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Les troubles du sommeil dans le cancer du sein, un manque de connaissances objectives

l’indice prospectif

8. Le sommeil dans le cancer du sein

8.2 Les troubles du sommeil dans le cancer du sein, un manque de connaissances objectives

8.2.1 Actimétrie

Deux études ont évalué le sommeil par actimétrie, quelques jours avant le début de la chimiothérapie, et ont révélé une efficacité de sommeil allant de 76% dans la première étude (Ancoli-israel et al., 2006, temps total de sommeil de 6h/6h30), ce qui est relativement faible par rapport aux normes chez les sujets sains qui est d’environ 84% (Mitterling et al. 2015), à 86% dans la deuxième étude (Berger et al., 2007). L’absence de groupe contrôle ne permet pas de mettre en évidence l’impact du diagnostic sur le sommeil, mais il semblerait que le temps de sommeil soit diminué chez les patientes après

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diagnostic. Cette faible efficacité de sommeil peut également s’expliquer par des facteurs

psychologiques, émotionnels, dû au stress du début des traitements adjuvants, surtout dans la première étude où les patientes étaient évaluées deux jours avant la chimiothérapie, alors que dans la deuxième étude elles étaient évaluées entre deux et 28 jours avant chimiothérapie.

Les résultats concernant l’influence des traitements sur le sommeil des patients sont assez

hétérogènes. Quelques études ont montré une augmentation du temps total de sommeil lors de la première semaine suivant le cycle de chimiothérapie, puis une diminution les semaines suivantes,

jusqu’au niveau de base mesuré avant traitement (Liu et al., 2012, 2013). Au contraire, d’autres études ont observé une diminution du temps total de sommeil et de l’efficacité de sommeil au cours de la

chimiothérapie par rapport à avant traitement (Wentao Li et al., 2019), ou aucune différence (Ancoli-Israel et al., 2014). Une revue systématique de la littérature a rapporté l’influence des traitements

oncologiques sur le sommeil des patients évalué par actimétrie (Madsen et al., 2015). Sur les 13 études incluses dans la revue, huit étaient réalisées chez des patientes traitées pour un cancer du sein, dont sept évaluaient l’impact de la chimiothérapie. Malgré des résultats hétérogènes, le sommeil, tel qu’il

peut être apprécié par actimétrie, semble être modifié chez les patientes notamment lors du traitement par chimiothérapie (Perrier et al., 2021).

Une étude longitudinale a évalué le sommeil avant, pendant, et après traitement par radiothérapie (Dhruva et al., 2012). Dans cette étude, les auteurs n’ont pas observé d’influence significative de la radiothérapie sur les paramètres de sommeil inférés par l’actimétrie. Cependant ils ont rapporté que 87% des patients avaient un nombre de réveils excessifs et 54% un temps total de sommeil inférieur à la norme.

Une étude a récemment mesuré le sommeil avant initiation de l’hormonothérapie et 3 mois plus tard,

et n’a observé aucune évolution des paramètres de sommeil inférés par l’actimètrie (Bhave et al., 2018).

Bien que plusieurs études aient mis en évidence une modification des paramètres de sommeil mesurés en actimétrie suite à la chimiothérapie, les limites méthodologiques de ces études et notamment le manque de groupe contrôle ne permet pas de conclure quant à l’impact du cancer et de l’ensemble des traitements sur le sommeil des patientes.

8.2.2 Polysomnographie

À notre connaissance, seulement six études ont mesuré le sommeil à l’aide de la polysomnographie

dans le cancer non-cérébral de l’adulte. Trois études ont évalué uniquement des patientes traitées pour un cancer du sein (Aldridge-Gerry et al., 2013; Reinsel et al., 2015; Tag Eldin et al., 2019), une des

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patientes traitées pour un cancer du sein en comparaison de patients traités pour un cancer du poumon et de sujets sans antécédents de cancer (Silberfarb et al., 1993), et deux ont évalué différents types de cancer, dont le cancer du sein (Parker et al., 2008; Roscoe et al., 2011). Au vu du peu d’études

publiées, nous avons choisi de toutes les présenter (voir Tableau 3).

Influence du cancer et des traitements adjuvants

Trois études transversales ont comparé les paramètres de sommeil des patientes à ceux de sujets sans antécédents de cancer (voir Tableau 3). La première étude n’a pas montré de différence significative

entre les patientes traitées pour un cancer du sein et les sujets sains, avec ou sans syndrome

d’insomnie (Silberfarb et al., 1993). Dans la deuxième étude, une tendance des patients traités pour un cancer non-cérébral à manifester un moins bon sommeil que les sujets sains était observée :

diminution de l’efficacité de sommeil, du temps passé en SWS et REM, et augmentation du temps passé dans les stades N1 et N2 (Parker et al., 2008). Enfin la dernière étude a évalué trois groupes de

patientes atteintes d’un cancer du sein avant traitement, après chimiothérapie, et après radiothérapie,

et révélé que les patientes (des trois groupes) avaient un moins bon sommeil que les sujets sains (Tag Eldin et al., 2019). Plus spécifiquement, l’ensemble des patientes avaient un temps de sommeil plus court, ainsi qu’une efficacité de sommeil moindre et une latence d’endormissement plus importante.

