’acteurs au sein des personnages entraîne un découpage du texte ainsi réparti dans le groupe selon les désirs de chaque étudiant.

Une première répartition des rôles s’effectue lors d’un tour de table où les étudiants se déterminent pour des personnages mineurs ou majeurs - la pièce n’étant pas encore complètement connue, c’est le hasard qui fait les choses tout d’abord. Puis, un second tour de table permet à ceux qui ont hérité de petits rôles d’en choisir de plus conséquents, jusqu’à répartition de tous les rôles et satisfaction des étudiants quant à leur quantité de texte.

Un équilibre se réalise ainsi progressivement grâce au groupe capable de répondre aux doléances et aux désirs de chaque étudiant en rectifiant les inégalités qui pourraient se présenter.

Ce principe, on ne peut plus démocratique, est très apprécié dans la mesure où, dès le départ, aucune différence n’est faite entre apprenants de niveau d’expression plus ou moins avancé.

L’esprit de la pratique proposée est de donner à chacun la même chance de pouvoir travailler et d’arriver à un résultat satisfaisant en fin de semestre.

Cette pédagogie de la participation maximale et permanente tout au long de la réalisation de la mise en scène entraîne une ambiance de travail très autonome et solidaire et l’on constate une nette progression de la soudure du groupe au fil des semaines ainsi qu’un plaisir grandissant de travailler ensemble.

92

En plus de la responsabilisation et de la démocratie qui en découlent, l’avantage de cette répartition des rôles et du découpage consécutif du texte réside dans le pouvoir du groupe de résoudre des problèmes de dernière heure -en cas d’absence ou de maladie d’un étudiant - en effectuant une rapide division du rôle entre plusieurs apprenants. Les nouvelles parties à apprendre ne sont pas très longues pour chaque volontaire qui accepte de compenser ainsi la défection.

Cette dimension de flexibilité du procédé permet également à certains étudiants trop ambitieux au départ de réduire leur rôle et d’en proposer une part à d’autres désireux d’augmenter leur participation en quittant une certaine timidité.

Les rôles sont abordés avec désir dans la mesure où ce sont les apprenants qui les choisissent au cours du découpage de la pièce réalisé collectivement. Ce facteur choix est fondamental pour l’esprit du travail qui vise au maximum d’autonomisation et d’implication pour que la prise en charge de l’apprentissage passant par un rapport singulier à l’œuvre dans une organisation collective, puisse pleinement se réaliser.

Le découpage du texte s’effectue de différentes manières selon la structure de la pièce et l’effectif des étudiants.

Pour que les étudiants puissent commencer à travailler en même temps par petits groupes autonomes, il est souhaitable d’adapter la réalité du nombre d’apprenants à la constitution de ces groupes afin que chacun puisse y trouver une place. Selon les nécessités de ce principe, la pièce est divisée en parties ou selon les scènes de manière chronologique ou non.

La suite du travail progressera par étapes jusqu’à ce que l’ensemble soit complété et constitue le continuum de la mise en scène.

Un travail linéaire du texte n’est pas toujours favorable à cette organisation motrice et parfois les étudiants abordent dès le début, des scènes de la fin de la pièce. Il faut pour cela que les lectures aient été suffisantes pour qu’ils soient capables de comprendre l’action au point de leur intervention.

Lorsque l’œuvre le permet, le travail peut s’amorcer dans une chronologie jusqu’à épuisement de l’effectif d’étudiants.

93

L’opération est parfois difficile et ne peut réussir qu’avec la coopération des participants qui en perçoivent les avantages pour tous. Certains, se sentant désavantagés par l’interprétation d’un petit rôle, trouvent satisfaction par la suite, lorsqu’un renouvellement de cette organisation pour une deuxième attribution de rôles, leur permettra de compenser un début modeste par une contribution ultérieure plus importante.

La motivation des groupes existe tout au long de la pièce dans la mesure où les étudiants sont toujours concernés et interviennent à différents niveaux de l’action en incarnant divers personnages.

