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Afin de mieux comprendre les mécanismes cérébraux associés aux troubles cognitifs dans le cancer du sein, de nombreux travaux ont réalisé des examens en neuroimagerie. Ces études ont évalué soit la structure corticale en mesurant les volumes de la substance grise ou l’intégrité des faisceaux de substance blanche ; soit l’activité fonctionnelle lors d’une tâche cognitive ou d’une tâche de repos. Les

résultats de ces études et leurs apports en termes de compréhension des troubles cognitifs sont brièvement décrits ci-dessous.

4.1 Des atteintes observées avant l’initiation des traitements

adjuvants

Peu d’études se sont intéressées à la structure corticale avant l’initiation des traitements adjuvants. La majorité de ces rares études ne montrent pas de différence significative du volume de substance grise entre les patientes et les sujets sains (B. T. Chen et al., 2018; McDonald et al., 2010). Néanmoins, quelques études ont observé une altération de la structure cérébrale suite à la chirurgie. Sato et al.

(2015) ont réalisé une IRM chez des sujets sains et des patientes avant et après chirurgie, et ont montré une diminution du volume de substance grise au niveau du thalamus chez les patientes, suggérant un impact transitoire de la chirurgie et de l’anesthésie. Cette diminution tendait à être associée à des difficultés attentionnelles chez les patientes. Deux autres études, ayant réalisé une IRM après chirurgie

n’ont pas observé de diminution de la substance grise mais une diminution de l’intégrité de la

substance blanche par rapport aux sujets sains (Scherling et al., 2012) qui n’était plus significative une

fois la fatigue ajoutée en co-variable (Menning et al., 2015). Les altérations de la structure corticale

avant l’initiation des traitements adjuvants seraient donc minimes et concerneraient la substance blanche avec des effets liés à l’âge ou à la ménopause plutôt qu’à des effets liés au cancer (Sousa et al., 2020).

À l’inverse, plusieursétudes d’imagerie fonctionnelle d’activation ont observé chez les patientes, avant chimiothérapie, une hyperactivation des régions frontales et pariétales lors de la réalisation de tâches cognitives (Cimprich et al., 2010; McDonald et al., 2012; Menning et al., 2015). McDonald et al. (2012) ont observé chez les patientes une augmentation de l’activation dans les régions frontales et pariétales durant une tâche de mémoire de travail (N-back). Les performances à la tâche étaient similaires entre les patientes et les sujets sains, suggérant une hyperactivation de ces régions dans le but de compenser de potentielles difficultés de mémoire de travail. Menning et al. (2015) ont également observé une

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hyperactivation des régions préfrontales lors d’une tâche de mémoire de travail qui était associée à

une fatigue plus élevée chez les patientes, alors qu’aucune association n’était observée chez les sujets

sains. Ainsi la fatigue pourrait être un des facteurs capables d’influencer la cognition et l’activité

corticale associée chez les patientes. Cimprich et al. (2010) ont montré que lors de la réalisation de tâches particulièrement coûteuses en ressources cognitives, les patientes activaient plus les aires frontales et pariétales par rapport aux sujets sains. Cependant l’augmentation du nombre de régions activées était associée à une diminution des performances par rapport aux sujets sains, suggérant une inefficacité de cette tentative compensatoire. Berman et al. (2014) ont observé qu’une plus grande

inquiétude était associée à des difficultés de désactivation des régions du réseau par défaut, le précuneus et le cortex cingulaire postérieur. Ces difficultés de désactivation étaient associées à une diminution des performances à la tâche de mémoire de travail, suggérant un impact psychologique sur

l’activité corticale. Bien que les facteurs à l’origine de ces modifications de l’activité cérébrale ne soient

pas complètement identifiés, il semble que l’imagerie fonctionnelle d’activation soit suffisamment sensible pour détecter des dysfonctionnements qui ne se traduisent pas toujours par un déficit cognitif, ceci avant même l’initiation des traitements adjuvants.

4.2 Impact du cancer et des traitements adjuvants, le rôle

majeur de la chimiothérapie

À l’inverse des études réalisées avant l’initiation des traitements adjuvants, de nombreuses études ont évalué les modifications corticales et fonctionnelles suite à la chimiothérapie.

