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Un autre espace de coopération : Saint-Étienne Métropole

C'est ensuite par le biais des nouvelle solutions que le dessin administratif évolue.

En effet le cadre communal est largement dépassé ; légitime et souvent bénéfique l’ancienne pratique stéphanoise est, depuis longtemps, probante : parc à Villars, prison à La Talaudière, station d'épuration à La Fouillouse, hôpital à Saint-Priest-en-Jarez. Il faut s'associer. Déjà grâce aux lois de 1890 (syndicat à vocation unique) et 1959 (syndicat à vocations multiples)

les communes ont largement eu le temps d'expérimenter les avantages de la coopération. Les Stéphanois et leurs voisins le vérifient quotidiennement en utilisant les transports en communs, en faisant ramasser leurs ordures ménagères ou en ouvrant leur robinet. Plus ou moins étendus ou compétents les syndicats se multiplient et s'enchevêtrent.

L'intercommunalité est en route mais la réforme de la fiscalité ne suit pas, ni la définition exacte des pouvoirs des maires et des nouveaux exécutifs. Selon Saint-Etienne les premières questions à traiter, transports en commun, eau et assainissement, ramassage des ordures ménagères, passage de l'autoroute A 45, relèvent d'une communauté de communes (loi de 1992), de plusieurs syndicats ad hoc selon la majorité des communes voisines. L'accord pourrait être trouvé par une autre formule déjà ancienne (loi de 1959), celle du district, aussi les communes les plus convaincues décident de forcer le destin.

Double déception, une affaire mal engagée

Andrézieux-Bouthéon (M Mazoyer), Saint-Priest-en-Jarez (M Chaboissier) et Saint-Etienne (M Dubanchet) lancent à l'été 1989, à la surprise générale, un projet de district urbain pour 39 communes. L'initiative part sans doute d'Andrézieux dont le maire, convaincu des avantages de la formule, préside l'Agence d'urbanisme. Saint-Etienne saisit l'occasion de renforcer son potentiel face aux ambitions lyonnaises. Après un départ qui paraît prometteur le projet échoue très vite parce que probablement conçu en catimini comme dit un de ses détracteurs qui refuse d'être mis devant le fait accompli. Au surplus la décision unilatérale de Saint-Etienne de relever le prix de l'eau puis la délégation du service eau-assainissement sont fort mal perçues par les communes périphériques desservies par la ville. La réplique c'est le Sicos (syndicat intercommunal des communes de la périphérie stéphanoise) créé en 1990, censé régler les questions d'aménagement en périphérie en particulier la question du prix de l'eau et en outre conçu plutôt pour contrer les velléités, supposées, d'envahissement par la ville centre ou l'arbitraire de ses décisions. Mais plus qu'un organe de proposition il a été agité par des querelles de politique locale, Saint-Priest-en-Jarez, favorable au district, n'en fut pas membre puis adhère en 1997. « La peur de nous faire manger nous a unis, mais s'unir c'est déjà beaucoup » a pu dire un de ses représentants. Un autre ajoute « Nous avons eu la chance d'échapper au district [...] nous ne sommes pas contre une coopération intercommunale [...]

nous sommes contre toute structure où la commune perdrait son identité. Face à la puissance de Saint-Etienne [...] nous ne pesons pas lourd » (presse locale 1991).

De son côté le préfet relance l'étude du schéma directeur qui devrait concerner 64 communes autour de Saint-Etienne, seule ville de cette taille ne disposant toujours pas d'un tel plan ! Les travaux du syndicat créé à cet effet en novembre 1991 (le Sepas) sont laborieux mais fructueux et bien suivis par de très nombreux élus et personnes qualifiées. La ville en même temps (1991) adhère à la Région Urbaine Lyonnaise. Fin 1993 un accord semble proche mais, entravée par des conflits entre la direction du projet, l'Agence d'urbanisme, sans oublier les habituelles manoeuvres politiciennes, la concertation débouche sur un nouvel et retentissant échec : la "Proposition pour le Schéma Directeur" présentée en décembre 1994 reste une proposition. Le préfet, pour confirmer la poursuite indispensable du projet, arrête cependant un périmètre d'étude englobant 54 communes. Il ne dépasse pas Andrézieux-Bouthéon et exclut la rive gauche de la Loire. Le Montbrisonnais résiste ! En 1995 Saint-Etienne, malgré son adhésion à plus d'une dizaine de syndicats intercommunaux, ne participe toujours pas à une structure fédérant sa région urbaine.