Le travail par petits groupes - chronologique ou non - étant amorcé, le cours peut prendre son rythme normal de plages de recherche autonomes suivies de démonstrations au grand groupe ainsi que de discussions stimulées par le travail réalisé, à modifier ou à conserver, selon le jugement de l’ensemble des apprenants faisant office de metteur en scène collectif.

La création de petits groupes de travail permet aux apprenants de se réunir facilement en-dehors des cours pour faire progresser leur travail.

On constate une plus grande difficulté lorsque les scènes à pratiquer requièrent un trop grand nombre d’étudiants à la fois (cf. Le voyage de Monsieur Perrichon).

Les réunions sont alors rendues plus problématiques et ce fait peut être facteur de ralentissement de la dynamique du travail autonome.

Pour George Dandin au contraire, les petits groupes ont très bien fonctionné dès le départ et la pièce a bénéficié très tôt d’un bon rythme général sans partie affaiblissant l’ensemble à cause d’un manque de travail à l’extérieur des cours.

Quelle que soit la difficulté, c’est le groupe de participants qui la résout après l’avoir explicitée.

Le travail de jeu d’acteur et de mise en scène progresse dans les aléas des problèmes inhérents à toute organisation collective et selon les exigences de la réalité des personnes et des moyens. Le découpage du texte favorise la dynamique de groupe en permettant que se multiplient les échanges en classe et hors de la classe.

94

L’abord de plusieurs personnages donne aux étudiants une compréhension physique de l’œuvre dans sa complexité. L’observation et l’écoute qu’ils ont des interprétations diverses qui sont proposées par chaque participant est un enseignement important qui se passe d’explications. Observer, ressentir et agir sont les mots clé de la pratique théâtrale qui permet aux étudiants de développer leur sensibilité singulière dans un contexte favorisant représenté par le groupe, médiateur et constructeur.

Certaines pièces, comme La cantatrice chauve, permettraient au découpage du texte d’être utilisé très créativement et de constituer l’intérêt central de la mise en scène.

Par exemple, la première réplique de Mme Smith était partagée entre cinq acteurs et actrices dont les têtes émergeaient des trous d’un tissu, disant chacun une phrase et composant ainsi un monstre à plusieurs têtes s’adressant à un M. Smith impassible qui continue la lecture d’un journal.

Plus loin, un autre groupe du même personnage féminin prend le relais mais cette fois-ci, sept Mme Smith sont assises sur des chaises alignées et, tout en tricotant, prennent à tour de rôle la parole :

Mme Smith :

1. Mary a bien cuit les pommes de terre cette fois-ci.

2.

La dernière fois, elle ne les avait pas bien fait cuire.

3.

Je ne les aime que lorsqu’elles sont bien cuites. Etc.

« La tragédie du langage », telle que Ionesco l’exprime à travers ses antipersonnages, se prêtait parfaitement à une mise en scène qui, tout en respectant le texte prenait des libertés quant à sa distribution aux acteurs.

Lorsque la disproportion de la quantité de texte dit par Mme Smith se réduit, les couples des Martin et des Smith sont interprétés de façon normale, avec des transitions par groupes ou progressives selon les nécessités du jeu qui se poursuit dans différents endroits de la salle, l’attention des spectateurs étant chaque fois déplacée.

Des possibilités multiples existent grâce à ce principe qui a pour intérêt de maintenir une participation de tous les apprenants en donnant à la mise en scène un caractère spécifique.

95

L’avantage apparaissant aussi pour d’autres pièces, réside dans le fait que les personnages ainsi relayés ne souffrent pas d’une hyper-psychologisation de l’interprétation. Cela favorise la valorisation de la parole du texte par des voix d’acteurs prêtées aux divers personnages inventés par l’auteur.

La question peut être posée quant à la justification théâtrale de ce parti-pris d’origine pédagogique puisqu’il permet, contrairement au théâtre habituel, qu’il n’y ait pas de grands et de petits rôles mais des interventions en perpétuel roulement d’acteurs abordant plusieurs personnages.

La rencontre de la pédagogie et du théâtre donne forcément un caractère spécifique à la forme théâtrale qui en surgit et qui reste portée par l’espoir de transmettre au public solidaire de l’expérience, la parole d’une œuvre.