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IV. CONCLUSION DE LA PARTIE THEORIQUE : SIG, Analyse systémique,

2. Aspects physiques

2.6. Aléas naturels

2.6.2. Typologies

Dans la région de la Cordillera Blanca, la plupart des phénomènes liés aux glaciers et lacs sont les avalanches, alluvions et coulées de débris (pour les définitions voir Eisbacher et Clague, 1984) qui ont été décrits par Silverio et Jaquet (2003a). Silverio (2003a) a également fait une description de 22 phénomènes liés aux glaciers, entre 1702 et 2000, dont nous reprenons la synthèse et complétons jusqu’à l’année 2004 (tableau 13).

D’après Silverio (1999), dans la région, à part les phénomènes mentionnés ci-dessus, il y en a d’autres qui se manifestent : les huaycos et les glissements de terrain.

Le huayco (lloclla, en quechua), nom péruvien désignant les laves torrentielles : c’est l’arrivée soudaine d’un mélange d’eau, de boue et de roches, comme conséquence d’intenses précipitations dans les parties hautes d’un bassin versant (INDECI, 2006). Ces phénomènes sont liés aux pentes abruptes de la partie amont des bassins versants, où se concentrent des matériaux meubles et des précipitations abondantes. Chargés de matériaux de toute sorte, les huaycos dévalent les pentes sous forme de coulées de boue (laves torrentielles). Généralement, ils se manifestent durant la saison humide et sont plus fréquents durant la période d’El Niño, où les précipitations son exceptionnelles et leur intensité majeure, faisant des dégâts considérables (figure 19, haut). Cependant, vu que dans la plupart des cas, ces phénomènes ont un effet local, ils ne sont pas répertoriés et par conséquent, il est impossible d’estimer le montant des dégâts. Toutefois, ce type de phénomène détruit routes, ponts et maisons (figure 19, en bas).

Figure 19 : En haut, la lave torrentielle de 1999, près de Caraz ; en bas, maison détruite par ledit événement à Fundo San José (source : Silverio, 1999, p. 52)

Dans la région, les autres phénomènes naturels les plus fréquents sont les glissements de terrain. Ce sont des phénomènes où les masses se désintègrent en fragments et blocs et glissent le long d’une surface plus au moins profonde. Ils ont lieu dans presque tous les types de roches avec une pente supérieure à 35° et dans les matériaux meubles avec des pentes supérieures à 15°. Cependant comme dans le cas des laves torrentielles, ils ne sont pas répertoriés. Pourtant, la croissance urbaine de certaines villes de Calljeón de Huaylas (par exemple, Huaraz et Yungay) se développe dans des zones de glissement de terrain !

Date Zone Description

4 mars 1702 Huaraz Inondation d’une partie de la ville de Huaraz. L’origine est inconnue.

6 janvier 1725 Huaraz Un séisme produit une avalanche de glace et la rupture de lacs, détruisant Huaraz, en faisant disparaître 1500 habitants et ne laissant que 300 personnes vivantes. Nom des lacs débordés inconnus.

6 janvier 1725 Yungay Avalanche dans le versant S-O du Huandoy qui détruit un lac au fond de Q. Huaytapallana.

L’alluvion détruit le village d’Ancash, avec ses 1500 ou 2000 habitants.

10 février 1869 Huaraz Glissement de terrain et aluvión sur les bains thermaux de Monterrey ; destruction de quelques maisons et disparition de 11 personnes. Origine inconnue.

24 juin 1883 Huaraz Débordement du lac Tambillo (Q. Rajucolta), qui détruit une partie du village Macashca et fait disparaître de nombreuses personnes.

22 janvier 1917 Yungay Avalanche de glace sur le Huascarán et impact sur Ranrahirca.

20 janvier 1938 Carhuaz Rupture de la laguna Arteza (Paclliash Cocha), localisée au fond de Q. Ulta ; on ne connaît pas ses effets dévastateurs.

13 décembre 1941 Huaraz La rupture de Palcacocha (Q. Cojup) produit un aluvión qui détruit le tiers de la ville de Huaraz. On a déploré plus de 5 000 morts.

17 janvier 1945 Huari Le site archéologique de Chavin de Huantar est détruit par un alluvion venant de la Q.

Huantsán / Q. Huachecsa dans la basse vallée de Nevado Huantsán (6395 m).

