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CHAPITRE 3 : LA RELATION DE POUVOIR ENTRE LES DANSEURS NUS ET

2. Qui sont les hommes clients?

Nous n’avons pas vraiment remarqué de clientèle type chez les hommes qui fréquentent le Stock bar, que ce soit lors des soirées pour dames ou celles exclusivement masculines. Cependant, les clientèles sont sensiblement différentes pour ces deux types de soirées. Nous commençons avec les hommes prenant part aux soirées pour femmes et nous exposons ensuite la clientèle masculine lors de soirée strictement homosexuelle.

2.1. Les hommes clients dans la soirée des dames

Bien qu’il n’y ait pas de clientèle type, il est tout de même possible de tracer certaines tendances à partir de traits généraux des hommes fréquentant le Stock bar lors des soirées pour dames. Lors de la première soirée à laquelle nous avons pris part au printemps 2010, nous avions remarqué deux sortes de clientèles : les jeunes hommes et les plus âgés. Les jeunes oscillent surtout entre 25 et 35 ans, une tranche d’âge un peu plus élevée que leurs homologues féminins. Ils sont aussi habillés sexy et très à la mode, avec des vêtements ajustés et ils ont les cheveux coiffés. Ils semblent provenir de classes sociales aisées et ont plutôt l’aspect de jeunes professionnels que d’étudiants. Ils paraissent être des habitués du Stock bar et participent souvent à ces soirées en petit groupe. Leur groupe peut être composé uniquement de jeunes hommes ou, presque seulement de jeunes femmes. Les hommes plus vieux, qui sont moins nombreux que les jeunes, ont habituellement dans la cinquantaine et plus. Selon leurs vêtements, la quantité impressionnante de billets qu’ils exhibent ou le nombre de danseurs qu’ils attirent dès leur arrivée dans le bar, ils paraissent appartenir à une classe sociale supérieure. Ils sont généralement seuls et ils peuvent rester toute la soirée assis à la même table, comme ils peuvent quitter l’endroit après une heure ou deux.

En reprenant le terrain à l’automne 2010, nous remarquons que les clientèles décrites plus haut sont toujours présentes, mais leurs caractéristiques sont plus floues. Nous constatons qu’en présence de la clientèle type des

danseuses, nues, il y a beaucoup moins d’hommes et que ceux-ci sont surtout jeunes et pratiquement tous blancs. Ces derniers fréquentent le bar avec leurs amies féminines du même âge, étant presque toujours le seul homme du groupe. Ils sont généralement gais si nous nous fions à leur comportement, mais lors de soirée, deux ou trois jeunes hommes hétérosexuels accompagnent aussi leur copine et ses amies. En ce qui concerne les clients plus vieux, il y a toujours quelques hommes solitaires dans la soixantaine, mais ils sont beaucoup moins nombreux. Les autres se situent plutôt entre la fin trentaine et la cinquantaine et se tiennent en petits groupes de deux à quatre, entre eux. Ils sont surtout là pour prendre un verre et regarder les danseurs, sans nécessairement faire la fête comme les femmes.

Notre dernière séance d’observation a également été différente des trois autres. Les danseuses nues clientes n’étaient pas présentes et les hommes incarnaient un tiers de l’assistance. Nous avons, entre autres, remarqué la présence d’un peu plus d’hommes hétérosexuels1 dans le bar. Ces derniers, tous blancs, sont habillés de façon beaucoup moins tape-à-l’œil que les autres hommes (et que les femmes des clientèles types), portant généralement des jeans et un t- shirt. Qu’ils soient jeunes ou vieux, ils accompagnent toujours des groupes de femmes hétérosexuelles de leur âge. Ils prennent souvent le rôle d’aller demander des danses pour leurs amies ou vont littéralement les porter sur la scène quand elles sont trop gênées pour y aller elles-mêmes.

Les hommes homosexuels2 représentent la très grande majorité de la clientèle masculine en tout temps et, cette fois, leurs caractéristiques sont d’autant plus variées. D’abord, ces clients présentent la plus grande diversité ethnoculturelle que nous avons vue. Bien que toujours minoritaires, les hommes de couleur sont plus nombreux parmi l’audience. Ces derniers, comme les autres, semblent appartenir à une classe socioéconomique assez élevée. De plus, l’âge et                                                                                                                

1 En réalité, il nous est impossible de connaître sans aucun doute l’orientation sexuelle des clients. Cependant, nous pouvons déceler des signes d’hétérosexualité ou d’homosexualité par leur comportement, leurs actions, ainsi que la manière dont ils interagissent avec les autres. Butler (2006a, 34, 151) affirme que nous ne « sommes » pas un genre, mais que nous le faisons, nous ne pouvons que l’exprimer. Il en est de même pour l’orientation sexuelle. Ainsi, selon nos observations de ce qu’expriment ces hommes dans le bar, nous les classons dans la catégorie hétérosexuelle.

