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Le type de spectacle et le pouvoir des danseurs nus

CHAPITRE 3 : LA RELATION DE POUVOIR ENTRE LES DANSEURS NUS ET

2. Soirées exclusivement masculines

2.1. Le type de spectacle et le pouvoir des danseurs nus

Comme lors des soirées pour dames, les danseurs nus exécutent une performance divisée en trois parties, en se déshabillant de plus en plus à chaque fois. Leurs prestations sont toutefois très différentes lorsqu’ils s’adressent à des hommes. Ils sont plus nombreux à danser sensuellement et langoureusement. Ils bougent les hanches, les fesses et le bassin de façon beaucoup plus érotique. Certains effectuent de réelles danses avec la barre verticale, étant très similaires à ce que nous pouvons voir dans les bars de danseuses nues. Quelques danseurs font des prouesses athlétiques impressionnantes avec le poteau, mais la plupart s’en servent pour ajouter de la sensualité à leurs mouvements.

2.1.1. La sensualité et la vulnérabilité exprimées. La sensualité est pratiquement inexistante devant un public féminin. Pour les hommes, le spectacle ne se limite pas à une démonstration de virilité, brutale ou fleur bleue, comme pour les femmes. Nous y voyons plutôt de la vulnérabilité. Il est commun de voir des danseurs à quatre pattes sur scène, dos à l’audience, les sous-vêtements baissés jusqu’aux genoux et qui montrent leurs fesses à l’audience. Par contre, il y a d’autres danseurs qui vont plus montrer leur force physique, leur corps et leurs fesses, mais en mimant le coït plus énergiquement. Les performances sont très variées, allant des danseurs adoptant des positions plus soumises, à d’autres incarnant des rôles plus entreprenants et dominants. Elles sont également beaucoup plus sexuelles et sensuelles que lors des soirées pour femmes, qui ont droit à un spectacle assez explicite, mais qui est beaucoup moins axé sur le corps et toujours exécuté selon les mêmes normes stéréotypées de la référence hétérosexuelle.

Les danseurs se touchent lentement et regardent souvent leur propre corps. Leurs danses sont beaucoup plus axées sur ce dernier. D’ailleurs, Ils vont fréquemment montrer leurs fesses au public masculin en ayant le dos arqué et il est commun de les voir les écarter. Ils vont aussi souvent se masturber sur scène. Ils le font également face à une audience féminine, mais plus rarement, moins explicitement et moins longtemps. Avec les hommes, il n’y a pas de tension qui est créée autour du dévoilement des organes génitaux. Il y a une certaine fébrilité, parfois, mais ce n’est rien de comparable avec ce qui se passe devant un public féminin. Cette démonstration n’est pas un privilège qui est accordé aux hommes clients, comme dans le cas des femmes. Elle n’est pas non plus cadrée comme un

dû envers l’assistance masculine. Elle est plutôt façonnée en tant que convention, qui peut être exécutée de différentes façons. Certains auront plus tendance à être taquins et allumeurs et vont en dévoiler une partie à la fois, plus ou moins rapidement. Au contraire, d’autres vont tout montrer et insister longtemps sur leurs attributs. Peu importe la façon dont ils s’y prennent, les danseurs paraissent sincèrement vouloir offrir leur corps et leurs parties génitales à l’audience. Non pas pour obtenir des applaudissements et des cris de la part de ses membres afin de renforcer leur position masculine, mais plutôt dans le but de faire « don de soi ». Ils s’offrent sexuellement avec sensualité sur scène et ils semblent très heureux de le faire.

2.1.2. Le travail émotionnel des danseurs nus. Leur travail émotionnel est très différent de celui qu’ils font avec les femmes. Au lieu de jouer au mâle alpha ultra-viril et quelque peu arrogant, ils paraissent vouloir séduire et plaire à la clientèle selon ses désirs à elle. Ils veulent être observés et appréciés et ils semblent prendre un réel plaisir à le faire. Ils se regardent le corps pour attirer l’attention sur celui-ci. Ils n’ont pas une attitude « donnant-donnant », c’est-à-dire de montrer un peu plus d’épiderme en échange d’encouragements de la foule ou de pourboire. Ils s’offrent « naturellement » sans nécessairement recevoir et ils veulent plaire et être observés. Nous constatons qu’ils jouent pleinement le rôle traditionnellement féminin d’objet-regardé-payé, sans en changer la combinaison pour sujet-regardé-payé, tel qu’ils le font avec les femmes clientes. Ils ne paraissent jamais blasés ou fâchés sur scène, comme nous l’avons vu quelques fois lors des soirées pour femmes. La plupart d’entre eux sourient et quelques-uns envoient même des baisers à la fin de leur chanson. Ils regardent de temps en temps la foule durant leur spectacle, mais ne s’adressent pratiquement jamais directement à des clients en particulier qui sont installés autour de la scène. La scène leur permet de repérer les clients potentiels sur le plancher pour ensuite aller leur offrir des danses dans l’isoloir, l’unique endroit où ils peuvent faire de l’argent.