20 octobre 1950 Huaylas Aluvión de Laguna Jancarurish (Q. Los Cedros) qui a tué probablement 500 personnes et causé des dégâts dans la centrale hydroélectrique « Cañon del Pato », sur la route Huallanca-Caraz et sur des nombreux tronçons du chemin de fer Chimbote-Huallanca.

16 juillet et 28 octobre 1951

Huaylas Aluvión de Artesoncocha (Q. Parón) ; deux événements, mais pas des dégâts à l’aval de la vallée de Parón, dont le volume du premier a été estimé à 1’200'000 m3 et celui du deuxième à 2’800'000 m3.

6 novembre 1952 Huaraz Rupture de Laguna Milluacocha (Q. Ishinca). L’aluvión a impliqué entre 30'000 et 50'000 m3 de matériaux mais ses dégâts matériels ont été minimes.

8 décembre 1959 Huaraz Glissement et inondation de Tullpacocha, peu de dégâts à Huaraz.

10 janvier 1962 Yungay Avalanche dans la face ouest du Huascarán Norte. 4 000 morts.

19 décembre 1965 Huántar / Huari

Avalanche de glace du Nevado San Juán (5840 m), probablement sur le lac Maparaju, au fond de la Q. Carhuascancha. 10 pertes humaines.

31 mai 1970 Yungay Un séisme de magnitude 7.7 sur l’échelle de Richter déclenche une avalanche de roche et de glace dans la face ouest de Huascarán Norte ; la plus meurtrière, 23 000 morts.

31 août 1982 Huaraz Avalanche dans la face sud-ouest de Tocllaraju (6034 m) qui a provoqué le débordement du lac Pacliash, situé au fond de la vallée Ishinca. Pas de pertes humaines, mais seuls quelques dégâts sur les sentiers, les petits ponts et le pont routier Huaraz-Caraz.

16 décembre 1987 Yungay Petite avalanche de roche et glace dans le Huascarán Nord. Inondation de la plaine de Ranrahirca.

20 janvier 1989 Yungay Evénement similaire au précédant.

1991 Carhuaz Avalanche dans le versant ouest du Hualcán (6 122 m) et débordement du lac 513A ; peu de dégâts matériels.

11 janvier et décembre 1995

Yungay Avalanche de matériaux morainiques dans le glacier sud de Huandoy Sur (Q. Llanganuco) ; 2 événements et pas de pertes humaines.

5 mai 1997 Huaylas Vidange d’un lac au fond de Q. Artizon, dans la vallée de Santa Cruz.

18 novembre 2001 Huaraz Chute de glace de Vallunaraju Sur sur le lac Mullaca. Pas de victimes.

avril 2002 Huaylas Chute de moraine sur Safuna Alta et débordement du lac. 26 têtes de bétail mortes et destruction des petits ponts.

19 mars 2003 Huaraz Chute de moraine sur Palcacocha et débordement du lac. Pas de victimes, mais la ville de Huaraz a été privée d’eau potable durant une semaine. (*)

14 octobre 2003 Yungay Chute de glace dans le versant S-O du Huandoy. 9 villageois morts. (**) 16 novembre 2004 Carhuaz Avalanche de glace dans le versant est du Huascarán. Pas de dégâts. (***)

Tableau 13 : Liste des phénomènes naturels impliquant glaciers et lacs de la Cordillera Blanca, entre 1702 et 2004 (source : 1702 - 2000 cité par Silverio (2003b) ; * : visite sur le terrain ; ** : www.huaylas.com , report du 10.11.2003 ; *** : La República du 20.11.2004, www.larepublica.com.pe )

D’après le tableau 13, dans 10 cas, ce sont les lacs qui ont débordé ; 11 avalanches de glace sont à déplorer et 4 sont des événements mixtes (avalanche et débordement de lacs).

2.6.3. Mitigation et gestion des risques liés aux glaciers Mitigation

Suite à l’aluvión de 1941 (rupture de la digue de Palcacocha, Quebrada Cojup) qui avait détruit une partie de la ville de Huaraz et causé la mort de 5 000 personnes, les autorités péruviennes de l’époque ont pris conscience des dangers que représentaient les glaciers et les lacs de la Cordillera Blanca pour les populations de la région (Silverio, 2003a ; Silverio, 2003b). C’est ainsi que fut créée la Comisión de control de lagunas de la Cordillera Blanca.

