• Aucun résultat trouvé

II.1 L E LOBE TEMPORAL MEDIAN , SIEGE DE LA MEMOIRE DECLARATIVE

II.1.2 D EUX STRUCTURES POUR DEUX PROCESSUS :

H

IPPOCAMPE

/R

ECOLLECTION

,C

ORTEX PERIRHINAL

/F

AMILIARITE

?

La question des substrats de la recollection et de la familiarité revient en somme à poser le problème de l’indépendance des processus sous un autre angle. Là encore, deux écoles s’affrontent, les partisans d’un processus et d’un substrat unique versus ceux prônant l’indépendance de deux processus distingués par des substrats anatomiques différents.

Le postulat initial suggérait que le lobe temporal médian indifférencié agissait comme substrat de la recollection et les cortex associatifs comme substrat de la familiarité ce qui voulait dire qu’une lésion hippocampique devait causer un déficit du rappel uniquement (Mayes et al. 1985). Néanmoins un rôle pour l’hippocampe à la fois dans le rappel et la reconnaissance a aussi été suggéré (Squire & Zola, 1998). Or Aggleton et Shaw (1996) avaient montré une dissociation entre le rappel (altéré) et la reconnaissance (intacte) chez des patients avec une lésion focale de l’hippocampe, du fornix ou des corps mamillaires. Ce résultat fut renforcé par Vargha-Khadem et al. (1997) qui décrivirent chez trois cas d’amnésie développementale avec des lésions hippocampiques bilatérales une dissociation entre des performances altérées en mémoire épisodique et une sémantisation efficiente. Les auteurs en déduisirent que le rappel épisodique dépendait totalement de l’hippocampe. Plus tard l’équipe de Mayes a observé une dissociation entre rappel et reconnaissance chez la patiente YR présentant une lésion hippocampique bilatérale (Holdstock et al., 2002). Les performances mnésiques de la patiente YR étaient déficitaires en rappel alors que les tâches de reconnaissance n’étaient pas toutes altérées. En effet, les auteurs ont relevé une dissociation entre la tâche de reconnaissance en choix forcé et la tâche de reconnaissance oui/non pour les items uniques verbaux et visuels, mais également une altération des performances à ces 2 tâches en mémoire associative s’agissant d’associations inter-items de catégorie différente (Holdstock et al., 2002, Mayes et al., 2004). Ces résultats témoignent premièrement d’une implication seulement partielle de l’hippocampe dans la mémoire de

49 reconnaissance, deuxièmement d’une implication spécifique. Plus précisément, les auteurs concluent à un défaut de recollection chez YR sous-tendu par la lésion hippocampique, impactant à la fois le rappel, et la reconnaissance nécessitant un certain niveau de binding relationnel (cf. modèle Squire). On pourrait donc se passer de l’hippocampe dans certaines tâches de reconnaissance associative assurées par la familiarité (Mayes et al., 2004). A contrario Squire propose que le LTM est impliqué de façon indifférenciée dans la recollection et la familiarité, ces dernières correspondant aux bornes d’une même variable : force de la trace mnésique (Squire, 2007). Ainsi un patient ayant une lésion dans le LTM devrait présenter un déficit équivalent de la recollection et de la familiarité (Eichenbaum et al., 2007). Cependant, l’impossibilité d’expliquer tous les cas d’amnésies hippocampiques constitue la limite des modèles à processus unique.

Dans une perspective à deux processus, au même moment, des études de cas appuient l’hypothèse de l’hippocampe comme substrat spécifique de la recollection et du cortex périrhinal comme substrat spécifique de la familiarité. Bastin et al. (2004) publient le cas de MR, un patient présentant des lésions hippocampiques bilatérales occasionnées par une intoxication au monoxyde de carbone. Les performances du patient en rappel sont altérées alors que la reconnaissance est quasi-préservée, dans la modalité verbale comme visuelle. L’évaluation directe des processus via des tâches de yes/no recognition et de process- dissociation procedure a montré une recollection altérée alors que la familiarité était suffisamment préservée pour expliquer les bonnes performances en mémoire de reconnaissance.

Le problème des hypothèses anatomiques des théories dual-process réside dans la difficulté à démontrer une double dissociation. En effet si le rôle de l’hippocampe dans la recollection fait consensus, peu de cas avec une lésion périrhinale associée à un trouble spécifique et exclusif de la familiarité ont été rapportés. Le cas cité de façon récurrente par les auteurs est celui rapporté par Bowles (2007) et Martin (2011). Il s’agit d’un patient épileptique pharmaco-résistant ayant subi une résection du lobe temporal antérieur, épargnant l’hippocampe et qui présente un trouble de la familiarité sans atteinte de la recollection. Le cas NB a fait l’objet d’une étude évaluant directement les processus via des tâches basées sur les paradigmes remember-know, receiver operating characteristics et response-deadline

50 procedure. Les résultats comportementaux montrent une nette dissociation dans les 3 tâches expérimentales, avec des performances de recollection similaires voire meilleures que celles des sujets contrôles appariés alors que les scores de familiarité sont clairement plus bas que tous les contrôles. De même la tâche avec contrainte temporelle de la réponse (response-deadline procedure) a permis de capturer le déficit de familiarité en montrant des performances déficitaires seulement à 400ms, qui se normalisent à 2000ms de délai. On notera que dans cette étude la topographie des zones lésées –réséquées - est uniquement visuelle, sur IRM morphologique.

