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La quête de nouvelles ressources

« Les charges [...] semblent aujourd'hui avoir atteint le maximum […] l'indemnité de vie chère, le relèvement des traitements, le prix plus élevé des travaux neufs et d'entretien ainsi que des combustibles, l'augmentation des dépenses de voirie, les contributions plus importantes dans les dépenses d'assistance constituent des charges définitives et permanentes qui doivent être incorporées au budget primitif ». Le jour de cette déclaration de L Soulié, lors d'une délibération du 30 décembre 1919, on observe qu'il manque environ 4 millions de F pour le prochain budget. Il faudrait éviter, dit-on, de partir d'un primitif irréaliste puis de jouer sur le budget additionnel pour équilibrer recettes et dépenses au jour le jour. Mais cela suppose une prévision améliorée et surtout celle des recettes. La solution est bien connue, augmenter les taxes (concessions d'eau, inhumations) appliquer le maximum des droits d'octroi et recourir, enfin, à la loi de 1884 : elle autorise les centimes d'équilibre des dépenses ordinaires.

La course est lancée et pendant plus de dix ans la pression fiscale augmente mais aussi les concours venus de l'Etat, ce qui n'empêchera pas les reports de travaux voire leur annulation.

La ville vivote.

La multiplication des centimes communaux

Mais avant eux, l'octroi. Les droits deviennent insuffisants, pourtant en 1919-20 après leur augmentation ils produisent un surcroît d'environ un million de F courants. Le déclin est inexorable et du tiers des recettes ordinaires dans les années 20 à 25 la part tombe peu à peu pour n'être plus que de 12% en 1938. Néanmoins cela couvre encore la charge de la dette. La modification appliquée en 1918 n'a pas atténué son rendement. A cette date, et à la grande crainte de la ville, la taxe sur les boissons, environ la moitié de la recette, est supprimée. Mais un fonds de compensation est constitué pour une redistribution au prorata de la taille des communes, l'opération est blanche à Saint-Etienne. Quand on supprime l'octroi en 1943 (une

décision prise à l’échelle nationale) il suffit d'ajouter 0,25% à la taxe locale sur les transactions pour retrouver une recette équivalente.

L'octroi de 1915 à 1939 (recette brute arrondie au F)

recette en F constants % des RO 1927 7 973 905 1 458 654 20%

%des RO : % des Recettes ordinaires

Jusqu'à 1914 le recours aux centimes additionnels est presqu' inexistant. L'assistance médicale (loi de 1893) est prise en charge par le budget mais à partir de 1907 on vote des centimes pour l'assistance aux vieillards, infirmes, incurables (loi de 1905) qui totalisent 3 millions de F jusqu'à 1914 en y comprenant environ 300 000 F en subventions de l'Etat (En 1914 on y ajoute des centimes pour l'application des lois de 1913 sur l’assistance aux familles nombreuses, aux femmes en couche). Enfin en 1920 l'assistance médicale est financée par des centimes. Cela reste toutefois modéré, 1 417 148 F au total en 1920 pour 2,5 millions en dépenses d'assistance et 6 millions de F en recettes ordinaires.

Autrement plus importante la décision prise en 1919 de percevoir des "centimes pour insuffisance des revenus" (loi de 1884) qui produisent, en 1920, 4 310 736 F soit 17% du total des recettes communales. Alors que les impositions obligatoires de 5 et 8 centimes ne fournissent respectivement que 53 287 et 85 160 F, ces centimes pour les dépenses ordinaires apportent 14 578 736 F en 1931 ! Et les propriétaires paient encore pour le pavage, les égouts - des sommes modestes - ou pour certains travaux comme le curage du ruisseau des villes en 1930 par exemple.

Composition simplifiée des recettes ordinaires (RO) F constants et courants

centimes % Autres recettes % Nouvelles taxes % octroi % RO

1871 151 541 (4) 7 376 249 (18) 18 1 591 974 75 2 119 764

1884 241 256 (4) 8 757 600 (27) 23 2 129 474 64 3 325 545

autres recettes : impôts et taxes municipales ; nouvelles taxes : lois de 1926

(4) (9) (27) etc : nombre d'imputations. 1 903 575 : francs constants base 1914, 1911 n'en diffère qu'à peine

Une telle pression sur les contributions locales n'avait pas été osée jusqu'alors. Le vote des centimes additionnels, en général très mal perçu par les contribuables, rarement envisagé par le maire, est certainement passé dans le climat de bouleversement qui suivait la guerre. Indice de cette forte réticence on n'y avait eu recours qu'en 1884 et 85 pour acheter une forêt à Tarentaize afin de protéger des sources. A ce propos il faut observer que le centime est calculé sur les principaux fictifs de 1890 mal réajustés annuellement et qu'une révision des bases n'interviendra qu'en 1934 ; il vaut en 1928 environ 35 614 F et un peu plus pour la patente ; le décime d'octroi disparaît en 1926. Les villes de taille comparable sont plus riches que Saint-Etienne et comptent en moyenne sur 45 000 F. Cette valeur variant avec le rendement du principal fictif, le nombre de centimes n'a donc guère d'intérêt en lui-même.

