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5. La mémoire autobiographique

5.2 Les modèles de la mémoire autobiographique

5.2.1 Le modèle « Self-Memory-System »

Le Self-Memory-System (Conway & Pleydell-Pearce, 2000) est une représentation dynamique de la récupération en mémoire autobiographique qui serait contrôlée par les buts et motivations de notre « self de travail » (working self).

Les connaissances autobiographiques (Autobiographical Knowledge)

Les auteurs définissent trois niveaux de spécificité des connaissances autobiographiques : les périodes de vie, les évènements généraux, et les détails spécifiques. Ces trois niveaux de spécificité s’organisent

de façon hiérarchique du plus général au plus spécifique.

Les périodes de vies sont mesurées en années, identifiées par un début et une fin (ex : la période où

j’étais à l’école primaire) et regroupent des informations générales, propres à chaque période. Les évènements généraux sont mesurés sur une période pouvant aller de quelques jours à plusieurs

mois, et regroupent les souvenirs d’évènements répétés (ex : les week-ends chez mes grands-parents),

d’évènements uniques (ex : mon voyage en Croatie), ou de plusieurs évènements liés par un même thème (ex : l’apprentissage de la conduite automobile).

Enfin, les détails d’évènements spécifiques sont mesurés dans une période inférieure à 24h, et

contiennent des détails de type perceptivo-sensoriels (ex : odeurs, images, sons, sentiments) qui permettent de générer un souvenir dit « spécifique » avec un sentiment de reviviscence et la formation

d’images mentales. Ce dernier niveau est le plus proche de la définition de mémoire épisodique proposée par Tulving.

Mémoire autobiographique et Self

Selon Conway et Pleydell-Pearce, la construction des souvenirs serait modulée par les croyances, désirs et objectifs actuels du sujet, nommé le « working self ».

Selon la théorie de Higgins (1987), le self serait séparé en trois domaines, le « actual self » qui fait référence aux représentations de soi, le « ideal self » correspondant à la représentation de soi à laquelle on aspire, et enfin le « ought self» c’est-à-dire les représentations de soi auxquelles on devrait correspondre selon les personnes de notre entourage et la société. Ainsi notre objectif personnel, sous-tendu par le working self, serait d’harmoniser les représentations de ces trois domaines. Le

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working selfreprésente donc un processus de contrôle et de maintien de l’identité, qui peut être imagé

comme une boucle avec feedback, où un comportement serait comparé à un standard ; en fonction du résultat de cette comparaison, le comportement serait adapté pour être au plus proche du comportement attendu. Ce mécanisme de contrôle serait impliqué au moment de l’encodage et de la

récupération du souvenir autobiographique.

En parallèle, les objectifs actuels du working self sont basés sur les connaissances autobiographiques. Une personne ne peut donc pas avoir un but qui ne serait pas en accord avec ses connaissances autobiographiques.

Selon le Self-Memory-System, les connaissances autobiographiques du souvenir rappelé doivent être en accord avec nos objectifs personnels, c’est-à-dire notre working self, tout en restant cohérent avec

la réalité de l’événement évoqué. Ainsi un souvenir est une construction dynamique transitoire générée à partir de connaissances initialement enregistrées, et évoluant au fur et à mesure des rappels.

La récupération du souvenir

Selon ce modèle, les souvenirs peuvent être récupérés de façon contrôlée (« generative retrieval ») et non contrôlée ou directe (« direct retrieval »), voir Figure 2.

Durant la récupération contrôlée, un mode de récupération conscient et volontaire est enclenché, déterminé par une recherche hiérarchisée d’informations au sein du réseau de connaissances

autobiographiques, qui seront ensuite vérifiées par le working self. Ce processus requiert les fonctions exécutives et la mémoire de travail pour rechercher les détails spécifiques au souvenir à rappeler, mettre à jour les détails récupérés, et inhiber les informations inutiles (Guler & Mackovichova, 2018; Piolino et al., 2010).

