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1 Partie théorique

1.1 Trouble spécifique du développement du langage (TSDL)

 

L’apprentissage du langage oral est implicite, c’est-à-dire qu’il ne nécessite pas d’apprentissage conscient de la part de l’enfant apprenant. Toutefois, il n’est pas rare que certains enfants présentent des difficultés dans cette acquisition. Les enfants présentant un trouble spécifique du développement du langage (TSDL) sont décrits par Leonard (1998) comme ayant une limitation significative de leurs compétences langagières soit des résultats inférieurs ou égaux à -1.25 écart-type par rapport à la moyenne dans des épreuves langagières.

De plus, il ne faut pas que cela puisse être expliqué par une surdité, des performances déficitaires dans des épreuves de raisonnement non-verbal, une atteinte cérébrale, une anomalie des organes phonateurs, un trouble envahissant du développement ou une carence environnementale. Il s’agit par conséquent d’un trouble primaire touchant spécifiquement le langage, dont le diagnostic est posé principalement par exclusion. La notion de durabilité caractérise également ces difficultés. En effet, celles-ci persistent après l’âge de 6 ans malgré une prise en charge logopédique adaptée. Selon une étude réalisée par Tomblin, Records, Buckwalker, Zhang, Smith et O’Brien (1997) aux Etats-Unis sur une population de 7218 enfants, âgés de cinq à six ans, 7.4 % d’entre eux présenteraient un TSDL. La terminologie utilisée pour définir ces troubles varie selon les pays. Leonard, en 1981, introduit la notion de

« Specific Language Impairment » (SLI). Dans la littérature francophone, les termes de

« Dysphasie » ou de « Trouble Spécifique du Développement du Langage » (TSDL) (Chevrie-Muller, 1996) sont plus fréquemment employés. Etant donné l’importante variabilité interindividuelle des performances langagières chez les enfants présentant un TSDL, plusieurs auteurs ont cherché à établir des classifications de ce trouble. La plus répandue est celle de Gérard (1993) qui décrit cinq sous-types de TSDL. Le premier est le syndrome phonologique – syntaxique dans lequel une supériorité des compétences réceptives sur les compétences expressives est observable. Le second est le syndrome de production phonologique dans lequel l’expression, seule, est atteinte avec des troubles phonologiques importants. La dysphasie réceptive constitue le troisième sous-type décrit comme un trouble présentant au premier plan des difficultés réceptives avec toutefois des difficultés expressives. Vient ensuite la dysphasie mnésique ou lexicale-syntaxique qui est un trouble dans lequel les capacités mnésiques et d’évocation sont altérées. L’expression ainsi que la compréhension sont par

conséquent atteintes. Pour finir, le cinquième sous-type est celui de la dysphasie sémantique-pragmatique qui est caractérisée par des difficultés au niveau de la communication.

1.1.2 Principaux troubles langagiers rencontrés  

Leonard (1998) rapporte que les enfants présentant un TSDL ont des difficultés dans les différents niveaux langagiers, c’est-à-dire aux niveaux phonologique, lexical, morphologique et syntaxique. Chacun de ces niveaux peut effectivement être atteint, à différents degrés. Ainsi, les enfants avec un TSDL présenteraient des capacités phonologiques similaires à celles d’enfants plus jeunes bénéficiant d’un développement typique (Gallon, Harris, Van der Lely, 2007). Il est également fréquent d’observer des troubles morphosyntaxiques chez les enfants avec un TSDL. En effet, Comblain (2004) décrit les performances de 13 enfants (âgés de six à neuf ans) belges francophones, atteints d’un TSDL de type phonologique-syntaxique, dans les épreuves de la batterie ISADYLE (Piérart, Comblain, Grégoire & Mousty, 2010). Les résultats obtenus par ces enfants dans les épreuves morphosyntaxiques sont quantitativement inférieurs à ceux d’enfants contrôles d’âge chronologique similaire sur les plans productif et réceptif. De même, les performances des enfants sont qualitativement différentes de par la production d’erreurs atypiques (ex « tomber moto » pour « l’homme pousse la moto, il la fait tomber »). De surcroît, une différence entre la production et la compréhension, en faveur de cette dernière, est mise en avant dans cette étude. Plus précisément, les enfants présentant un TSDL ont d’importantes difficultés avec les pronoms clitiques accusatifs qui constituent un marqueur clinique de ce trouble en français ainsi que dans les langues romanes (Paradis, Crago, & Genesee, 2003 ; Tuller, et al., 2011).