Sous son impulsion, on a commencé les travaux d’abaissement du niveau d’eau et la construction de digues pour les lacs considérés comme dangereux (figure 20).

Figure 20 : Exemple de construction des digues et de canaux d’évacuation pour les lacs « dangereux » dans la Cordillera Blanca

(source : http://pubs.usgs.gov/prof/p1386i/peru/index.html)

Ces d’ouvrages constituaient les premières mesures (passives) pour la mitigation des aluviones. A ces efforts s’additionnèrent, entre 1945 et 1972, la création de l’unité de glaciologie au sein de la Corporación Peruana del Santa, qui avait entrepris des études glaciologiques et bathymétriques, et qui contribua à une meilleure connaissance de la Cordillera Blanca. Malheureusement, suite à des changements politiques, les recherches n’ont pas été réalisées de manière continue, et la perte de précieuses informations est à déplorer.

Les dernières recherches menées à l’aide des images satellitaires (Silverio et Jaquet, 2005), montrent un retrait généralisé des glaciers de la Cordillera Blanca. Dans certains cas, ce phénomène est accompagné par la formation de nouveaux lacs, retenus seulement par de fragiles moraines (Silverio et Jaquet, 2003a). L’analyse multi-temporelle des images satellitaires a aussi montré le développement de petits lacs autrefois considérés comme non dangereux. Certain d’entre eux se sont déjà vidés, d’autres constituent encore un danger potentiel pour la zone.

Dans la région, les aléas naturels liés aux glaciers ou à d’autres formes de phénomènes sont toujours latents. Au moindre séisme, ces glaciers suspendus pourraient s’effondrer, ce qui aurait des conséquences désastreuses pour les populations en aval. De même, les séismes ou les précipitations peuvent activer des nombreux glissements de terrain.

Vu les éléments existants, tels que glaciers suspendus et parois dominant les lacs, topographie régionale complexe, tectonique régionale active et le type de phénomènes qui ont lieu, dans la région il est impossible d’opter pour les mesures actives (ouvrages de protection). Ceci dit, dans cette région soumise à des contraintes topographiques, tectoniques et climatiques, la mitigation passe par les mesures passives, l’endiguement des nouveaux lacs, le zonage des dangers, la cartographie des risques, accompagnés de l’éducation de la population en matière de risques (Silverio, 2003a, p. 42).

Gestion des risques

Bien que la région ait été affectée par des phénomènes naturels de grande envergure tels que le séisme de magnitude 7.7 sur l’échelle de Richter (1970), avalanches (1962 et 1970), alluvion (1941), etc., pour le moment, il y a une absence totale de politique de gestion des risques. A cela s’ajoute le manque d’une politique d’aménagement du territoire. En effet, la croissance urbaine des principales villes de la région se réalise de manière chaotique et des nouvelles maisons sont construites même dans les zones de glissements de terrain.

Huaraz, la capitale du département, a connu un accroissement urbain très important.

Notamment, l’ancienne zone de l’aluvión de 1941 a été entièrement peuplée ! Les constructions continuent à pousser comme des champignons, même au bord des rivières et dans les anciennes zones d’inondations. L’absence d’une politique d’aménagement du territoire n’a pas permis de délimiter une zone-tampon pour les parties critiques, afin d’éviter de futures calamités.

Une autre chose à déplorer est le manque de personnel compétent à la tête des institutions chargées de la gestion du risque. Les postes étant politiques et soit disant « de confiance », n’importe qui peut se trouver à la tête de ces institutions. Ceci est un handicap pour mener à bien les projets de recherche dans le domaine du risque. Pour le bien de la région, il serait temps de dépasser les querelles partisanes (Silverio, 2003a, p. 42).

L’absence d’une institution avec des compétences dans le domaine de la gestion du risque qui pourrait informer et rassurer la population, fait qu’une mini crise (alarme) peut se convertir en une psychose sociale ou peur collective ! Voici deux exemples pour illustrer ce propos :

i) Phénomène d’El Niño 1997 - 1998

Durant le phénomène de El Niño 1997-1998, à cause des fortes précipitations, la population de Huaraz craignit le débordement imminent des lacs de la cordillère qui entourent la ville.

D’après Walter (2002), les gens partirent se réfugier dans la Cordillera Negra pendant plusieurs jours.