La récupération directe quant à elle correspond à un souvenir qui revient en mémoire de façon spontanée, non attendue. Cette récupération spontanée peut être déclenchée par un indice dans notre environnement qui va activer le réseau de détails spécifiques lié à un évènement. Dans ce cas, le working self peut agir sur la récupération du souvenir seulement après la réactivation du souvenir. Ce type de récupération est observé tous les jours, et permet de rappeler des souvenirs qui sont généralement en lien ou adaptés au contexte dans lequel ils sont retrouvés. À l’inverse, les souvenirs

intrusifs traumatiques sont une forme anormale de récupération spontanée, car la récupération du souvenir bien que déclenchée par un élément présent dans l’environnement n’est pas adaptée au

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Figure 2. Représentation schématique de la récupération d’un souvenir selon le "Self-Memory-System", issue deConway, (2005)

Pour faire le parallèle avec le cancer du sein, une atteinte des fonctions exécutives et de la mémoire de travail pourrait donc avoir des répercussions sur le rappel contrôlé de souvenirs spécifiques.

D’autres facteurs, observés chez des patientes atteintes d’un cancer du sein, peuvent également

influencer la récupération de souvenirs. La dépression est par exemple souvent associée à une récupération de souvenir non spécifique appelé « overgeneral memory ». Un souvenir est considéré

comme spécifique lorsqu’il est situé dans un contexte spatio-temporel précis, qu’il a une durée

inférieure à 24h, et que son rappel est accompagné d’un sentiment de reviviscence et de détails

spécifiques perceptifs, sensoriels, affectifs, et/ou cognitifs (Piolino et al., 2009). Un souvenir dit généralisé ne possède donc pas ces caractéristiques, et pourrait être causé par un arrêt prématuré de la récupération contrôlée. Le modèle CaRFAX de Williams et al., (2007) propose trois mécanismes à

l’origine de ce phénomène, observé chez des personnes dépressives ou ayant vécu un évènement

traumatique. Nous allons donc présenter ce modèle qui nous semble pertinent pour évaluer le fonctionnement de la mémoire autobiographique dans le cancer du sein.

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5.2.2 Le modèle CaRFAX (« Capture and Rumination, Functional

Avoidance, and eXecutive control »)

La surgénéralisation des souvenirs, fréquentes dans certains troubles psychologiques, pourrait donc

s’expliquer par les trois mécanismes proposés dans le modèle CaRFAX (voir Figure 3), qui sont la

capture et la rumination, l’évitement, et le contrôle exécutif (Sumner, 2012; Williams et al., 2007).

Capture et Rumination

La rumination correspond à une récupération volontaire, persévérante et analytique des

représentations négatives de soi. L’évaluation de la mémoire autobiographique, nous le verrons plus

tard, demande fréquemment de rappeler un souvenir en réponse à des mots indices. Dans le cas d’une personne dépressive ou présentant des symptômes dépressifs, si ce mot se rapproche de l’état mental

ou des préoccupations de la personne, celui-ci va déclencher un processus de rumination. Durant ce processus, les informations négatives seraient traitées de façon persévérante. Ainsi, la recherche

d’information serait « capturée » dans un thème hautement consolidé, lié à la dépression ou aux

préoccupations de l’individu, qui empêcherait de passer à un autre thème et à la recherche de nouveaux indices permettant d’accéder aux détails spécifiques d’un évènement. Ce processus de rumination se solderait donc par la récupération d’un souvenir généralisé (Debeer et al., 2009; Raes et al., 2006). Cette capture est exacerbée par le phénomène d’évitement fonctionnel, lors de la recherche de détails spécifiques associés à un évènement autobiographique bouleversant.

Évitement

En effet, pour une personne dépressive ou préoccupée, rappeler un souvenir spécifique risque de provoquer une aggravation du mal être. Ainsi ces personnes auront tendance à inhiber la recherche de détails spécifiques, et donc rappeler des souvenirs généralisés, dans l’objectif de diminuer l’impact émotionnel provoqué par le rappel d’un souvenir négatif (Debeer et al., 2012; Hallford et al., 2018; Hermans et al., 2005). Ce mécanisme correspond à une stratégie de régulation affective.

