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l’indice prospectif

6.5 Les méthodes d’évaluation de la mémoire prospective

6.5.3 É valuation à l’aide de la réalité virtuelle

Évolution de l’évaluation cognitive

Comme nous l’avons vu précédemment (voir partie Des difficultés cognitives partiellement objectivées), la plainte cognitive dans le cancer n’est pas toujours liée à l'observation d'un déficit cognitif lors de l’évaluation neuropsychologique. Ce problème n’est pas seulement observé chez les

patientes traitées pour un cancer du sein, il existe aussi dans d'autres pathologies ainsi que chez le sujet sain âgé (Burmester et al., 2016; Lehrner et al., 2015; Nunes et al., 2010). Un des facteurs pouvant influencer cette absence d’association est la validité écologique des tâches de laboratoire. En effet les plaintes rapportées font souvent référence à des difficultés à réaliser des tâches quotidiennes. Or les tâches de laboratoire sont très éloignées de ces situations, limitant la comparaison entre plainte et évaluation cognitive, donc leur association. Ainsi, dans l’objectif de réaliser une évaluation cognitive plus proche de situations réelles, ont été développées des tâches cognitives en réalité virtuelle.

L’utilisation de la réalité virtuelle en neuropsychologie s’est développée à partir des années 1990, dans le cadre de thérapies cognitives et de l’évaluation de performances cognitives (Jollivet et al., 2018; Knight & Titov, 2009; LeGall & Allain, 2001). Ces tâches avaient pour objectif de mettre en scène des situations du quotidien, qui auraient pu être évaluées en milieu naturel, mais avec l’avantage de contrôler l’ensemble des paramètres (temps de latence, type d’erreurs, etc.), marqueurs environnementaux, afin d’améliorer les connaissances à propos des stratégies utilisées par les participants. Cependant à cette époque, la réalité virtuelle était encore plus couteuse que de nos jours, peu immersive, et pouvait entrainer chez de nombreux sujets des symptômes de type nausées, vertiges, maux de têtes, qui sont toujours présent mais plus atténués grâce aux améliorations technologiques. Grâce à l’amélioration des technologies de la réalité virtuelle, les tâches sont maintenant de plus en plus immersives, abordables, et donc utilisées en recherche. De plus, des études ont révélé que l’évaluation cognitive en réalité virtuelle était aussi sensible qu’une évaluation au format papier-crayon pour détecter les troubles cognitifs (Corriveau Lecavalier et al., 2020; Davison et

al., 2018; Neguț et al., 2016), et surtout plus ludiques et écologiques d’après les participants que les tests classiques de laboratoire (Kourtesis et al., 2020). Des tâches cognitives complexes comme la

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Virtual Reality Everyday Assessment Lab (VR-EAL, Kourtesis et al., 2020) qui évalue la mémoire prospective, la mémoire épisodique (reconnaissance), les fonctions exécutives, et l’attention

continuent d’être développées. De plus, grâce aux avancées technologiques et à l’accès, à moindre

coût aux casques de réalité virtuelle, ce type d’évaluation et son utilisation devraient

considérablement se développer dans les années à venir que ce soit en recherche ou en clinique.

Définition et caractéristiques de la réalité virtuelle

La réalité virtuelle est définie comme un procédé informatique permettant de simuler un environnement en 3D au sein duquel un individu peut interagir en temps réel. Les environnements peuvent représenter des endroits/situations réels ou imaginaires, où l’individu peut se déplacer physiquement, ou à l’aide de technologies, tel qu’un joystick, et recevoir des stimuli: visuels, auditifs,

moteurs, proprioceptifs (Kardong-Edgren et al., 2019). L’utilisation de la réalité virtuelle s’accompagne

d’un sentiment de présence, c’est-à-dire un état de conscience dans lequel l’individu a le sentiment d’être présent dans l’environnement (Steuer, 1992). Ce sentiment de présence dépend des capacités

d’immersion du système informatique. L’immersion décrit le degré de qualité du matériel et se mesure

en fonction des caractéristiques suivantes : l’inclusion (inclusiveness), l’étendue (extensiveness),

l’environnement (surrounding), et la netteté (vividness) de l’illusion de réalité ressentie par le sujet

(Slater & Wilbur, 1997). L’inclusion fait référence à la capacité d’atténuer la présence du dispositif électronique, l’étendue correspond à la gamme de modalités sensorielles prises en charge, l’environnement rend compte de ladimension de la projection de l’environnement virtuel, enfin, la

netteté correspond à la résolution, par exemple de l’image ou des sons. Ainsi, un environnement qui utilise une souris pour se déplacer, seulement un stimulus visuel présenté sur un écran d’ordinateur, et avec une faible résolution sera moins immersif qu’un environnement où le sujet peut physiquement

se déplacer, avec la présence de stimuli visuels, auditifs, et moteurs, et une image de haute résolution

projetée tout autour du sujet ou à l’aide d’un casque de réalité virtuelle (Kardong-Edgren et al., 2019).

