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II.1 L E LOBE TEMPORAL MEDIAN , SIEGE DE LA MEMOIRE DECLARATIVE

II.1.1 E TUDES ET MODELES PRINCEPS

La mémoire déclarative correspond au système d’encodage, de stockage et de récupération des souvenirs personnels (épisodique) et des connaissances sur le monde (sémantique) (Tulving, 1985). Elle correspond à la capacité de recollection consciente de faits ou épisodes préalablement encodés. C’est précisément l’altération de cette mémoire, sous-tendue par le lobe temporal médian (LTM) et les structures diencéphaliques, dont il s’agit dans les syndromes amnésiques (cf. Figure 18) (Squire, 2004). Dans son versant épisodique, la récupération peut être réalisée de deux manières : par le rappel et par la reconnaissance soit le jugement de familiarité ou de nouveauté devant la présentation d’un stimulus (Meunier & Barbeau, 2013).

Le LTM a été décrit dès les années 50 comme le siège de la mémoire déclarative chez l’homme, dans le cadre de neurochirurgies impliquant des lobotomies temporales occasionnant des troubles mnésiques majeurs (Cf. Figure 19). C’est le cas du bien connu Henri Molaison (HM), suivi et étudié par Brenda Milner des années durant (Scoville & Milner, 1957). HM, qui présentait une épilepsie incurable, avait subi en dernier recours une exérèse bilatérale des LTM. Dès lors il présenta une amnésie antérograde majeure ainsi qu’une amnésie rétrograde modérée, limitée aux événements temporellement proches de la chirurgie. L’analyse des difficultés importantes éprouvées par HM au quotidien mirent en lumière les fonctions du LTM. En effet, si le LTM est nécessaire pour encoder de nouvelles

44 informations et impliqué dans le processus de récupération, il n’est pas l’unique site de stockage de la mémoire à long-terme puisque des souvenirs anciens peuvent être préservés après résection (Meunier et Barbeau, 2013).

Figure 18. Taxonomie des systèmes de mémoire à long-terme et des substrats neuroanatomiques correspondants chez les mammifères (Squire, 2004).

Figure 19. Régions impliquées dans les processus mnésiques (Yonelinas, 2002)

A la recherche d’un modèle amnésique animal

Suite aux découvertes de Milner et de ses contemporains, dès les années 70 la recherche dans ce domaine s’est mise en quête d’un modèle animal de l’amnésie humaine et de tâches spécifiques. Les études d’alors tentaient de déterminer les substrats anatomiques de différents aspects de la mémoire. Gaffan (1974) mit au point une tâche de mémoire de reconnaissance (Delayed Matching-to-sample, DMS). Dans cette tâche on fait apprendre des

45 items cibles à l’animal puis dans une phase de reconnaissance il répond par familiarité aux stimuli cibles présentés parmi des distracteurs. Le DMS a été repris et adapté aux primates non humains : le singe étant spontanément attiré par la nouveauté, des chercheurs ont modifié la tâche, appelée alors Delayed non matching-to-sample (DNMS). La réaction à la nouveauté (item jamais présenté) et non à la familiarité (item déjà présenté) était observée (Mishkin & Delacour, 1975). Ces modèles animaux ont permis d’observer les effets délétères de l’ablation de différentes structures du LTM sur la mémoire et notamment l’effet néphaste des lésions combinées amygdalo-hippocampiques (alors que les lésions des structures indépendamment l’une de l’autre sont sans effet) fut démontré par Mishkin (1978). Néanmoins les données comportementales observées suite à une lésion hippocampique chez l’animal ne correspondaient pas au profil amnésique chez l’humain (Squire, 2004). Il fallut attendre les années 80 pour qu’un premier modèle d’amnésie chez le primate non- humain soit développé par Mishkin (1982).

Par la suite, Zola-Morgan et al. (1989a) montrèrent une dissociation entre les effets de lésions de l’amygdale (aucun effet si la lésion est strictement localisée dans l’amygdale) et de l’hippocampe (effet délétère) sur la mémoire. Les auteurs proposèrent alors que dans les études constatant un effet d’une atteinte de l’amygdale sur la mémoire, les lésions auraient débordé sur des structures corticales adjacentes qui auraient pu être responsables du déficit observé. Ainsi, une sévère altération des performances au DNMS a été décrite suite à des lésions parahippocampiques (cortex périrhinal, entorhinal notamment) chez le singe (Zola- Morgan et al., 1989b, Meunier et al., 1993). Ces travaux fondateurs ont substantiellement contribué à révéler le rôle de l’hippocampe et des structures temporales internes dans la mémoire. Des études ultérieures ont montré des fonctions différentes de sous-structures de l’hippocampe et des cortex rhinaux (Bachevalier et Meunier, 2006). Les études lésionnelles chez l’homme et l’animal se sont multipliées afin d’attribuer un rôle mnésique à chaque structure du LTM ainsi que des régions connexes comme le diencéphale ou les lobes frontaux (Aggleton et Brown, 1999, Eichenbaum et al., 2007, Janowsky et al., 1989).