Capacités de contrôle exécutif

Précédemment nous avons vu que les fonctions exécutives étaient impliquées dans la récupération contrôlée de souvenirs spécifiques (P. W. Burgess & Shallice, 1996; Conway & Pleydell-Pearce, 2000). Ainsi une diminution des performances exécutives aura pour conséquence une diminution des capacités à chercher de nouveaux indices, à accéder au réseau de détails spécifiques, et à inhiber le rappel d’indices non appropriés. Un trouble des fonctions exécutives est donc généralement associé à un rappel de souvenirs non spécifiques (Dalgleish et al., 2007; Sumner et al., 2011).

28 Figure 3. Modèle schématique du SMS et CARFAX.

En bleu est représenté le Self-Memory-System et en rouge l’impact des trois mécanismes proposés par le modèle CARFAX sur

son fonctionnement. Ainsi les troubles exécutifs vont entraîner une inhibition de la récupération en mémoire, l’évitement, une inhibition de la recherche élaborée d’indice, et enfin le mécanisme de capture et rumination va entrainer une recherche

uniquement dans un thème négatif prédéfinit, qui va inhiber la recherche d’indice élaborés. L’ensemble de ces mécanismes aboutissent à un échec de récupération de souvenir épisodique spécifique.

5.3 Les méthodes d’évaluation de la mémoire

autobiographique

Les principales méthodes d’évaluation de la mémoire autobiographique sont la méthode des mots indices, la fluence verbale autobiographique, et les questionnaires autobiographiques.

La méthode des mots indices de Crovitz et Schiffman (1974) propose une série de mots indices familiers du type « bébé », « fleur », pour lesquels le sujet doit rappeler un souvenir spécifique, puis le dater.

L’évaluation par la fluence verbale autobiographique, proposée par Dritschel et al. (1992), demande au sujet de rappeler en 90 secondes, d’informations sémantiques puis épisodiques, dans le cadre de trois périodes de vies distinctes : enfance, jeune adulte, et période récente. Lors du rappel autobiographique sémantique, le sujet doit rappeler le plus de noms possibles de personnes de son entourage. Lors du rappel autobiographique épisodique, le sujet doit rappeler le plus d’évènements

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Le test de mémoire autobiographique (AMT), proposé par Williams et Broadbent (1986), demande au sujet de rappeler, dans la limite de 60 secondes, un souvenir personnel spécifique en réponse à une liste de cinq mots à valence positive et cinq mots à valence négative (ex : « espoir », « plaisir », « culpabilité », « colère »). Ensuite le souvenir est classé comme généralisé ou spécifique en fonction du contenu du rappel et la présence, ou non, de détails spécifiques.

Le questionnaire autobiographique semi-structuré (AMI) de Kopelman et al. (1989) se compose de deux parties : sémantique et épisodique. Durant la partie sémantique, le sujet doit rappeler des informations personnelles du type : adresse de son premier logement. Durant la partie épisodique, le sujet doit rappeler des évènements autobiographiques spécifiques. Des indices sont proposés pour

aider le sujet à chercher un souvenir à partir d’un thème général, par exemple « un souvenir avec votre

frère ou votre sœur ». Rappels sémantiques et épisodiques proviennent de trois périodes de vies distinctes : l’enfance/adolescence, la période 18–30 ans, la dernière année de vie. Les éléments rapportés sont cotés en fonction du niveau de précision, pour la composante sémantique, et de spécificité, pour la composante épisodique.

Piolino et al. (2003) ont proposé le Test Épisodique de Mémoire du Passé autobiographique (TEMPau). Ce questionnaire évalue les capacités de rappels autobiographiques spécifiques à partir de 5 périodes de vie : enfant/adolescent (0-17ans), jeune adulte (18-30 ans), adulte (> 30 ans), les cinq dernières années (hormis la dernière année) et la dernière année de vie. La cotation sur quatre points

évalue l’épisodicité du souvenir, le score le plus élevé étant attribué lorsque le contexte spatio-temporel est rappelé et que le souvenir comporte des détails épisodiques spécifiques (non

sémantisés). Par rapport à l’AMI, la division en 5 périodes de vies permet d’avoir une résolution

temporelle plus précise et la cotation propose une évaluation plus fine du niveau d’épisodicité du

souvenir permettant de distinguer les souvenirs strictement épisodiques des souvenirs plutôt sémantisés.

5.4 Mémoire autobiographique, qu’en est-il dans le cancer ?