Les études en imagerie structurale montrent une diminution de la densité de matière grise dans les régions frontales, pariétales et temporales, en partie corrélée à une diminution des capacités cognitives quelques mois après chimiothérapie (pour revue : Amidi & Wu, 2019; Sousa et al., 2020). Lepage et al. (2014) ont observé chez les patientes une diminution du volume de substance grise dans les régions frontales, temporales, pariétales et occipitales un mois après chimiothérapie comparé à avant traitement. Un an après chimiothérapie, une récupération de la substance grise était observée, des altérations persistant seulement dans les régions frontales et temporales. Le volume de substance grise était positivement corrélé aux performances de fonctions exécutives, de mémoire de travail et de mémoire épisodique visuelle. Des résultats similaires ont été observés par deux autres études longitudinales (McDonald et al., 2010; Perrier et al., 2020). McDonald et al. (2010) ont montré une diminution de la substance grise dans les régions frontales, temporales, le cervelet et le thalamus un mois après chimiothérapie et une récupération partielle un an après traitement. Aucune évaluation

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et al., 2020) a montré des altérations du volume de substance grise dans les régions temporales, pariétales et dans le cervelet un mois après la fin de la chimiothérapie. Ces altérations étaient partiellement récupérées un an après la fin de la chimiothérapie. Ces résultats étaient accompagnés de déficits en mémoire épisodique verbale et de fonctions exécutives avant le début de la chimiothérapie, ces derniers persistants un an après la fin de la chimiothérapie. Les études s’étant

focalisées sur l’hippocampe ont également montré des altérations de sa structure plusieurs années

après la fin des traitements, associée à une diminution des performances en mémoire (Apple et al., 2017; Kesler, Janelsins, et al., 2013).

La substance blanche est également atteinte suite à la chimiothérapie. Deprez et al. (2012) ont ainsi

montré une diminution de la fraction d’anisotropie de la substance blanche dans les régions frontales, pariétales et occipitales des patientes trois à quatre mois après chimiothérapie comparé à avant traitement. Ces modifications étaient associées à une diminution des performances attentionnelles et de mémoire épisodique verbale. L’étude de Billiet et al. (2018) a mis en évidence une récupération des atteintes de la microstructure de la substance blanche trois à quatre ans après la fin des traitements par chimiothérapie, en lien avec une récupération des capacités cognitives.

Les études en imagerie fonctionnelle d’activation révèlent des modifications de l’activation cérébrale

au cours des mois suivant la chimiothérapie (Churchill et al., 2015; Conroy et al., 2013; Jung et al., 2017; Menning et al., 2015; Scherling et al., 2011). McDonald et al. (2012) ont mis en évidence, chez des patientes comparées à des sujets sains, une augmentation de l’activation dans les régions frontales et

pariétales avant chimiothérapie, puis une diminution de l’hyperactivation du cortex préfrontal un mois après chimiothérapie, et un retour au niveau basal un an après chimiothérapie au cours d’une tâche

de mémoire de travail. Aucune différence significative de performance n’était observée entre les

patientes et les sujets sains et au cours du temps. Cette hyperactivation avant et un an après chimiothérapie suggère un recrutement efficace d’aires supplémentaires afin de maintenir les performances de mémoire de travail. À l’inverse, la diminution de l’hyperactivation serait due à

l’impact de la chimiothérapie qui empêcherait d’activer les aires cérébrales nécessaires pour

compenser les difficultés cognitives rencontrées. Bien que la chimiothérapie n’ait pas eu d’impact

significatif sur les performances de mémoire de travail, une diminution était observée chez les patientes suite à la chimiothérapie comparée aux patientes non traitées par chimiothérapie et aux sujets sains. De même, les autres études ayant mesuré la connectivité fonctionnelle au cours d’une

tâche cognitive chez des patientes avec un cancer du sein ont révélé des hypoactivations au sein des régions impliquées dans les processus mnésiques et de fonctions exécutives suite à la chimiothérapie avec une récupération notable plusieurs mois après (de Ruiter et al., 2011; Dumas et al., 2013; Jung et al., 2017; Kesler et al., 2011; Miao et al., 2016).

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L’hypoactivation observée quelques mois après chimiothérapie dans les études précédentes n’est pas

toujours associée à une diminution significative des performances cognitives (Deprez et al., 2014; McDonald et al., 2012; Zunini et al., 2013) mais plutôt à la plainte des patientes en termes cognitifs. Une étude a néanmoins montré une corrélation significative avec la plainte cognitive (Deprez et al., 2014). Une des explications suggérées est que les tâches utilisées lors des enregistrements IRM ne seraient pas adaptées pour détecter les troubles subtils rapportés par les patientes au cours de cette période. Ces hypoactivations pourraient également être le reflet de la plainte cognitive des patientes (Sousa et al., 2020).