Leur travail émotionnel apparaît surtout dans le fait d’offrir sans attendre quoi que ce soit en retour, un rôle traditionnellement féminin selon Hochschild (1983, 165-8). Le fait qu’il n’y ait aucun pourboire qui se donne sur scène exacerbe cet aspect de leur travail émotionnel. N’ayant pas de rémunération directe et publique pour un acte qu’ils ont accompli sur scène ou une attention

particulière qu’ils ont accordée à un homme client, ils semblent effectivement exécuter leur performance par pur plaisir et dans le simple but de plaire à l’audience en lui offrant un bon spectacle. Malgré la distance nette entre les clients et les danseurs, créée par l’absence d’interactions actives (parler, toucher, etc.) entre eux, nous voyons que la limite se brouille déjà entre le travail et la vie personnelle et sociale du danseur. Les clients voient des danseurs nus qui s’offrent à eux en y prenant plaisir, sans obtenir de rémunération directe pour leur performance. Ces derniers ne cadrent donc pas leurs interactions1 avec les hommes clients en tant que rémunération à l’acte, comme avec les femmes clientes, car il n’y a aucune rémunération visible lorsqu’ils sont sur scène. Il ne s’agit pas non plus d’un cadeau offert à l’audience, mais plutôt d’un aperçu de ce que ça pourrait être dans l’isoloir. Cet élément ressemble beaucoup plus à la façon dont fonctionnent les spectacles dans les bars de danseuses nues. La frontière est aussi floue dans les deux cas, malgré la différence de distance avec les hommes clients à partir de la scène. Dans le cas des danseuses nues, il y a une proximité physique et des échanges verbaux et monétaires depuis la scène, tandis que pour les danseurs nus avec les hommes clients, il n’y a aucune interaction de ce type. Il n’y pratiquement que des échanges de regards, de sourires ou de signes plus ou moins discrets.

2.1.3. Le pouvoir des danseurs nus. D’une part, les danseurs peuvent être vus comme étant en position de pouvoir par rapport aux hommes clients. Ils possèdent un beau corps et semblent en contrôle total de ce qu’ils font sur scène. Ils ont des services sexuels à offrir, donc si les clients désirent obtenir en privé, ce qu’ils ont vu en public, ils doivent payer. Dans ce cas, la scène est une sorte de présentoir ou d’accroche pour ensuite passer aux choses plus sérieuses sur le plancher. Lorsque les clients sont « soumis » au charme des danseurs, ils ne pourront pas résister à leur acheter des danses individuelles dans les isoloirs. Il s’agit du pouvoir de séduction traditionnellement féminin, qui implique une rémunération matérielle en échange d’un travail émotionnel (Hochschild 1983, 63). D’autre part, soulignons que les danseurs ne font pas d’argent directement avec la scène, mais il s’agit d’un excellent moyen d’établir un premier contact                                                                                                                

1 Même s’il n’y a pas de paroles ou de touchers entre les danseurs sur scène et les clients qui se trouvent à proximité, il y a tout de même des interactions entre eux. Le fait de se savoir regardé d’un côté, et d’observer de l’autre, constitue une interaction.

avec la clientèle. Ils doivent y faire une bonne première impression et être assez alertes pour ne pas manquer d’occasions avec des clients. Ces actions requièrent un travail émotionnel et de repérage considérable. Ainsi, ils doivent donner sur scène ce qu’ils pensent que les clients voudraient avoir en privé. Un peu comme dans le cas des danseuses nues, ce ne sont pas eux qui contrôlent totalement leur performance, qui se conforme indubitablement aux exigences et aux désirs des clients, dans le but d’obtenir une rémunération (Margolis et Arnold 1993, 340-1).