Toutefois, nous détaillerons cet aspect par la suite (cf. section 1.4). Afin de contourner leurs difficultés, il a été mis en évidence que les enfants avec TSDL mettaient en place des stratégies dans le but d’éviter les phrases comportant des structures syntaxiques complexes et qui nécessitent des déplacements syntaxiques2 telles que les propositions relatives et les questions wh-. La complexité syntaxique des questions wh- dépend du nombre de mouvements impliqués dans leur élaboration ainsi que des éléments fusionnés. Les questions wh- in-situ comme par exemple « le chat peint qui ? », dans lesquelles le pronom interrogatif est positionné après le verbe sont en conséquent plus simples que les questions wh- ex-situ de type « qui est-ce que peint le chat ? » ne suivant pas l’ordre canonique des éléments de la phrase en français (soit Sujet-Verbe-Objet). En conséquent, les enfants avec TSDL utilisent                                                                                                                

2  C’est-à-dire qu’une unité de la phrase est déplacée, modifiant ainsi l’ordre linéaire de la phrase (Riegel, M., 1983).

des questions avec wh- in-situ mais évitent les wh- ex-situ (Roesch, A. D., & Chondrogianni, V., 2013). Ils produisent donc des structures moins complexes, exigeant moins de ressources cognitives, ou encore des énoncés agrammaticaux en français (Jakubowicz et Tuller, 2008).

Cet effet est également relaté dans l’étude de Hamann, Tuller, Monjauze, Delage et Henry (2007) portant sur des échantillons de langage spontané de 10 enfants avec TSDL, âgés de 5;10 à 10;5 ans, comparés à ceux de 18 adolescents présentant un TSDL âgés de 10 ;11 à 15;7 ans et de trois groupes de 12 enfants contrôles de six, huit et 11 ans. Les résultats mettent en avant le fait que les enfants avec TSDL les plus jeunes ont un taux d’erreurs plus important que ceux des autres groupes. De plus, ils évitent la production de structures syntaxiquement complexes. Chez les adolescents présentant un TSDL, l’utilisation de ces stratégies compensatoires persiste ainsi que l’importance des erreurs. En effet, ceux-ci évitent les mouvements syntaxiques et privilégient les énoncés plus simples n’impliquant pas d’enchâssements dans une proposition principale (ex : « je ris [parce que c’est drôle] »), alors que les enfants à développement typique, complexifient quant à eux la structure syntaxique de leurs énoncés avec l’âge. L’évitement de la complexité syntaxique peut par conséquent être considéré comme un marqueur de TSDL. En regard de ces difficultés syntaxiques, il est possible de faire le lien avec un manque de maturation de la mémoire de travail. C’est en effet l’hypothèse avancée par Jakubowicz et Tuller (2008). D’après ces auteurs, les limitations en mémoire de travail engendreraient des difficultés morphosyntaxiques chez ces enfants. A l’inverse, la maturation de la mémoire de travail libère des ressources cognitives permettant ainsi aux enfants de traiter et de produire des structures syntaxiques plus complexes. Plusieurs études, notamment celle de Gathercole et Baddeley (1990) illustrent la présence effective de difficultés en mémoire de travail verbale chez les enfants avec TSDL. Ces auteurs ont mis en avant le fait que six enfants avec un TSDL de sept à 8;10 ans avaient des performances inférieures à celles d’enfants contrôles de même âge chronologique dans des tâches de répétition de non-mots, indiquant la présence d’un déficit phonologique et de mémoire à court terme verbale dans cette population. De plus, les enfants avec TSDL présenteraient également des difficultés dans les tâches de mémoire de travail plus complexes comme le montrent Weismer, Evans et Hesketh (1999) en décrivant les performances de 20 enfants TSDL âgés de 5;8 à 9;7 ans dans une double tâche adaptée du « sentence-span task3 » (Daneman &

Carpenter, 1980). Les enfants TSDL obtiennent des performances équivalentes à celles des                                                                                                                

3  Dans le « sentence-span task » des phrases nécessitant une réponse par oui ou non sont présentées aux participants afin de vérifier leur compréhension de ces énoncés. Ceux-ci doivent également mémoriser le dernier mot de chaque phrase dans le but de les restituer à la fin de l’épreuve.

enfants contrôles en compréhension de phrases, toutefois ils rappellent significativement moins de mots que les enfants de même âge chronologique. Ces résultats peuvent être expliqués par le manque de ressources cognitives disponibles restantes pour la tâche de mémorisation de mots après l’exercice de compréhension. Enfin, l’étude réalisée dans le cadre de mémoires en logopédie de Masson & Savioz (2012) a mis en avant la présence de ce lien prédictif entre les capacités en mémoire de travail et celles en morphosyntaxe, et ce en compréhension ainsi qu’en production chez 28 enfants francophones avec TSDL (âgés de cinq à 14 ans). Les auteurs ont précisément démontré la présence d’un lien entre la composante sérielle de la mémoire de travail et la production de structures syntaxiques complexes. Ces études illustrent ainsi la présence de difficultés concernant différents niveaux langagiers, notamment la morphosyntaxe (possiblement en relation avec les capacités en mémoire de travail verbale), dans la population TSDL.

1.2 Trouble du spectre autistique (TSA)