2 Nous mettons tous les hommes non hétérosexuels dans cette catégorie, car il nous est tout à fait impossible de connaître et de distinguer les diverses orientations sexuelles simplement par l’observation non dévoilée. Nous assumons donc que les hommes non hétérosexuels sont présents dans le bar parce qu’ils ont une quelconque attirance pour les hommes.

le look de tous les clients sont très variés et nous ne pouvons pas établir de corrélation entre ces deux caractéristiques. Peu importe leur âge, ils peuvent être habillés très à la mode ou le plus ordinairement du monde. Contrairement aux autres séances d’observation, il n’y a plus de lien entre l’âge et le fait qu’ils fréquentent le bar seuls ou en groupe. Dans l’ensemble, il y a beaucoup d’hommes seuls, en couple ou en groupes (seulement masculins ou féminins) de deux à cinq personnes. Les hommes seuls se connaissent entre eux, mais ne passent pas la soirée ensemble. Ils se parlent à quelques reprises durant la soirée, mais sans plus.

Nous voyons que la clientèle masculine homosexuelle du Stock bar est très diverse et change beaucoup d’un soir à l’autre. Les autres clientèles aussi peuvent varier, mais elles sont un peu plus stables que celle-ci. En fait, elles sont un peu moins hétérogènes en ce qui concerne leurs caractéristiques et leurs habitudes de fréquentation du bar. Ainsi, il est difficile de parler d’une seule position de pouvoir pour tous les hommes clients face aux danseurs. Nous pouvons cependant dégager certaines tendances. Les hommes blancs hétérosexuels qui accompagnent leur petite amie ou un groupe de femmes sont dans une position très élevée de pouvoir. Plusieurs facteurs contribuent à ce privilège dans le club : leur appartenance à une classe sociale aisée, leur statut de client ainsi que leurs caractéristiques physiques et leur identité sexuelle qui correspondent au modèle hétérosexuel dominant. En outre, comme ils se retrouvent dans un milieu homosexuel, ils adoptent une conduite très masculine afin de ne pas tomber dans la figure d’abjection de l’homosexualité et d’être catégorisés comme tel (Butler 2009, 115). Ainsi, ils signalent très clairement leur lien avec leur conjointe en démontrant plusieurs marques d’affection à son égard, tels que des baisers, le fait de lui toucher le visage ou les cheveux, de la prendre par la main lors de déplacements ou de la faire asseoir sur leurs genoux lorsqu’ils sont à leur table. Les plus jeunes agissent de manière territoriale et protectrice avec leurs amies. Ils accordent en quelque sorte leur approbation aux danseurs qui approchent ces dernières. Il s’agit de leur seule interaction avec les danseurs. C’est comme si ces derniers se mettaient amis avec eux pour pouvoir ensuite accéder aux jeunes femmes en toute quiétude. En ce qui concerne les hommes plus vieux, seuls et riches, ils ont également un statut assez élevé dans le bar, justement à cause de leur âge et de la grosseur de leur porte-feuille. Les autres hommes clients

homosexuels occupent une position de pouvoir difficile à évaluer parce que leurs caractéristiques individuelles sont très variées.