Il faudra attendre septembre 1994 pour que des contacts reprennent à propos de questions techniques : transports en commune, traitement des déchets, prix de l'eau. C'est l'amorce de la communauté de communes. Le Sicos disparaît le 22 novembre 2007 puis est remplacé par le Sidefer (15 communes et Saint-Etienne) chargé des questions de l'eau assainissement ainsi que des piscines.

Il est vrai que la nécessité d’un vaste regroupement est faible car la plupart des questions sont réglées au coup par coup, les maires s'en tenant le plus souvent à la saisie d'opportunités de financement et tenant à conserver leur autonomie, réelle ou non. La médiocrité du développement urbain et péri-urbain n'entraîne pas encore de difficultés majeures. La population totale de la région étant pratiquement stable, il ne s'agit que de réorganisation ou de retouches. Enfin sur un fond d'une grande hétérogénéité, héritée de l'histoire locale, les concurrences politiques ou personnelles ne facilitent pas l'élaboration d'une stratégie commune de développement. Néanmoins l'intercommunalité est au coeur de la campagne électorale en 1994-95 car la capacité de l'agglomération à se renouveler et à se faire connaître à l'extérieur est en cause. Les premières déclarations de M Thiollière (en fonction depuis 1994, élu en 95 et acteur convaincu de la coopératon communale) en font une nécessité vitale pour la ville : « l'agglomération stéphanoise (du Pilat à l'Ondaine et au Gier) constitue notre enjeu [...] pour devenir plus forts nous devons parler d'une même voix ». Le personnel politique communal, autour de la ville, s'est largement renouvelé et un compromis, jugé maintenant inévitable, est accepté à très peu d'exceptions près dont, paradoxalement, celle d'industriels déçus par l'aspect étriqué de la nouvelle structure. Une communauté de communes de taille réduite (22 communes, 26 en 1996) est créée par arrêté préfectoral du 21 décembre 1995.

D'une petite communauté à la grande nébuleuse urbaine.

L'échec du district et l'enlisement du Sepas servent de leçon. Le propos est plus modeste, les compétences plus limitées. La communauté participera en tant que telle au Schéma directeur, se consacrera à l'aménagement urbain, au développement économique (réserves foncières en particulier), à la qualité de l'environnement (traitement des déchets que matérialise pour tous la nouvelle poubelle jaune), aux transports. On vise la complémentarité entre l'action générale et celle des 22 communes adhérentes qui seront 27 en 2000. Dans le conseil de communauté qui gère sa propre fiscalité la ville centre dispose de la présidence et de 23 sièges sur 79 ; le premier budget, en 1996, ne s'élève qu'à 5,18 millions d'euros. Mais la voie est libre vers l'élargissement et une solidarité accrue. La dimension politique du maire de la commune centre s'en accroît d'autant ainsi que son horizon territorial.

Un pas très important est franchi en 1999 avec l'adoption du principe d'une taxe professionnelle unique qui sera mise en place progressivement. Une cause essentielle de la concurrence entre communes disparaît et facilite les choix d'aménagement urbain. Au fil des conseils, entre 1998 et 2000, de nouvelles questions sont soulevées et l'extension des compétences (développement de l'aéroport, requalification du Gier, politique des pôles industriels, réserves foncières) gagne du terrain malgré de fortes réticences des élus de l'Ondaine ou du Gier qui se plaignent d'un « grignotage insidieux » et d'un empiètement « sur toutes les compétences municipales » ; en juillet 1998 il est même observé que « les communes de l'agglomération n'ont pas à prendre en charge les dépenses de Saint-Étienne » (presse locale). Des syndicats sont alors rattachés à la communauté : Siotas (transports agglomération stéphanoise), Sitvag (transports du Gier), Simoc (zone Molina Chazotte) et en 1999 le Siater (aménagement de la zone de la Doa, vieille pomme de discorde au nord de la

ville) ainsi que des équipements dont le Musée d'Art moderne, la gestion des équipements du stade G Guichard, la voirie communautaire et certains parcs de stationnement.