Enfin, les études en imagerie fonctionnelle de repos ont mis en évidence des altérations spécifiques de la connectivité fonctionnelle au sein du réseau par défaut chez les patientes traitées par chimiothérapie comparées à des sujets sains (Bruno et al., 2012; Kesler et al., 2017; Kesler et al., 2013; Miao et al., 2016). Kesler et al. (2013) ont montré une association entre une connectivité anormale au sein du réseau par défaut et la plainte de mémoire chez les patientes traitées par chimiothérapie. Une autre étude a montré une diminution de la connectivité du réseau par défaut avec les régions du cortex préfrontal et du lobe temporal médian. Une diminution de la connectivité dans cette dernière région était associée à un déficit attentionnel chez les patientes après chimiothérapie (Miao et al., 2016).

À distance de la chimiothérapie, des troubles cognitifs sont encore rapportés chez certaines patientes,

il est donc important d’évaluer leur association avec la structure et le fonctionnement cérébral. En

effet, bien qu’une récupération partielle du volume dans les régions frontales, temporales et pariétales

au cours de l’année suivant le traitement par chimiothérapie soit généralement observée (McDonald et al., 2010; Perrier et al., 2020), plusieurs études révèlent une persistance à long terme de ces altérations. Une diminution du volume de la substance grise et de l’intégrité de la substance blanche

(de Ruiter et al., 2012; Koppelmans et al., 2012; Stouten-Kemperman et al., 2015) ainsi qu’une hypoactivation des régions frontales et temporales ont été observées plusieurs années après traitement (Conroy et al., 2013; de Ruiter et al., 2011). Dans l’étude de Stouten-Kemperman et al.

(2015), les auteurs ont observé, plus de 10 ans après traitement par haute dose de chimiothérapie,

des difficultés cognitives, ces difficultés n’étaient cependant pas corrélées à des altérations

structurales.

Il est donc nécessaire de déterminer quels facteurs pourraient prédire la persistance de ces altérations cérébrales plusieurs années après traitement. Un article de recommandations méthodologiques a été

récemment publié afin d’homogénéiser les études de neuroimagerie dans le cancer non-cérébral (Deprez et al., 2018). Outre les recommandations méthodologiques à propos des scanners, séquences IRM, types de traitements et analyses à utiliser, les auteurs recommandent de mettre en lien les

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données d’imagerie avec les variables cliniques, démographiques et cognitives des patientes afin d’identifier les facteurs de risques de ces modifications cérébrales et cognitives.

4.3 Quelles conséquences sur le fonctionnement mnésique ?

La méta-analyse de Svoboda et al. (2006), réalisée à partir d'études de la Mémoire Autobiographique effectuées chez le sujet sain, a montré une implication des régions préfrontales dans la récupération

contrôlée des souvenirs, c’est-à-dire lors des processus de sélection, vérification, maintien des informations. En effet, plus la spécificité du souvenir augmente, plus le cortex préfrontal serait activé (Barry et al., 2018). Le cortex préfrontal serait également impliqué dans les processus de référence à soi (jugements des informations personnelles). Les lobes temporaux médians (dont l’hippocampe), la jonction temporo-pariétale, le cortex orbitofrontal, l’amygdale, le gyrus frontal, seraient quant à eux impliqués dans la récupération des détails épisodiques visuo-spatiaux, émotionnels, et sous-tendraient le sentiment de reviviscence (Greenberg et al., 2005; Viard et al., 2007).

Les régions frontales et pariétales atteintes par la chimiothérapie sont également impliquées dans le fonctionnement de la mémoire prospective. Dans leur méta-analyse, Cona et al. (2015) ont rapporté une activation des aires du cortex préfrontal antérieur, du cortex pariétal, du cortex cingulaire postérieur, ainsi que des régions occipitales et sous-corticales (ex : thalamus) lors de la phase

d’encodage. La phase de maintien de l’intention impliquerait les régions frontales et pariétales et la récupération de l’intention serait sous-tendue par les régions du cortex préfrontal, pré-moteur et pariétal postérieur.

Les régions cérébrales atteintes lors du cancer du sein sont, pour la plupart impliquées dans le fonctionnement de la mémoire autobiographique et de la mémoire prospective, évaluées au cours de cette thèse. L’atteinte de ces régions au cours du cancer et de la chimiothérapie pourrait donc avoir un impact négatif sur les performances en mémoire autobiographique et en mémoire prospective des patientes.