Intérêt pour l’évaluation de la mémoire prospective

L’avantage de la réalité virtuelle pour l’évaluation de la mémoire prospective est que le sujet est immergé dans un environnement réel ou imaginaire, dans lequel les intentions à rappeler sont plus variées, complexes, et proches de situations réelles, que dans les tâches de laboratoire classiques. Des tâches de mémoire prospective en réalité virtuelle sont élaborées et validées depuis plusieurs années

déjà, telle que l’environnement virtuel Virtual Street, modélisé à partir de photos et sons d’une rue,

où il est demandé au sujet de se déplacer dans une rue commerçante virtuelle et de se souvenir de réaliser des intentions comme par exemple « acheter une boisson chaude en passant devant Subway » (Titov & Knight, 2005).

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En réalité virtuelle les tâches ont l’avantage d’être plus écologiques qu’en laboratoire où il est par exemple demandé d’appuyer sur une touche du clavier lorsqu’un mot indice est reconnu. De plus,

contrairement à l’évaluation en milieu naturel, l’expérimentateur peut contrôler plusieurs facteurs

impliqués dans le rappel de l’intention, comme le coût en ressources attentionnelles lors de la tâche en cours, la saillance des indices, l’utilisation d’aides mnésiques. Il est également possible de différencier les composantes prospective et rétrospective lors du rappel de l’intention, afin de mieux comprendre l’origine des difficultés de mémoire prospective et comment les réhabiliter (Lecouvey et al., 2019). L’ensemble des études ayant utilisé la réalité virtuelle pour évaluer la mémoire prospective

ont démontré sa validité par rapport à des tests de mémoire prospective standards (Canty et al., 2014; Parsons & Barnett, 2017), et également sa sensibilité (Lecouvey et al., 2012, pour revue). La réalité virtuelle a été utilisée à plusieurs reprises dans notre laboratoire pour évaluer la mémoire prospective. Le premier environnement utilisé représentait une ville virtuelle dans laquelle les participants se déplaçaient en voiture en suivant une route, à l’aide d’un volant et de deux pédales. Les participants avaient pour consignes d’aller chercher un ami à la gare et de rappeler une série de neuf actions à

réaliser à l’heure ou à l’endroit approprié (Gonneaud et al., 2012; Lecouvey et al., 2017, 2019). Ensuite, la tâche du musée Mémorial a été créée au sein de notre laboratoire, en collaboration avec le centre interdisciplinaire de réalité virtuelle (CIREVE, Lecouvey et al., 2012). Au cours de cette tâche, les participants pouvaient se déplacer librement au sein d’un environnement reproduisant une partie du musée Mémorial de la ville de Caen (Normandie France). La tâche de mémoire prospective consistait

à visiter l’intégralité du musée, observer les photographies affichées, et soit à l’horaire, soit à l’endroit

prévu, rappeler les actions à réaliser précédemment apprises. Les intentions proposées tentaient de se rapprocher au maximum de situations réelles. Il était par exemple demandé de se rendre à la projection d’un film à un horaire déterminé, ou d’aller récupérer son manteau et son sac aux vestiaires.

Cette tâche, utilisée dans le protocole PROSOM-K (Duivon et al., 2018), a déjà montré sa pertinence pour évaluer la mémoire prospective chez le sujet âgé (Rehel et al., 2019). Les résultats observés étaient similaires aux tâches évaluant la mémoire prospective en milieu naturel, soulignant ainsi

l’importance d’utiliser un matériel plus réaliste afin de mieux comprendre les performances de mémoire prospective au quotidien. Dans cette étude, l’environnement virtuel était projeté sur un grand écran, face auquel le sujet était assis et pouvait se déplacer à l’aide d’un joystick, ce qui était peu immersif selon les caractéristiques d’immersion en réalité virtuelle (Kardong-Edgren et al., 2019). Grâce au nouvel équipement mis en place par le CIREVE, nous avons pu améliorer dans le protocole PROSOM- K (Duivon et al., 2018) l’immersion du sujet avec l’utilisation d’une salle immersive composée d’écrans de 3mètres de hauteur sur lesquels l’environnement virtuel était projeté et au sein duquel le sujet, portant des lunettes à vision 3D avec détecteurs de position, pouvait se déplacer à

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