Une autre étude comparant deux cas cette fois montre des résultats similaires (Barbeau et al., 2011). La patiente FRG et le patient JMG, tous deux victimes d’une encéphalite herpétique ayant causé la destruction complète du LTM gauche, laissant le LTM droit partiellement altéré (cf. Figure 21). FRG et JMG présentent un pattern de lésions inversé à droite. En effet, alors que dans le cas de FRG l’hippocampe est détruit laissant les structures sous-hippocampiques antérieures intactes, JMG quant à lui présente une lésion extensive des structures sous-hippocampiques antérieures avec un hippocampe préservé. Les deux patients ont été scrupuleusement évalués et les processus de rappel et de reconnaissance directement testés par des tâches standards comme expérimentales. Les résultats montrent une double dissociation suggérant l’importance des structures sous-hippocampiques exclusivement dans la reconnaissance.

Figure 21. A gauche. Imagerie morphologique en coupe sagittale des cas FRG et JMG. A droite. Double dissociation entre rappel et reconnaissance chez FRG et JMG (Barbeau et al., 2011).

Des études en IRMf ont également montré des dissociations entre les structures du LTM et les processus (Daselaar et al., 2006). Par exemple, Daselaar et al. soumettent des sujets sains à une tâche de reconnaissance de mots avec recueil des indices de confiance en IRMf.

51 Durant la phase de reconnaissance, les sujets devaient reconnaitre les mots cibles parmi le même nombre de distracteurs (mots nouveaux), et pour chaque réponse donner un degré de confiance dans la réponse. Sur la base de 6 niveaux de confiance (allant de 1 : sûr que non, à 6 : sûr que oui) la recollection a été modélisée par une fonction non-linéaire, tandis que la familiarité et la nouveauté ont été modélisées comme des contrastes positifs et négatifs d’une fonction linéaire continue.

Les résultats de l’analyse de régression multiple entre l’activation dans des régions d’intérêt théoriquement reliées à la recollection (hippocampe), à la familiarité (gyrus parahippocampique) et à la nouveauté (hippocampe antérieur et cortex rhinal) et l’échelle de confiance montrent une contribution spécifique de chacune des aires dans chacun des processus (cf. Figure 22).

Figure 22. Dissociations fonctionnelles dans le LTM concernant la recollection, la familiarité et la nouveauté (Daselaar et al., 2006).

Dans une revue sur les substrats anatomiques de la recollection et de la familiarité dans le LTM, Montaldi et Mayes décrivent un modèle s’inscrivant dans la mouvance dual-process, le modèle Convergence Recollection And Familiarity Theory ou CRAFT (cf. Figure 23) (Montaldi & Mayes, 2010). Les auteurs postulent un rôle pour l’hippocampe dans la recollection puisqu’il met en lien des représentations (item/contexte) et un rôle pour le cortex périrhinal dans la familiarité puisqu’il assure la récupération des items uniques décontextualisés. Ils attribuent entre autres cette dissociation à une différence cytoarchitectonique et de connectivité.

52 Les auteurs précisent à nouveau le rôle de chaque structure du LTM à la lumière des données de la littérature (cf. Figure 23) et listent les points qui restent obscurs, dont : le type de représentations procédées par la familiarité (seulement item unique ou association ? Associations unifiées ou non-unifiées ?), le rapport entre force de la familiarité et recollection, la différence d’atteinte de la familiarité selon que la lésion s’étend sélectivement ou globalement à l’hippocampe.

Figure 23. Le modèle CRAFT (Montaldi et Mayes, 2010). NC neo-cortex, PrC cortex perirhinal, PhC cortex parahippocampique, ErC cortex entorhinal, Hp hippocampe. A, B, C, D correspondent à différents types d’information.

A contrario, en 2010, Shimamura suggère que la fonction de binding relationnel prêtée à l’hippocampe dans une vision hiérarchique du LTM par certains soit en fait assurée par l’ensemble des structures du LTM (Shimamura, 2010). En effet les auteurs proposent un

53 modèle à plusieurs niveaux avec une fonction de binding assurée par des structures spécifiques à chacun des niveaux (cf. Figure 24). Le modèle progresse en entonnoir, allant du niveau néocortical aux niveaux LTM 1, 2, puis 3. Chaque niveau connecte ensemble les liens créés dans le niveau précédent. Le niveau 3, le plus convergent, est donc situé dans le LTM (Shimamura & Wickens, 2009). Dans ce modèle la question de la dissociation des substrats de la recollection et de la familiarité au sein des structures du LTM est caduque.

Figure 24. Modèle hierarchical relational binding theory (Shimamura et Wickens, 2009).