Il arrive, très rarement, que des centimes ne soient votés que pendant quelques exercices et affectés à un propos particulier, ainsi un supplément de 3c pour les chemins vicinaux de 1913 à 1920. De même les salaires des employés municipaux comportant depuis 1918 une indemnité de vie chère qui passe dans un chapitre particulier des dépenses ordinaires en 1924, on vote en conséquence 42,6 c. additionnels pour équilibrer ce compte mais en 1925 cette procédure n'est pas utilisée. L'indemnité devient l'allocation mobile ou d'attente – on attend une nouvelle échelle des salaires - qui figure au compte administratif à partir de 1926 avec les centimes additionnels afférents et la dépense ordinaire correspondante. Elle dispararaît en 1936, intégrée au salaire.

Maintenant que le premier pas est fait on n'hésite plus à jouer sur ce nombre de centimes bien qu'à l'occasion les maires soulignent qu'ils arrivent à ne pas les augmenter, voire à les diminuer… par rapport aux prévisions de leurs adversaires. Lors de l'affrontement Soulié – Durafour un journal local affirme que la ville disposait en 1930 de 15 millions et d'un excédent de 5 millions de F qui aurait pu éviter le vote de centimes additionnels. En réalité si l'excédent global de 1929 s'élève bien à 14 807 969 F il faut en soustraire 4 825 197 F nécessaires pour poursuivre les travaux engagés et assurer la continuité des services, la somme ne figurait pas au primitif ! « Il est possible que l'ancien maire comptât trouver (par des recettes accrues) les sommes nécessaires pour rétablir [...] les insuffisances du budget primitif dans son budget additionnel » déclare L Soulié en octobre 1930. Il reste donc en caisse 9 982 772 F. Ce qui permet au nouveau maire d'écrire « en raison de l'insuffisance des crédits affectés depuis de longues années à la plupart des services publics [...] une tâche considérable de redressement était nécessaire. Et malgré tout nous avons pu réduire à 168 c.

additionnels nouveaux les prévisions de l'ancien maire qui s'élevaient à 237 centimes ». On multiplierait aisément les exemples de ce genre dans les compte-rendus d'exercices fiscaux qui donnent lieu à d’interminables pages de polémiques.

La pratique du budget primitif « politique », donc optimiste, mais tout à fait irréaliste apparaît désormais comme le principal obstacle à une bonne gestion.

Des taxes, encore des taxes, toujours des taxes.

La classique recette, utilisée encore en 1919 et qui consiste à augmenter le taux des taxes communales, ne suffisant pas non plus à équilibrer les budgets on en instaurera de nouvelles grâce à la loi de 1926. Car le mauvais état des finances locales est général en France même si la situation de Saint-Etienne, grande ville ouvrière, est des plus médiocres. Auparavant apparaît la taxe sur les spectacles (1920 ; le théâtre Massenet est mis en régie en 1922). Le budget de 1927 est délicat à équilibrer, à cause du chômage il manque 4 millions de F. Les taxes sont adoptées en novembre 1927 et décembre 1928, pour appuyer leur nécessité le maire prétexte également une probable disparition de l'octroi. Tout de suite on puise au maximum en créant 16 taxes dans la panoplie offerte par l'Etat ! (la taxe va à l'Etat, la commune n'en reçoit qu'un pourcentage) : taxe sur les cercles associatifs, l'enlèvement des ordures ménagères, les instruments de musique à clavier, les domestiques attachés à la personne, les billards, les véhicules, la publicité lumineuse ou par affiches, le chauffage et l'éclairage électriques etc. Dès 1928 plusieurs sont supprimées car ne rapportant pas assez (distributeurs automatiques de musique) ou sont abaissées (débits de boissons, les cafetiers ont protesté et ce sont de bons agents électoraux). En font partie une taxe sur le revenu des propriétés bâties et sur la valeur locative des locaux d'habitation et professionnels, celle-ci sera supprimée en 1930. C'est une augmentation déguisée des 5 centimes légaux. B Ledin, regrette en mai 1928 de les avoir votées mais comme le dit, en décembre, L Soulié attaqué sur cette avalanche et qui se défend d'en être l'auteur : « la vérité sur les taxes a été établie […] ainsi disparaît une légende créée par l'ignorance […] l'incompétence ». Après quoi il s'abrite derrière la loi pour annoncer que cette dernière s'oppose à d'autres dégrèvements. En 1932 on ajoute la taxe d'assainissement qui doit, en principe, supprimer les contributions des riverains pour les égouts mais elles vont subsister partiellement jusqu'en 1967. Les taxes rapportent 5 millions de F en 1935.