Lors de cette phase de gestation la grande absence est celle de la plaine forézienne. Sur un fond de rivalités électorales, elle choisit de s'organiser de part et d'autre de la Loire sous l'oeil soupçonneux de Montbrison qui ne tient pas à voir l'influence stéphanoise déborder plus au nord. On refuse « de voir s'engouffrer dans le gigantisme stéphanois un trop grand nombre de communes de l'arrondissement de Montbrison » (Le Monde, octobre 1989). A l'est les réticences ne sont pas moindres. Le Gier est largement marqué par son ancienne appartenance à la mouvance lyonnaise qui s'exerce encore par une forte attraction sur la main d'œuvre à partir de Lorette. Le maire de celle-ci est d'ailleurs très attaché à l'individualisme communal, ne lui concédant que le syndicat à vocation unique et parlant de sa commune comme du dernier « village gaulois » ! Dans le Gier lui-même les antagonismes ne manquent pas et les coopérations sont parfois tumultueuses, une communauté de communes n'arrive pas à s'y constituer. La confusion qui en résulte est renforcée par une tentative de rapprochement entre Gier et Ondaine en 1995 puis par un projet de la Région (1996) qui verrait bien deux périmètres pour les Contrats globaux de développement : un pour l'Ondaine et Haut Pilat, un pour le Gier et l’Est stéphanois, sinon un programme intermédiaire entre les deux villes de Lyon et Saint-Étienne.

Une loi de juillet 1999 permet des transferts de compétences accrus et un coup de pouce financier de l'Etat aux communautés qui se transformeraient en communautés d'agglomération. Son succès en France est immédiat, l'occasion saisie à Saint-Etienne. En septembre 2000 le préfet, qui partage le pouvoir d'initiative avec les communes, entérine le périmètre de la future structure en intégrant 7 nouvelles communes et le 1er janvier 2001 naît Saint-Etienne Métropole, communauté d'agglomération. Pour assurer le principe de la continuité territoriale exigé par la loi de 1999 le préfet, en juillet 2002, inclut, malgré elle, Lorette, qui jusque là s'y refusait, de sorte que 8 autres communes du Gier peuvent rejoindre la communauté qui atteint 43 participants ; on en reste encore à des frontières politiques et administratives et non démographiques ou économiques en excluant toujours le sud de la plaine. Demi mesure, mais mesure que j’espère annonciatrice d’une vraie prise de conscience du problème puisqu’en janvier 2013 Andrézieux-Bouthéon et La Fouillouse rejoignent la métropole.

Le budget suit et a plus que triplé depuis les débuts de la communauté de communes. Pour plusieurs maires du Gier les adhésions « sont celles de la raison […] il ne nous restait que deux alternatives. Soit attendre que le préfet nous intègre d'office […] soit y aller de notre propre chef en restant néanmoins solidaires […] il est difficile d'abandonner notre projet de communauté de communes du Gier […] nous n'abordons pas sans appréhension cette grosse machine qu'est Saint-Etienne Métropole ». On ne peut moins manquer d'enthousiasme.

