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1 Partie théorique

1.4 Pronoms clitiques accusatifs et articles définis

 

L’article défini appartient à la classe des déterminants et peut être décrit comme précédant le nom qui représente un être ou une chose considérée comme connue. Ainsi, il présuppose l’existence d’une référence unique. (Müller & Kupisch, 2007, p 48). Celui-ci précède toujours un nom avec lequel il fusionne afin de créer le syntagme nominal [1]. Il peut, en fonction du nom qu’il précède, être féminin ou masculin et singulier ou pluriel.

[1] Le chat dort.

Le pronom clitique accusatif remplace quant à lui un groupe nominal. Kayne (1975) ainsi que Cardinaletti et Starke (1999) ont décrit plusieurs propriétés de surface5 de ce pronom. Il fait référence à un antécédent qui n’est pas présent dans le domaine local [2]. Le pronom clitique accusatif ne peut être produit en isolation [3] mais est produit dans une position non canonique, soit avant le verbe en français [4] dont il ne peut être séparé [5], hormis par un autre clitique [6]. Il ne peut pas non plus être présent après une préposition [7].

De même, le pronom clitique accusatif ne peut être accentué [8], clivé [9], ou coordonné [10].

[2] Christine la porte. La = * Christine [3] Qui est-ce ? Charlotte, * la

[4] Pierre range régulièrement ses livres. Pierre les range régulièrement.

[5] * Pierre range régulièrement les.

[6] Paul la leur livre.

[7] J’achète un cadeau à Benoît. *J’achète un cadeau à le.

[8] Emma, d’accord. * La, d’accord.

[9] C’est Louis que j’emmène. * C’est le que j’emmène.

[10] Sophie et Mathias arrivent. * La et le arrivent.

Dans notre étude, nous allons principalement nous centrer sur les pronoms clitiques accusatifs 1ère (ACC1) et 3ème personnes (ACC3) comme illustrés dans le Tableau I. Le pronom ACC3 présente des propriétés syntaxiques supplémentaires le rendant plus complexe qu’ACC1. En effet, celui-ci possède une référence indépendante au discours [11], il varie également selon le genre [12] et le nombre [13] de la référence, ce qui n’est pas le cas d’ACC1 (qui ne varie qu’en nombre). Il peut être animé [14] ou non-animé [15] car ACC3 n’a pas de spécificité au niveau de ce trait contrairement à ACC1 qui est uniquement animé.

Enfin, il peut être omis sous certaines conditions spécifiques en français parlé [16] (Tuller et al., 2011).

[11] Achète le.

[12] Charlotte peint une toile / un tableau. Charlotte la / le peint.

[13] Paul transporte Marie / les enfants en voiture. Paul la / les transporte en voiture.

[14] Le dresseur nourrit les tigres. Le dresseur les nourrit.

                                                                                                               

5  C’est-à-dire après que les mouvements syntaxiques ont été réalisés.  

[15] L’ordinateur est en panne. Peux-tu le réparer ?

[16] Veux-tu que je te montre le chemin ? Non, je ∅ connais.

Tableau I

Différents pronoms clitiques accusatifs en français

En français tout comme dans plusieurs langues romanes, les ACC3 ont la même forme phonologique que les articles définis. Toutefois le pronom clitique accusatif est syntaxiquement plus complexe car il implique un déplacement syntaxique alors que l’article ne nécessite qu’une simple fusion afin d’appartenir à la structure phrastique [17]. Selon la théorie de Jakubowicz, Nash, Rigaut et Gérard (1998), un verbe transitif peut avoir plusieurs arguments. Le pronom clitique accusatif est, dans un premier temps, produit comme n’importe quel autre argument en position canonique d’objet direct, soit après le verbe. Un déplacement syntaxique se produit ensuite, projetant le pronom avant le verbe et laissant une trace après le verbe [18].

[17] Article défini « le » [18] Pronom accusatif « le »

Personnes Pronoms clitiques accusatifs

1ère personne du singulier me

2ème personne du singulier te

3ème personne du singulier féminin la 3ème personne du singulier masculin le

1ère personne du pluriel nous

2ème personne du pluriel vous

3ème personne du pluriel les

!

1.4.2 Acquisition dans le développement typique

Selon Müller et Kupisch (2007), c’est vers l’âge de 2;4 ans que les enfants comprennent que la présence d’un déterminant est obligatoire. Bassano (2010) décrit que les enfants de 39 mois ont acquis une bonne maîtrise de l’article défini en le produisant dans 96%

des contextes obligatoires. Cette acquisition suit une certaine chronologie. En effet, l’enfant apprend dans un premier temps à marquer le genre de l’article, puis le nombre de celui-ci et pour finir, son caractère défini ou indéfini. L’article indéfini est plus fréquemment produit que l’article défini jusqu’à l’âge de cinq ans du fait de la nécessité de considérer les connaissances que l’enfant, ainsi que son interlocuteur, ont de la situation (Karmiloff & Karmiloff-Smith, 2001).  

