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1 P ARTIE T HEORIQUE

1.6 Adolescence, entre addiction et culture vidéoludique

1.6.2.1 Trouble du jeu sur Internet (DSM 5) : un compromis nosographique ?

La nouvelle version du DSM a introduit un questionnement concernant la pertinence nosologique de l’addiction aux jeux vidéo. Cette réflexion s’inscrit dans une refonte de la catégorie des addictions qui se subdivise en deux types : avec ou sans substances. Le recours à la notion d’addiction comportementale renvoie à une définition des comportements de dépendance dont la perte de contrôle de l’activité de consommation engendre des effets néfastes à de multiples niveaux de fonctionnement (personnel, social, professionnel) (Auriacombe, Fatséas, Daulouède, 2017).

Cette nouvelle version de l’addiction dans le DSM 5 s’est également enrichie d’un nouveau critère diagnostic : le craving (Auriacombe, Serre, Fatséas, 2016). Ce marqueur se définirait par le désir impérieux ou compulsif d’utiliser une substance ou d’adopter un comportement particulier face à un jeu d’argent. Ces deux nouveautés de l’APA ont permis l’intégration des jeux d’argent (Gambling) dans la catégorie des addictions.

Concernant l’utilisation problématique des jeux vidéo, la classification américaine propose la terminologie d’Internet Gaming Disorder (IGD) soit en français un trouble du jeu sur Internet. Toutefois, le constat d’études insuffisantes pour qualifier ce trouble d’addiction rappelle la nécessité de poursuivre les recherches concernant cet usage. De ce fait, il n’est pas présent dans la catégorie des addictions mais dans celle des troubles nécessitant plus d’études (Section III du DSLM-5). L’objectif de cette intégration du Trouble du Jeu sur Internet dans le DSM, hors catégorie pathologie avérée, est de proposer un objet d’étude à opérationnaliser pour évaluer sa pertinence nosographique. Il s’agit donc d’inviter les chercheurs à interroger les comportements des joueurs de jeux vidéo à la lumière du trouble du jeu vidéo sur Internet. Nous proposons de présenter les critères diagnostiques de l’Internet Gaming Disorder dans le tableau 4 ci-dessous :

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Tableau 4: Critères diagnostiques du Trouble du Jeu sur Internet (APA, 2013; APA, 2015, version française)

A.Utilisation persistante et répétée d’Internet pour pratiquer des jeux, souvent avec d’autres joueurs, conduisant à une altération du fonctionnement ou une détresse cliniquement significative comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes sur période de 12 mois :

1. Préoccupation par les jeux sur Internet (la personne se remémore des expériences de jeu passées ou elle prévoit de jouer ; les jeux sur Internet deviennent l’activité dominante de la vie quotidienne). N.B. : Ce trouble est distinct du jeu d’argent sur Internet, qui fait partie du jeu d’argent pathologique.

2. Symptômes de sevrage quand l’accès aux jeux sur Internet est supprimé (ces symptômes se caractérisent typiquement par de l’irritabilité, de l’anxiété ou de la tristesse, mais sans signe physique de sevrage pharmacologique).

3. Tolérance – besoin de consacrer des périodes de temps croissantes aux jeux sur Internet.

4. Tentatives infructueuses de contrôler la participation aux jeux sur Internet.

5. Perte d’intérêt pour les loisirs et les divertissements antérieurs du fait, et à l’exception, des jeux sur Internet.

6. La pratique excessive des jeux sur Internet est poursuivie bien que la personne ait connaissance de ses problèmes psychosociaux.

7. Ment à sa famille, à ses thérapeutes ou à d’autres sur l’ampleur du jeu sur Internet. 8. Joue sur Internet pour échapper à ou pour soulager une humeur négative (par

exemple, des sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété).

9. Met en danger ou perd une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d’études ou de carrière à cause de la participation à des jeux sur Internet.

Cette description nosographique repose sur l’observation d’au minimum cinq critères sur une période d’un an. Cette proposition diagnostique n’évoque pas l’utilisation des jeux vidéo hors ligne. Une partie de la population joue sur console ou téléphone sans connexion Internet. La

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mise en avant du jeu en ligne s’explique par la volonté de différencier les jeux d’argent des jeux vidéo mais également d’interpeller sur les risques des jeux MMORPG. Ces derniers ont fait l’objet de recherches qui convergeaient vers des impacts négatifs plus importants que les jeux hors ligne.

La pertinence de la définition d’addiction comportementale du jeu vidéo est également mise à mal par le fait qu’il est un produit culturel, un loisir populaire. Le risque est alors de considérer une activité culturelle sous l’angle de l’addiction. La majorité des joueurs réguliers ne rencontre pas de problème. Il s’agit alors de distinguer les joueurs selon les conséquences de leur utilisation du jeu vidéo sur les dimensions fonctionnelles de leur vie. Ce diagnostic est soutenu par une détresse significative face à la vie personnelle (amoureuse, amicale, familiale) et à la vie scolaire ou professionnelle.

Concernant les critères diagnostiques, certains d’entre eux interrogent sur leur validité (King et al, 2017 ; Léouzon et al, 2019). Le critère « préoccupation » est une notion ambiguë. Plaquée sur le modèle de l’addiction aux jeux d’argent, la préoccupation dans le jeu vidéo n’est pas obligatoirement pathologique. Elle peut donc s’observer sans être signe de trouble. Les jeux vidéo sont source de récompenses (gratification, place dans un groupe…) et leur valeur culturelle peut en faire une passion personnelle ou même une vocation professionnelle.