Lorsqu'en juillet 2001 Doizieux, La-Valla-en-Gier et Saint-Genest-Malifaux demandent leur entrée d'autres difficultés frontalières surgissent. Si Saint-Genest était acceptée, Planfoy, qui s'y refuse, serait contrainte d'adhérer au nom de la continuité territoriale. D'autre part les communes du canton de Saint-Genest-Malifaux refusent car elles préfèrent une communauté de communes du Pilat compte tenu des questions spécifiques posées par le Parc Naturel Régional. La polémique est très vive. Le maire de Saint-Genest explique qu'il « ne comprend pas l'inquiétude des habitants qui ont quitté la ville pour s'installer ici […] Saint-Étienne Métropole est un outil de travail et de développement et non pas une atteinte à leur vie villageoise ». Depuis, Doizieux et La-Valla ont rejoint la communauté d'agglomération alors, qu'éloignées, elles sont d'évidence moins rattachées à la ville centre que Saint-Genest qui

ressortit du péri urbain stéphanois. L'élargissement de la communauté ne risque-t-il pas de menacer, ici comme dans bien d'autres cas, le succès initial ? L'extension territoriale, alimentée trop souvent par des « carottes fiscales », se fait « sans véritable effort d'économie, sans projet global et entraîne à s'aventurer au-delà de leurs compétences » les communautés trop gourmandes, selon la Cour des comptes (rapport de novembre 2001) bien que cette même Cour en reconnaisse les bienfaits pour les petites communes. Ces critiques n'ont pas changé et sont régulièrement reprises par l'opposition au sein du conseil communautaire.

D'anciennes frictions continuent de ressurgir avec les communes de l'immédiate couronne. Il faut parfois ne pas froisser tel ou tel élu ou contenir des amorces de conflits. Ainsi en 2001 le maire de Saint-Étienne doit rassurer en affirmant qu'il n'a « pas de sentiment anti Villars », ou encore en 2005 La Talaudière fait remarquer à une commune du Sicos, qui n'a pas disparu, que le retrait de cette structure serait une erreur ayant des répercussions négatives sur le prix de l'eau. Ce sont des broutilles ; la recomposition des mailles et des compétences du pouvoir local est en marche depuis une vingtaine d'années et, quelles qu'en soient les péripéties, elle paraît inexorable. Bien au-delà de son territoire communal proprement dit, le nom de Saint-Étienne, associé à celui de Métropole, recouvre une nouvelle réalité. Plus vaste encore et mis en place en 2004 le syndicat mixte du schéma de cohérence territoriale (Scot sud Loire) concerne maintenant 117 communes qui sont invitées à coordonner leurs actions économiques et urbanistiques dans tout le sud du département. Mais n'arrive-t-on pas à un point où il ne s'agit plus de repousser les limites pour coopérer sur de nouveaux périmètres mais plutôt de gérer des espaces flous et au gré des problèmes rencontrés ? A ce propos on peut remarquer que les maires ont souvent mis en avant le fait qu'ils étaient toujours présents dans leur ville et refusaient les mandats électoraux qui les éloigneraient de leurs mandants. Ils ont appliqué le conseil donné par A Pinay : « on ne gouverne bien que de près ». Que nous ayons connu un maire ministre était l'exception ; que le maire actuel s'en démarque puis devienne sénateur est significatif d'un fait bien français : la carrière nationale commence par les responsabilités communales. La question sera prochainement tranchée par une nouvelle législation du cumul des mandats.

Depuis 1973, et sauf rectifications mineures toujours possibles, la croissance territoriale de l'ancienne commune est achevée ; maintenant c'est sa nature qui change. La loi constitutionnelle de mars 2003 reconnaît aux électeurs le droit de pétition, leur consultation par référendum est confirmée. Le caractère fédératif de la communauté est renforcé que ce soit par la croissance de sa fiscalité propre ou l'élargissement continu de ses compétences (une directive ministérielle conseille d'intégrer les syndicats, trop nombreux, dans la communauté).

Le germe d'un nouvel espace administratif et financier est en place. Un territoire, une élection, un budget, un maire, cette simplicité démocratique originelle est devenue un brouillamini de structures enchevêtrées, mal connues du public voire ignorées par bien des conseillers municipaux. Pour qu'une histoire s'achève et qu'une autre commence il manque encore l'élection au suffrage universel direct des conseillers et du président de la communauté d'agglomération. Mais où est la détermination des citoyens de 1789 ? Ils avaient su faire table rase et s’adapter à un nouveau monde sans trop de dégâts, nous n’en sommes plus capables.