Des témoignages nous ont confirmé la panique : « les gens montaient en taxi en pleurant et en laissant toutes leurs affaires ; le taxi ça coûtait très cher, même plus cher qu’un billet de bus Huaraz-Lima » (témoignage d’une personne habitant dans la Cordillera Negra).

Une fois la panique déclenchée et la plupart des gens partis, en laissant leur affaires et leurs maisons abandonnés, ce fut la fête pour les voleurs : il y eut beaucoup de vols durant cette période de panique !

ii) Crise du Palcacocha 2003

Le 19 mars 2003, une partie de la moraine latérale gauche s’est écroulée sur le lac Palcacocha (Vilímek et al., 2005), localisé à 22 km nord-est de la ville de Huaraz (tableau 13). Le phénomène a déclenché le débordement du lac, endommagé la digue et privé la ville d’eau potable durant une semaine.

Le gouvernement central de Lima a alors débloqué un crédit d’urgence de 100’000 soles (environ 40’000 CHF) pour réaliser les travaux de sécurisation, dans les plus brefs délais afin de rassurer la population de Huaraz.

Lors de notre visite sur le terrain, en juillet et août 2003, les travaux n’étaient pas encore faits. Apparemment, la somme destinée aux travaux de réparation avait été dépensée par le gouvernement régional à d’autres fins, voire détournée. Finalement, durant l’année 2004, la digue a été reconstruite (Vilímek et al., 2005) [figures 21 et 22].

1972 2003

Figure 21 : Deux états du Palcacocha, à gauche, en 1972 (photo : C. Portocarrero) ; à droite en juillet 2003, après l’événement du 19.03.2003 et montrant la digue endommagée (photo : W. Silverio)

Figure 22 : Palcacocha après la réparation de la digue, en 2004 (photo : Z. Patzelt, 2004)

Début avril 2003, d’après l’analyse de deux images du satellite ASTER, datant du 5 novembre 2001 et du 8 avril 2003, la NASA (National Aeronautics and Space Administration ; USA) publiait dans sa page Web un article sur un possible désastre dans les Andes, impliquant Palcacocha. La nouvelle faisait référence à la détection d’une « fissure » (crevasse ?) sur le glacier, pouvant provoquer sa chute sur le lac, ce qui représenterait une menace pour Huaraz.

Bien entendu, cette nouvelle a créé la panique parmi les populations de Huaraz et au niveau national. Durant ce mois d’avril, il y avait Pâques, quand Huaraz et le Callejón de Huaylas devaient recevoir des milliers de touristes. A cause de la nouvelle, toutes les réservations ont été annulées. Ceci a impliqué un manque à gagner considérable pour la région, puisqu’une des principales sources de revenu est l’activité touristique.

Mais le plus regrettable fut que les institutions n’ont pas pu démentir la version de la NASA, afin de rassurer la population. Par exemple, après une visite sur le terrain, l’Unité de Glaciologie et des Ressources Hydriques (UGRH), institution chargée des recherches glaciologiques et de la sécurisation des lagunas, était en mesure de démentir la version de la NASA ; à notre surprise, la population ne fut pas informée.

Durant l’été 2003, lors de nos travaux sur le terrain avec nos collègues de l’université de Zurich, Palcacocha a retenu toute notre attention. Nous avons constaté que c’était une barre rocheuse, d’environ 100 m d’hauteur, qui avait été prise pour la fameuse « fissure ». En fait, c’est le retrait glaciaire qui a mis à nu cette barre rocheuse (au centre de l’image de la figure 22).

Les événements comme Palcacocha et d’autres exemples cités par Silverio et Jaquet (2003), indiquent la nécessité de continuer à surveiller, via les SIG et la télédétection satellitaire, les lacs et les glaciers de la Corillera Blanca. Comme le souligne Silverio (2003a), dans la Cordillera Blanca, le retrait glaciaire implique le développement de lacs pro-glaciaires. Le débordement de ceux-ci peut induire des aluviones : il est donc nécessaire de les surveiller en continu. Ce suivi devrait être accompagné par une vrai prise de conscience des autorités locales et régionales sur la gestion des risques, le zonage des aléas et l’établissement de la carte de risque pour la région.

Et finalement, le monitoring des lacs et des glaciers, à l’aide des images satellitaires, devrait être complété par des missions sur le terrain, afin d’éviter des situations comme celle déclenchée par la NASA.

2.7. Système climatique