2.2. Les hommes clients dans les soirées exclusivement masculines

La clientèle masculine dans les soirées homosexuelles ressemble beaucoup à celle que nous venons tout juste d’exposer. Elle est composée d’individus très différents sur plusieurs points. Il y a une majorité d’hommes blancs dans la salle, mais plusieurs sont issus de communautés ethnoculturelles, surtout asiatiques, noires et latino-américaines. Celles-ci se retrouvent en minorité, mais leur proportion dans l’assistance est quand même importante, ressemblant à notre dernière séance d’observation lors des soirées pour dames. Quelques personnes seulement dans l’assistance semblent avoir passé beaucoup de temps sur leur apparence pour sortir au Stock bar. Certains hommes sont habillés et coiffés selon les dernières tendances mode, mais pour la grande majorité, leur look n’est pas une priorité pour eux. Ces derniers sont vêtus de manière très ordinaire, style jeans et t-shirt. Ils sont très relaxes dans leur apparence, plusieurs d’entre eux portant des gros chandails en coton ouaté avec un capuchon, peu importe leur âge. D’autres semblent plutôt être vêtus comme s’ils sortaient du travail. Tous les hommes présents semblent provenir de milieux plus ou moins aisés financièrement, allant de classe ouvrière à classe sociale moyenne-élevée. Ils sont de tous les âges et fréquentent le Stock bar, seuls, en couple ou en petit groupe, mais nous avons vu un très gros groupe lors de notre seule soirée d’observation dans une soirée réservée aux hommes. Nous ne pouvons pas établir de corrélation entre l’âge et l’habitude de fréquentation du bar. Autant les jeunes que les plus vieux peuvent être seuls, en groupe ou en couple. D’ailleurs, nous avons été surprises d’y trouver autant de couples.

Il existe cependant un type de clients plus âgés et seuls souvent bedonnants, qui sont simplement assis à boire leur bière, n’affichant aucune expression précise sur leur visage. Ceux-ci appartiennent plutôt à la catégorie des voyeurs. Ils ressemblent beaucoup aux « solitaires » identifiés par Bruckert (2002, 40-1, 83), que nous retrouvons également fréquemment dans les bars de danseurs nus. Ils sont généralement vêtus très ordinairement, paraissant appartenir à une classe sociale ouvrière ou populaire. Ils ne sont visiblement pas là pour tenter de plaire ou de séduire les danseurs, comme peuvent le faire les femmes. Ils sont

présents pour regarder seulement et sont généralement assis assez près de la scène. Nous avons remarqué que les clients correspondant plus à cette définition sont ceux qui sont restés le plus longtemps dans le bar, lorsque nous y étions. Les autres étaient plutôt de passage et contribuaient au roulement de la clientèle, qui se renouvelait fréquemment.

Contrairement aux femmes, il n’y a pas de clientèle particulière occupant les chaises et les petites tables bistro entourant la scène. De plus, la clientèle est très fluide, elle bouge beaucoup et se renouvelle environ chaque heure. Nous sommes arrivéEs à 22 h 30 pour commencer notre séance d’observation et la pièce était tellement remplie1 que nous avons dû attendre quelques minutes debout avant qu’une place assise se libère à une table bistro haute, vers l’arrière de la salle. Vers 23 h 30, le bar était presque vide pour se remplir à nouveau, assez rapidement, avec de nouvelles personnes, tout aussi diverses que l’audience précédente. La seule tendance que nous pouvons dégager de ce roulement de clientèle, c’est qu’il nous a semblé que cette dernière rajeunit quelque peu à mesure que la soirée avance. Au lieu de tourner autour de la cinquantaine, l’âge médian a paru diminuer plus vers la quarantaine. Il y avait encore beaucoup d’hommes d’âge mûr, nous en avons vu quelques-uns qui avaient plus de 70 ans, mais il est important de mentionner qu’il y a également une bonne présence de clients plus jeunes, dans la vingtaine, mais surtout dans la trentaine et la quarantaine. À l’opposé des femmes, les hommes ne restent pas dans le bar toute la soirée. Ils y vont pour prendre un verre entre amis, seuls ou en couple avant d’aller ailleurs après. Aller aux danseurs nus n’est pas un événement pour eux, comme ce peut l’être pour les femmes. La grande majorité d’entre eux semblaient être des habitués.

Il est très difficile d’évaluer leur position dans le rapport de force avec les danseurs à cause de leur grande diversité. Chaque individu a une position différente suivant ses caractéristiques physiques, sociales et comportementales. Toutefois, nous pouvons établir que leur rapport aux danseurs nus est différent de celui des femmes dans la mesure où ils ne restent pas toute la soirée dans le bar. Cela leur confère un avantage par rapport aux danseurs, car ils envoient le message qu’ils ne sont pas là pour eux spécifiquement. Ils ne considèrent pas                                                                                                                

1 Mentionnons que le quart de la salle, du côté droit de la scène, était coupé par un grand rideau noir qui la traversait. Cette section est restée fermée tout le temps que nous y étions.

cette soirée plus spéciale qu’une autre et pourraient très bien aller prendre un verre ailleurs, ce qu’ils font, en réalité, au courant de la soirée. Ainsi, ils ont du pouvoir dans le sens où les danseurs devront attirer leur attention et les garder intéressés à eux s’ils veulent qu’ils restent dans le bar à y dépenser leur argent.