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CHAPITRE 3 : LA RELATION DE POUVOIR ENTRE LES DANSEURS NUS ET

2. Les interactions sur le plancher

2.3. Le rôle du maître de cérémonie

L’animateur a un rôle très important dans la soirée. C’est à lui que revient la tâche de mettre de l’ambiance dans la place, d’encourager les femmes à donner de plus gros montants dans leur pourboire, de rappeler les règlements, etc. Bref, c’est lui qui guide le comportement de la foule et s’assure que tout se déroule

bien. Jusqu’à maintenant nous avons surtout exposé ses interventions dans la relation entre les danseurs et les clientes, mais nous n’avons pas parlé de ses échanges directs avec celles-ci. Que ce soit par le biais du micro lorsqu’il s’adresse à l’audience dans son ensemble ou par des interactions plus ciblées avec des sous-groupes, cette section détaille la nature de ces échanges. Il est important de se pencher sur la relation entre l’animateur et l’assistance, car elle permet de mieux comprendre la structure du 281, qui se reflète également dans le lien qui unit les clientes aux danseurs.

2.3.1. Les échanges entre l’animateur et les sous-groupes. Le vendredi soir, notre groupe était composé d’une dizaine de personnes et nous occupions deux tables bistros à gauche de la scène. À un moment de la soirée, l’animateur se place devant nous entre les deux tables, sans rien dire. Il nous regarde dans les yeux, tour à tour, et s’assure d’avoir l’attention de tout le monde avant de faire quelque chose. Il prend la lime accrochée au verre de l’une d’entre nous avec sa main droite. Il la montre à tout le monde en scrutant chaque personne de notre groupe, encore une fois. Il la transfère dans sa main gauche, qu’il referme rapidement. Lorsqu’il ouvre sa main, le fruit n’y est plus. Visiblement satisfait de son « tour de magie », il tend les bras sur chaque côté de son corps, les mains tournées vers le ciel et regarde une fois de plus chaque personne de gauche à droite, attendant les applaudissements. Comme personne ne réagit vraiment à ce petit manège, il finit par s’en aller, sans dire un mot, ni esquisser un sourire. La lime gisait par terre. Environ quarante-cinq minutes plus tard, il refait le même tour de passe-passe avec un autre groupe de jeunes femmes, assises au milieu à gauche des tables bistro placées en face de la scène. Elles paraissent un peu mal à l'aise et interloquées, mais elles ont ri un peu et fait des mini-applaudissements à la fin de sa performance.

L’animateur, contrairement aux danseurs, n’est pas dans la position traditionnellement féminine de l’objet sexuel, donc il n’incarne pas, comme eux, des personnages ultra-masculin afin d’être adulé par la foule. Cependant, il utilise d’autres moyens pour y parvenir, comme celui que nous venons de voir. Il ne parle pas directement aux membres de l’audience. Il ne fait que se placer devant elles et attendre qu’elles l’applaudissent et qu’elles le félicitent pour sa performance. Nous n’avons jamais vu une telle action dirigée vers des hommes clients. Cela démontre la différence de statut qui existe entre les hommes et les

femmes dans un endroit aussi stéréotypé que le 281. En effet, comme le démontrait Hochschild (1983, 165-8, 171-9), il est attendu des femmes qu’elles démontrent plus de déférence et de respect envers les autres, surtout les hommes, sans en attendre et en exiger autant en retour. Elles doivent aussi plus apprécier les histoires et plus rire des plaisanteries des hommes dans le but de rehausser leur statut et leur bien-être. Elles doivent être naturellement gentilles et c’est clairement ce à quoi s’attend l’animateur en exécutant sa prestation.

2.3.2. Les échanges de l’animateur avec l’ensemble de l’audience. De manière plus générale, le maître de cérémonie parle tout au long de la soirée et le volume de son micro est très élevé afin de couvrir tous les autres bruits. Il est très suffisant et fait beaucoup de plaisanteries sexistes durant la soirée. Pour inciter les clientes à acheter des danses aux tables, il fait plusieurs blagues très genrées et stéréotypées sur les femmes. Il déclare : « Venir au 281 sans prendre de danses aux tables, c’est comme aller à La Ronde pis de pas embarquer dans les manèges. Ça ne se fait pas. C’est comme une fille… qui ne chiale pas ». Ou encore : « Une danse à 10$ c’est moins cher que du McDo et ça, au moins, ça fait pas engraisser ». Après chaque plaisanterie, il affiche un air satisfait, tandis que dans l’assistance, la réaction est forte et mitigée entre le rire et un « aaaahhh! » amical de reproche.

Il est important de mentionner qu’il ne fait pas qu’encourager les femmes à acheter des danses aux tables. Son rôle consiste également à mettre de l’ambiance au 281. Cela ne se limite pas à exhorter les clientes à crier et applaudir pour que les danseurs se dénudent plus. Lorsque ces derniers ne sont pas sur scène, l’animateur prend en charge le divertissement de la foule. Il s’y prend, entre autres, de la façon suivante : « Moi, j’aime ça quand les filles applaudissent ». L’audience applaudit. « Moi j’aime ça quand les filles crient ». L’assistance, docile, crie. « Moi j’aime ça quand les filles s’embrassent ». Cette fois, les femmes n’obéissent pas et réagissent de la même façon qu’avec les blagues précédentes. Elles rient avec une pointe de protestation dans la voix. Lors de toutes nos séances d’observation, l’animateur a fait de nombreux commentaires incitant les femmes à se dénuder, se toucher la poitrine et s’embrasser entre elles. Nous n’avons vu aucune cliente adopter ces comportements lorsque nous étions présentes.