Le critère du sevrage est fortement critiqué du fait de l’absence de substance. Il n’y a pas de référence existant actuellement concernant une période pour observer des symptômes de sevrage. Les études ne montrent pas de preuve d’une existence clinique de sevrage dans les imageries cérébrales concernant les sujets souffrant d’un trouble du jeu sur internet (Weinstein, Livny, Weizman, 2017). À l’arrêt de cette activité, il peut s’observer des plaintes d’ennui et un besoin d’être stimulé. La proposition d’autres supports sans lien avec le jeu vidéo efface tout signe de l’allure du sevrage. Ce critère paraît pour le moment peu fiable.

La question de la tolérance dans l’usage du jeu vidéo est liée à celle de l’engagement. La nécessité d’augmenter son engagement répond essentiellement aux joueurs de MMORPG. Le gameplay de ce type de jeux repose sur l’implication du joueur dans la guilde12 et de son

12 Le terme de Guilde renvoie à un vocable du Moyen-Age. Il désignait une association de professionnels (principalement des marchants) dont la coopération permettait d’obtenir de meilleures conditions commerciales.

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temps passé pour faire avancer la communauté dans la réalisation des objectifs. Certains auteurs invalident ce critère (Lee et al, 2017). La définition de ce critère repose essentiellement sur la quantité croissante du temps de jeu. Certains joueurs ne peuvent pas augmenter leur temps de jeu puisqu’il est déjà très important et qu’ils ne recherchent pas de jeux plus stimulants. Ce critère trouve des limites face au facteur motivationnel des joueurs à augmenter leur temps et la recherche d’un soulagement à l’augmentation de la quantité d’heures jouées. Autrement dit, il ne s’agit pas forcément de jouer plus pour se sentir mieux mais de jouer davantage pour atteindre des objectifs qui diminuent un potentiel malêtre.

Enfin, les critères « dissimuler son temps de jeu » et « l’utilisation du jeu comme échappatoire » sont reliés à des dimensions sociales. La dissimulation du temps de jeu peut être la résultante d’une stigmatisation de la pratique vidéoludique et de la pression sociale concernant la réussite scolaire des adolescents. La valeur d’échappatoire du jeu vidéo constitue davantage un critère positif en lien avec un support permettant de gérer des fragilités anxieuses dans un contexte social compétitif (scolaire ou professionnel).

L’approche du DSM 5 rend compte d’une forte ambiguïté dans les termes définissant les critères mais également une hétérogénéité importante des résultats de recherche ainsi que des profils de joueurs. La prévalence du trouble du jeu sur Internet serait comprise entre 1,6% et 4,6% en population générale (Petry, Zajak, Ginley, 2018). La prévalence en fonction de l’âge n’est pas établie du fait de résultats hétérogènes, voire contradictoires Les adolescents sont tantôt dans une prévalence supérieure (Paulus et al, 2018) tantôt dans la prévalence de la population générale (Mihara, Higuchi, 2017).

L’ensemble de ces critiques sur les critères diagnostiques posent différents problèmes. Ils ne sont pas forcément spécifiques à un usage addictif. Leur formulation ne prend pas en compte la dimension développementale et ne propose pas de références d’âge. Il ne distingue pas un jeu excessif à court terme ou moyen terme qui pourrait s’inscrire dans une phase développementale de l’enfant et de l’adolescent.

Dans l’univers des jeux, la Guilde désigne une équipe de joueurs qui collaborent dans l’objectif d’optimiser la réalisation de leurs missions.

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Les recherches actuelles convergent vers l’importance de poursuivre et développer les connaissances concernant l’usage des jeux vidéo et des possibles configurations psychopathologiques en lien avec l’addiction. Nombre d’études établit des corrélations significatives entre le trouble du jeu vidéo sur Internet avec la dépression (Gaetan, Therme, Bonnet, 2015), la phobie sociale (Sasha et al. 2017) et le trouble anxieux généralisé (Wang et al, 2017). Ces corrélations positives indiquent que plus le diagnostic de trouble du jeu vidéo est sévère, plus les taux de dépression, de phobie sociale et de trouble anxieux généralisé sont hauts.

Certaines hypothèses soutiennent que le trouble du jeu vidéo est un facteur de causalité des troubles dépressifs, phobiques ou anxieux. Ces résultats ne sont pas confirmés par l’ensemble des recherches puisque d’autres études suggèrent que le diagnostic du trouble du jeu vidéo est secondaire à un trouble psychiatrique primaire (Griffiths et al, 2016).

Nous pouvons conclure que l’approche syndromique via son opérationnalisation par la définition nosographique du trouble du jeu vidéo rencontre des limites conceptuelles importantes pour rendre compte de la complexité de ce phénomène vidéoludique. Dans cette perspective, « ce trouble garde une prévalence hétérogène, un arrière-plan psychosocial complexe et une évolution discutée, pour lesquels plus d’études seront nécessaires » (Léouzon et al, 2019, p.620). Le DSM 5 propose un compromis face au débat de l’addiction au jeu vidéo en l’incluant comme un trouble à étudier et dont la définition nosographique reste à affiner. La réponse à cette controverse scientifique est différente du côté de l’OMS et de sa classification : la CIM 11.