Cet indispensable recours à une multitude de taxes et de centimes additionnels pose nettement la question d'une refonte qui passerait par l'instauration d'un système d'impôts locaux clair et lisible ou une meilleure intervention de l'Etat, ce que réclame une motion de décembre 1937.

Or depuis 1931 malgré de multiples tentatives rien n'est fait, on se contentera de simplifier les centimes en 1959. En attendant il faut tirer parti au mieux de la législation et compter à l'occasion sur le budget de la nation.

L'Etat met la main à la poche.

Ce qui caractérise aussi la période c'est la part grandissante des interventions de l'Etat dans les budgets locaux, par intérêt bien compris ou parce que c'est nécessaire en attendant une improbable réforme des finances locales.

Il agit d'abord en complètant les ressources ordinaires des communes par le fonds de compensation des contributions indirectes, ainsi en 1918 comme on l'a vu, auquel s'ajoute le fonds de redistribution partielle de l'impôt sur le chiffre d'affaire. D'exceptionnel en 1920 ce versement devient ensuite une recette ordinaire sur la base d'environ 5 F par habitant. On peut y voir un encouragement à la disparition de l'octroi. Toujours dans ce domaine il est créé un versement compensatoire de la diminution de la valeur du centime intervenue en 1935 (conséquence de la suppression d'une taxe sur la valeur locative) soit environ 0,5 million de F par an. Enfin en 1919 la ville reçoit un million de F pour participation aux frais de guerre puis 1,2 million en 1920 ; en 1939 l'Etat accorde la modeste somme de 1,5 million de F à des services d'intérêt national, les centimes afférents étant dûment supprimé des recettes. Autre

intervention la politique déflationniste de 1935 qui réduit les dépenses par un prélèvement obligatoire, l’Etat impose un pourcentage de réduction à toutes les dépenses. L'économie forcée de 3 578 500 F est affectée en 1936 à certaines dépenses imprévues « sans recourir au vote d'impositions nouvelles ».

Avant 1914 l'instruction publique a bénéficié de concours substantiels qui se poursuivent ; le total peut atteindre de fortes sommes comme en 1917 avec environ 2,5 millions de F (remboursement d'annuités pour le lycée de jeunes filles, équipements divers) y compris la subvention annuelle à l'Ecole Nationale de musique. L'assistance est un poste plus important car, malgré les centimes votés pour appliquer les lois, le budget municipal a du mal à suivre.

En particulier l'application de la loi de 1905 nécessite un coup de pouce de la solidarité nationale, le surnombre éventuel de vieillards pris en charge donne lieu à une compensation presque régulière d'environ un demi-million de F annuel. Cependant certaines années, 1923 par exemple, quelques subventions ne sont pas encaissées - retard de l'Etat ? - et reportées à l'exercice suivant. Parfois elles sont de pure forme comme pour le chômage : 427 F en 1923, 156 000 en 1928.

Subventions et attributions de l'Etat 1920 - 1934

1920 % RO 1934 actualisé (1) % RO

1 - Attributions de l'Etat

Impôt chiffre d'affaire 89 193 0,6 816 501 609 490 1,2

Fonds contributions ind. 1 250 419 8,5 3 752 160 2 800 861 5,5

Annuités d'emprunts 65 863 0,5

total 1 405 419 9,5 4 568 661 3 410 351 7

2 - Subventions

Enseignement 66 092 0,4 271 648 202 775 0,3

Assistance loi de 1905 81 072 0,6 144 586 107 909 0,2

Divers 5 737 46 080 34 397

Chômage 20 659 0,15 11 795 124 8 804 662 17,5

total 173 560 1,2 12 257 438 9 149 743 18

3 – Exceptionnel

Effort de guerre 1 197 521 8,1

total 2 776 556 18,7 16 826 099 12 560 094 25

(1) Actualisé : la somme de 1934 est convertie en F de 1920 pour faciliter la comparaison

Le % est en fonction des recettes ordinaires. Dans certains cas le Département ainsi que la Chambre de commerce participent aux subventions (chômage, enseignement) pour des sommes relativement faibles, absentes de ce tableau. Sans le chômage le pourcentage de 1934 revient à 7,5 ; sans l'effort de guerre 10,6 en 1920.

Malgré la multiplicité des subventions – sapeurs-pompiers (supprimée en 1927), retraites ouvrières depuis 1919, diverses comme 100 000 F pour l'achat des terrains de l'Etivallière ou pour les colonies de vacances etc. – la totalité des sommes encaissées ne représente qu'assez peu par rapport au budget communal au début de la période. C'est à peu près 10% des recettes ordinaires mais assez variable : en 1920 un peu plus et avec la grande crise on dépasse momentanément 20%. Il devient indispensable de trouver des ressources nouvelles.