Un nombre d’éveils nocturnes plus élevés, un temps passé en stade N2 supérieur et en stade REM inferieur aux sujets sains, ont aussi été mis en évidence. Les auteurs ont également montré que les patientes traitées par chimiothérapie passaient plus de temps en stade N2 et moins de temps en REM

que les patientes qui n’avaient pas encore reçu de traitements, alors qu’aucune différence significative n’était observée entre les patientes traitées par radiothérapie et les patientes non traitées.

Une étude longitudinale a évalué des patients avant et après chimiothérapie (Roscoe et al., 2011), et observé une augmentation du temps total de sommeil 3 semaines après chimiothérapie, qui revenait

au niveau basal (avant traitement) 12 semaines après chimiothérapie. Au vu de l’impact de la

chimiothérapie sur la plainte de sommeil, une diminution du temps total de sommeil était plutôt attendue. Cependant, ce résultat pourrait s'expliquer par un sommeil de mauvaise qualité avant traitement, en raison du stress associé au diagnostic du cancer et à l'appréhension de la chimiothérapie, et/ou par une accumulation de fatigue et de manque de sommeil au cours du traitement, entraînant ainsi une compensation à l’issue de la chimiothérapie. Ainsi ces études mettent en évidence un effet négatif du cancer et de la chimiothérapie sur le sommeil des patientes.

Influence de la dépression

Reinsel et al., (2015) ont comparé l’architecture de sommeil de patients avec ou sans insomnie. Aucune différence significative n’était observée entre les deux groupes. Une étude a également observé

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l’architecture du sommeil en fonction du niveau de dépression des patientes. Les patientes dépressives passaient plus de temps en N1 et moins de temps en REM que les patientes non dépressives ou avec des symptômes dépressifs légers (Aldridge-Gerry et al., 2013). Les auteurs ont également observé que les patientes vivant seules avaient plus d’éveils nocturnes, passaient plus de temps en stade N1 et moins en REM, et avaient une efficacité de sommeil inférieure aux patientes mariées.

Ainsi l’ensemble de ces études semblent montrer une modification de la macrostructure du sommeil

chez les patientes traitées pour un cancer du sein. Cependant l’hétérogénéité des résultats et les

limites de ces études, comme le manque de groupe contrôle, ne permettent pas de comprendre

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Tableau 3. Études évaluant le sommeil à l'aide de la polysomnographie dans le cancer non-cérébral

Auteurs (année) Temps depuis diagnostic ou traitement (type de traitement)

Groupes de sujets (n) Résultats architecture du sommeil (Efficacité de sommeil SE, Temps Total de Sommeil TST, Latence d’endormissement SOL, Temps d’éveil intra-sommeil WASO, Durée des stades N1/N2/SWS/REM) Silberfab et al. (1993) 7 à 8 mois Post-diagnostic (CT ± RT) P sein (15) P poumon (17) Insomniaque (32) VS (32) P sein = VS et insomniaques WASO et N1 : P sein < P poumon

Parker et al. (2008)

1 semaine Post-traitement (CT ± RT)

P sein, poumon, autres (114)

Normes VS

SE, SWS, REM : P < normes VS

Roscoe et al. (2011) Pré-CT 3, 12 semaines Post-CT (Post-CT) P sein, colorectal, lymphome (23) Pré-CT = Post-CT TST : Pré-CT < Post-CT (3semaines) Aldridge-gerry et al. (2013)

2 mois à 10 ans Post-CT (Post-CT ± RT ± HT)

P sein (103) - dépression légère (54) / dépression élevée (48)

REM : dépression élevée < légère N1 : dépression élevée > légère

Reinsel et al. (2015) 1 à 10 ans Post-traitement (CT ± RT ± HT) P sein (26) - insomnie absente à légère (15) / insomnie sévère à modérée (11)

insomnie absente à légère = insomnie modérée à sévère Tag Eldin et al., 2019 Pré-CT Post-CT (CT ou RT) P sein (74) - pré-CT (26) / post-CT (24) / post-RT (24) VS (24) SE, TST, REM : P < VS WASO, SOL, N2 : P > VS N2 : pré-CT < post-CT REM : pré-CT > post-CT

CT : Chimiothérapie ; HT : Hormonothérapie ; P : Patient(e)s ; RT : Radiothérapie ; SE : Sleep Efficiency ; SOL : Sleep Onset Latency ; TST : Total Sleep Time ; VS : Volontaire sain ; WASO : Wake After Sleep Onset; = : difference non significative.

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De nouvelles études sont nécessaires pour déterminer précisément les modifications de la structure

du sommeil de patientes atteintes d’un cancer du sein. Il serait intéressant dans les futures études d’associer l’évaluation objective du sommeil à une évaluation cognitive des patientes. En effet le sommeil est connu pour jouer un rôle majeur dans le fonctionnement cognitif, notamment dans la

consolidation mnésique. Pour rappel, l’une des caractéristiques du syndrome d’insomnie est l’impact

des difficultés de sommeil sur le fonctionnement diurne. Des études ont montré que l’insomnie comorbide à d’autres troubles médicaux ou pathologies psychiatriques avait tendance à augmenter les difficultés cognitives déjà présentes chez les sujets insomniaques (Lichstein et al., 2001). Ce

phénomène pourrait donc s’observer chez les patientes atteintes d’un cancer du sein. Dans la partie

suivante, nous allons nous intéresser au rôle du sommeil dans la cognition et la consolidation mnésique, dans un premier temps chez le sujet sain et ensuite dans le cancer du sein.