46 Modélisation neuro-anatomique des différents systèmes de la mémoire humaine

Les différents systèmes décrits ont été modélisés selon une vision modulaire de la mémoire. Ainsi les informations provenant des voies néocorticales dorsale (voie du where) et ventrale (voie du what) projettent respectivement vers le cortex périrhinal (cPR) et vers le cortex parahippocampique qui eux-mêmes projettent vers le cortex entorhinal latéral et médian. Finalement, les deux systèmes convergent vers l’hippocampe qui renvoie à son tour des projections dans les structures sources (cf. Figure 20). Sur le plan fonctionnel, la voie du what est reliée au cPR qui traite les items uniques et rejoint la partie latérale du cortex entorhinal. La voie du where projette vers le cortex parahippocampique qui traite les aspects contextuels (espace/scène), puis relie la partie médiane du cortex entorhinal. Les deux voies convergent enfin dans l’hippocampe, substrat d’une opération de binding relationnel, appariant l’item à son contexte associé (Jaffard, 2011).

Figure 20. Modèle des voies du What et du Where convergentes dans l’hippocampe qui opère un « binding » relationnel (Jaffard, 2011). PRc : Perirhinal cortex, PHc : Parahippocampic cortex, HIPP : Hippocampus, Sub : Subiculum.

47 A l’inverse, le modèle unitaire de la mémoire porté par Squire (2004) postule que tous les processus mnésiques étant intégrés, par définition le LTM aurait dans la mémoire un rôle intégratif ne permettant pas la distinction des fonctions. Ainsi la sévérité d’une amnésie serait davantage à relier au volume total de la lésion plutôt qu’à sa localisation. Suivant cette approche le modèle UVSD (Unequal variance signal detection, décrit dans le paragraphee I.2.1) suggère que la recollection et la familiarité ne sont pas des processus indépendants, le critère d’acceptation du stimulus comme ayant déjà été traité se faisant sur la base de la force de la trace mnésique (Wixted et al., 2010). La recollection et la familiarité ne seraient rien d’autre que des réponses Remember et Know elles-mêmes représentant les bornes d’un continuum, de la même façon que les degrés de confiance « tout-à-fait sûr » et « à peine sûr ». La recollection et la familiarité dépendraient indistinctement du LTM.

Dans une revue de 2012, Aggleton résume les interconnexions des structures du lobe temporal médian chez l’animal afin de faire le lien avec les modèles de la mémoire déclarative. Les structures étudiées comptent l’hippocampe, le cortex entorhinal, le cortex périrhinal et le cortex parahippocampique. Toutes sont reliées entre elles plus ou moins densément, la plus connectée demeurant l’hippocampe, cela suggérant que le binding relationnel serait donc sous-tendu par un binding anatomique. La question de l’existence de patterns de connectivité propre aux sous-parties de l’hippocampe amena à comparer la connectivité du subiculum versus les différents champs de CA, et en fonction d’une ségregation rostrale/caudale de l’hippocampe. Aggleton pointe alors les deux circuits anatomo-fonctionnels décrits dans la littérature des amnésies :

- Le système hippocampique étendu de Papez (1937), reliant l’hippocampe aux corps mamillaires puis au noyau antérieur du thalamus puis au cortex cingulaire postérieur et enfin revenant à l’hippocampe.

- Le système hippocampique rostral, où l’hippocampe relie directement l’amygdale, le noyau accumbens, le cortex préfrontal médian et orbital.

Pour certains auteurs, cette omni-connectivité de l’hippocampe expliquerait une implication fonctionnelle dans tous les processus de la mémoire épisodique (Wixted & Squire, 2011). Cependant, malgré l’évidence de cette inter-connectivité importante au sein du LTM,

48 d’autres auteurs défendent toujours l’idée d’une implication fonctionnelle différentielle selon les structures (Aggleton et Brown, 1999, Eichenbaum, 2007).