Les remarques de l’animateur démontrent bien l’atmosphère générale du 281, qui se reflète dans les diverses relations avec les femmes clientes. De plus, elles rendent compte publiquement du statut inférieur des femmes et le font de manière à le rabaisser davantage. Non seulement l’animateur ordonne aux femmes d’agir (crier, applaudir, s’embrasser, etc.) pour son propre plaisir, mais il énumère également plusieurs stéréotypes négatifs liés au genre féminin, tels que l’obsession de prendre du poids ou le chialage constant. En outre, il insinue que les femmes au 281 n’existent que pour être sexy et exciter le peu d’hommes présents (danseurs et autres membres du personnel) en se dénudant, se touchant et s’embrassant entre elles. De l’autre côté, en ne se pliant pas à toutes les exigences du maître de cérémonie, les femmes ne concèdent pas toujours le phallus, ni à lui ni aux autres hommes. Comme le jeu ne peut que se dérouler avec les deux « sexes », elles possèdent ce pouvoir et l’exercent en ne mettant pas en action les gestes qu’il leur ordonne de faire. Cependant, il est plus difficile de ne pas l’octroyer lorsque l’animateur fait une blague ou un commentaire ne nécessitant pas d’action concrète de la part des membres de l’audience. En fait, tant qu’elles ne protestent pas de façon claire et qu’elles acceptent le commentaire, soit en riant ou en décidant de passer l’éponge, elles accorderont le phallus à l’animateur et renforceront son genre et son pouvoir masculins.

Conclusion

En résumé, nous avons d’abord montré comment les lieux physiques, la structure ainsi que le mode de fonctionnement du 281 contraignent les femmes à accepter leur position d’« être » le phallus, en reconnaissant joyeusement et perpétuellement sa « possession » par les hommes danseurs. Les règles très strictes qui guident le déroulement des soirées, les empêchent officiellement de se l’approprier et, évite ainsi qu’elles deviennent complètement « hors de contrôle » (Smith 2002, 74). Ensuite, nous avons remarqué que les clientes et les danseurs sont généralement rattachéEs aux mêmes groupes d’appartenance. Ces individus sont pratiquement tous blancs, jeunes, riches, à la mode, très stéréotypés et, nous supposons, hétérosexuels. Leurs interactions à partir de la scène sont également très stéréotypées. Les danseurs recherchent constamment la reconnaissance

féminine de leur possession du phallus à travers leurs encouragements sous forme de cris et d’applaudissements.

La performance des danseurs tombe toujours dans l’ultra-masculinité, qu’elle soit violente, sexuelle ou romantique, ce qui leur permet de conserver leur statut élevé, de continuer à exercer leur pouvoir masculin et ainsi renforcer leur genre. Ils parviennent à demeurer sujet malgré leur position initiale d’objet sexuel. La structuration du contexte des interactions est favorable à ce renversement. Grâce à la codification des actions en vigueur, les danseurs sont en mesure d’établir une distance très nette avec les clientes, en cadrant leur relation (depuis la scène comme sur le plancher) en termes professionnels de rémunération à l’acte. Aussi, leur statut est rehaussé par le fait que les femmes doivent se déplacer vers eux pour obtenir des danses aux tables et qu’elles communiquent abondamment et explicitement leur désir pour eux durant la danse. Finalement, les femmes sont replongées dans leur traditionnel statut d’objet-regardé par leur mise en spectacle à travers les danses individuelles obligatoirement publiques parce qu’elles se déroulent nécessairement à la table, vu l’absence d’isoloirs. Par ces moyens, les danseurs réussissent à transformer leur combinaison traditionnelle pour devenir sujet-regardé-payé, ce qui pousse les femmes dans le rôle d’objet- voyeur/regardé-payeur et qui renforce inévitablement leur possession du phallus. Finalement, à travers toutes ces interactions, l’animateur joue un rôle important et entretient lui-même des échanges directs avec l’audience, qui reflètent la structuration des interactions à l’intérieur du bar. Il influence le comportement des femmes pour qu’elles accordent le phallus aux danseurs ainsi qu’à lui-même.

Nous avons maintenant répondu à une partie de notre question de recherche, en ce qui concerne la relation de pouvoir entre les femmes clientes et les hommes danseurs. Afin de compléter notre analyse, nous poursuivons avec le prochain chapitre, qui explore les relations entre les danseurs nus et leur clientèle féminine et masculine au Stock bar.

Ce quatrième chapitre étudie la relation de pouvoir entre les danseurs nus et la clientèle féminine et masculine au Stock bar. Lors de la soirée pour dames, le club combine des contextes homosexuel et hétérosexuel simultanément. Cette ambiance très particulière se répercute sur la dynamique entre les personnes. Il est important de se pencher autant sur la relation des danseurs nus avec les femmes qu’avec les hommes, dans cette atmosphère ainsi que dans un cadre strictement homosexuel pour ces derniers, car il s’agit de cas limites qui complètent notre analyse du 281, très stéréotypé. Ce chapitre, structuré de la même façon que le précédent, nous permettra de répondre entièrement à notre question de recherche. Nous décrivons et analysons la manière dont les lieux et leur fonctionnement influencent la relation de pouvoir entre les danseurs nus et les clientEs. Dans un deuxième temps, nous présentons les personnes qui fréquentent ces lieux afin d’être en mesure de comprendre leur rapport de force. Enfin, nous étudions la relation de pouvoir qu’entretiennent ces personnes dans leurs interactions, tant à partir de la scène que sur le plancher.

Le Stock bar

Cette première section examine la façon dont les lieux et leur structuration interviennent dans la relation de pouvoir entre les danseurs nus et les personnes clientes. Nous exposons cette situation lors des soirées pour femmes et, ensuite, lors de soirées exclusivement masculines.