En ce qui concerne l’acquisition des pronoms clitiques accusatifs, Hamann et al.

(2003) décrivent, lors de d’étude d’un échantillon de langage spontané d’un enfant francophone, que celui-ci commence vers 2;0 – 2;3 ans à produire des pronoms clitiques accusatifs. Ce n’est que vers six ans, que le taux de production des pronoms clitiques accusatifs atteint 90% (Grüter, 2006). D’après Bouchet et Boutard (2009), l’analyse qualitative des productions d’enfants contrôles au Protocole de l’Evaluation de l’Expression Syntaxique 3-8 ans montre que le pronom ACC3 pluriel (les) est acquis plus précocement, vers l’âge de cinq ans, avec un taux de production de 88.2%. Le pronom ACC3 féminin est quant à lui produit dans 80% des contextes obligatoires à l’âge de sept ans. C’est le pronom ACC3 masculin qui est maîtrisé le plus tardivement. En effet, celui-ci est encore en cours d’acquisition vers sept ans et globalement maîtrisé vers huit ans (87.7%). Selon Van der Velde (2003) l’acquisition de ACC3 est difficile mais la compréhension reste toutefois plus aisée. En conséquence, les enfants omettent souvent ce morphème grammatical ou le remplacent par un groupe nominal. L’étude de Tuller, Delage, Monjauze, Piller et Barthez (2011) décrit que les enfants au développement typique âgés de six ans produisent, dans une tâche d’élicitation de pronoms, le pronom ACC3 dans 70.3% des cas, et s’ils ne le produisent pas, le remplacent par un groupe nominal ou l’omettent. De même, des erreurs de genres sont présentes lorsque les ACC3 sont produits. Cependant, à 11 ans, aucune omission des ACC3 n’est observable et seuls quelques rares enfants le remplacent encore par un groupe lexical.

Enfin, l’étude de Jakubowicz et ses collaborateurs (1998) a mis en avant le fait que, dans un groupe de 20 enfants monolingues francophones (M = 5;7 ans) au développement typique, l’article défini était produit dans 100% des contextes obligatoires en comparaison au pronom clitique accusatif objet qui n’est produit que dans 78.7% des contextes. L’acquisition du

pronom clitique accusatif est ainsi plus tardive que celle de l’article défini en raison de sa complexité syntaxique.

1.4.3 Acquisition dans le développement atypique

Nous allons, pour chaque population étudiée, présenter l’acquisition de l’article défini ainsi que celle du pronom clitique accusatif.

1.4.3.1 TSDL  

L’article défini est globalement maîtrisé chez les enfants présentant un TSDL contrairement aux ACC3, comme l’illustre l’étude de Jakubowicz et ses collaborateurs (1998) investiguant la production de l’article défini et des ACC3 chez des enfants francophones avec TSDL (N = 13, M = 8;11 ans). Dans cette étude, les articles définis ont été systématiquement produits dans chaque contexte obligatoire à l’inverse des ACC3 qui ont été produits dans uniquement 25.2% des contextes obligatoires. Ce dernier résultat est inférieur à celui obtenu par les enfants contrôles de même âge lexical pour lesquels les auteurs relèvent un taux de production des ACC3 de 78.7%. En ce qui concerne la compréhension des ACC3, les résultats ne montrent cependant pas de différence entre les enfants avec TSDL et les enfants contrôles. Comme nous l’avions mentionné précédemment, le pronom ACC3 est considéré, en français, comme un marqueur d’un développement langagier atypique notamment du TSDL. Cela a également été mis en évidence par Tuller et ses collaborateurs (2011). Leur étude a porté sur 37 adolescents présentant un TSDL (M = 14;8 ans), 19 avec une perte auditive légère à modérée (M = 13;8 ans), 15 avec une épilepsie rolandique (M = 13;6 ans) et enfin deux groupes d’enfants contrôles au développement typique, soit 24 enfants de six ans et 12 enfants de 11 ans. La production de la 1ère et la 3ème personnes de pronoms clitiques nominatifs, réflexifs et accusatifs a été élicitée chez les participants à travers l’épreuve de Production Probe for Pronoun Clitics (PPPC, Tuller et al., 2004). Les résultats indiquent que la production des ACC3 est particulièrement difficile pour les enfants avec TSDL comparativement aux autres pronoms clitiques. Les erreurs observées chez les adolescents avec TSDL sont des substitutions des ACC3 par un groupe nominal, des omissions ainsi que des réponses non cibles. Les auteurs observent également que les participants avec TSDL évitent les structures syntaxiques impliquant la production des ACC3. Il est important de préciser qu’aucune corrélation entre la production des ACC3 et l’âge n’a été observée. Les difficultés de production des ACC3 sont par conséquent persistantes, même après l’enfance.

Les auteurs constatent également un taux de production des ACC1 significativement plus

élevé que celui des ACC3. En somme, les enfants avec TSDL présentent des difficultés avec les ACC3 et non avec les articles définis et ce de manière persistante.

1.4.3.2 TSA  

Plusieurs auteurs mettent en avant le fait que la maîtrise de l’article défini est partielle chez les enfants avec TSA. Durrleman et Zufferey (2009) montrent en effet, dans une étude longitudinale, que les taux d’omission des articles définis et indéfinis dans des échantillons de langage spontané de deux participants (ayant respectivement 5;8 et 3;9 ans) étaient de 17 et 32%. Modyanova (2009) étudie quant à elle les capacités de compréhension des articles définis et indéfinis chez des enfants anglophones avec TSA âgés de six à 18 ans. Les résultats montrent que 60% des participants n’ont pas de connaissance des articles définis.

En ce qui concerne le pronom clitique accusatif, Terzi, Marinis, Francis, Kotsopoulou (2012) montrent que, chez les enfants avec TSA, la compréhension de ce pronom engendre des difficultés. En effet, les résultats de cette étude concernant 20 enfants (avec TSA) âgés de cinq à huit ans de langue grecque, indiquent que le taux de compréhension des pronoms clitiques est d’en moyenne 88.3 %, ce qui est significativement inférieur à celui des enfants contrôles (99.2% en moyenne) de même âge lexical. De plus, certains auteurs décrivent également un phénomène d’inversion pronominale chez les enfants avec TSA. En effet, il est fréquent d’observer une substitution du pronom personnel « je » par le « tu » (Evans &

Demuth, 2011). Les pronoms 1ère personne peuvent ainsi engendrer certaines difficultés. Ce phénomène peut être expliqué par de multiples mécanismes, notamment l’écholalie ainsi que des difficultés pragmatiques. Ainsi, les enfants avec TSA présentent une faiblesse au niveau des articles définis mais également en ce qui concerne la compréhension des ACC3.

1.4.3.3 Dyslexie  

Les enfants dyslexiques présentent une bonne maîtrise des articles définis comme l’illustre l’étude de Zachou, Partesane, Tenca et Guasti (2013) dans laquelle 10 enfants dyslexiques italophones (M = 9 ans) ont participé. Ceux-ci présentent globalement des performances dans la norme dans des tâches de production et de compréhension d’articles définis. A l’inverse, ces enfants dyslexiques ont de moins bonnes performances que les enfants contrôles lorsqu’il s’agit de produire ou de comprendre le pronom ACC3. Des erreurs de genre ainsi que des omissions sont commises dans la tâche de production. L’étude de Avram, Sevcenco et Stoicescu (2012) retrouve ces difficultés lors de la production des ACC3 chez 25 enfants dyslexiques âgés de 8;11 ans de langue roumaine. En effet, ceux-ci présentent

des résultats inférieurs à ceux obtenus par les enfants contrôles de même âge chronologique.

Les pronoms ACC3 sont produits dans 70% des contextes obligatoires alors qu’ils le sont dans 90% des cas chez les enfants contrôles. Les auteurs observent peu d’omissions, toutefois les enfants dyslexiques ont tendance à éviter les structures syntaxiques impliquant la production des ACC3 et privilégient celle d’un syntagme nominal. Ainsi, les enfants dyslexiques présentent une bonne maîtrise des articles définis mais ont des difficultés avec les ACC3.

1.5 Comparaisons inter-populations  

Plusieurs hypothèses ont été émises sur le lien entre le TSDL, la dyslexie et le TSA.

Nous aborderons dans un premier temps les comparaisons entre les populations selon l’hypothèse d’un recouvrement, puis dans un deuxième temps selon l’hypothèse d’un continuum.

1.5.1 Hypothèse d’un recouvrement 1.5.1.1 TSDL et TSA

 

  L’hypothèse d’un recouvrement entre le TSDL et le TSA a été émise par certains auteurs. En effet, même si selon les critères diagnostics ces deux pathologies s’excluent, une comorbidité entre ces deux troubles est observable et certains enfants sont atteints d’un TSA ainsi que d’un TSDL (groupe d’enfants TSA avec trouble du langage, ALI) comme l’illustre Bishop (2010). Effectivement, l’auteur a réalisé une étude permettant de rendre compte de la comorbidité entre les deux troubles à travers un modèle simulant les facteurs de risque. Le modèle indique que chaque trouble possède ses propres facteurs de risque et facteurs causaux.

Cependant, il met également en avant la présence de mêmes facteurs de risque pour les deux pathologies. Cela signifie que si un individu présente l’un des troubles, celui-ci a également plus de risque de présenter l’autre trouble. Le terme de pléiotropie est utilisé pour illustrer cette hypothèse. En effet, un gène peut déterminer plusieurs phénotypes différents comme illustré dans la figure 1.