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UNE MISSION À HAUTS RISQUES

?

Agnès

B

ÉRENGER

La fonction d’ambassadeur, comme d’ailleurs un certain nombre d’autres fonctions qui demandaient à leur titulaire d’effectuer des voyages d’une longueur certaine, présentait un nombre important de risques, dont le moindre n’était pas celui de décéder au cours de l’ambassade et de ne jamais revoir sa patrie.

Les Romains étaient d’ailleurs tout à fait conscients de l’existence de dangers de ce type, comme en témoignent certaines mentions dans des inscriptions ou des textes juridiques. Ainsi, dans des décrets des cités grecques pour honorer des concitoyens de retour d’une ambassade, il est parfois fait allusion aux dangers, fatigues et coûts liés à ces missions, comme en témoigne une série d’exemples rassemblés par Christian Habicht1, le problème pour nous étant que ces dangers sont en général évoqués de manière fort allusive. Ainsi, un décret du koinon d’Asie honore, au Ier siècle av. J.-C., deux frères envoyés en ambassade à Rome, pour avoir affronté au cours de leur mission de nombreux et grands dangers, pollou;" kai; megavlou" kinduvnou"2. Le terme kivnduno" revient fréquemment, mais sans être accompagné de précisions supplémentaires. Certains auteurs évoquent toutefois les fonctions d’ambassadeur en soulignant les contraintes qui s’y rattachent, comme Plutarque qui, parmi les compensations du fait d’être exilé, souligne qu’un exilé ne se trouve pas contraint par sa cité à aller en ambassade à Rome3. D’autres inscriptions prennent le soin de préciser que l’ambassadeur a survécu à son voyage, par exemple une inscription votive découverte à Vasada et érigée en remerciement à Athéna par un Isaurien, Aurelius Diomedes, pour être revenu sain et sauf de plusieurs ambassades à Rome4. Un

1 C. H

ABICHT, « Tod auf der Gesandtschaftsreise », Studi Ellenistici, 13 (2001), p. 9.

2 J. R

EYNOLDS, Aphrodisias and Rome, 1982, Londres, p. 26-32, n° 5, l. 17-18.

3

Plut., Mor., 602 C (= De exil., VIII).

4 A. S. H

ALL, « Notes and Inscriptions from Eastern Pisidia », Anatolian Studies, 18 (1968), p. 85, n°43 = R. MERKELBACH, J. STAUBER, Steinepigramme aus dem griechischen Osten, vol. III, Munich-Leipzig, 2001, p. 125 (14/16/01).

décret honorifique d’Abdère, en Thrace, récapitule les efforts de deux citoyens de Téos en Ionie, qui ont défendu la cause de la cité d’Abdère devant le Sénat. Le décret précise aussi que ces deux ambassadeurs avaient supporté beaucoup de souffrances physiques et morales5. Vers 196 av. J.-C., un décret de Lampsaque, en Asie Mineure, en l’honneur d’Hégésias rappelle que cet ambassadeur avait affronté de nombreux dangers pour sa cité, au cours d’un long voyage qui l’avait d’abord conduit en Grèce auprès de L. Quinctius Flamininus, commandant de la flotte romaine, puis à Massilia, à Rome même et enfin de nouveau en Grèce, à Corinthe6.

La pénibilité de cette mission7 peut aussi être postulée par le fait que des dispenses étaient prévues dans les lois municipales : la lex Irnitana (datée de la fin du Ier s. ap. J.-C.) prévoit une dispense possible en cas de maladie ou si la personne sollicitée a plus de soixante ans8, limite d’âge qui est bien attestée ultérieurement par le Digeste pour toutes les fonctions municipales. Cette dispense représentait une possibilité, non une obligation, puisque des cas d’ambassadeurs nettement plus âgés sont connus. Ainsi, un citoyen de Stratonicée, Léon, partit en ambassade auprès d’Antonin le Pieux afin de solliciter l’aide impériale pour sa cité ravagée par un séisme, alors qu’il était âgé de plus de soixante-dix ans9, mais il faut souligner qu’il s’agissait

5 Syll. 3, 656 = IGR, IV, 1558, l. 20. Cf. L. R

OBERT, BCH, 59 (1935), p. 507- 513 = Opera Minora Selecta, I, Amsterdam, 1969, p. 320-326 ; P. HERRMANN, « Zum Beschluss von Abdera aus Teos Syll. 656 », ZPE, 7 (1971), p. 72-77 ; A. ERSKINE, « Greek Embassies and the City of Rome », Classics Ireland, 1 (1994), p. 47-53 ; J. LINDERSKI, « Ambassadors go to Rome », dans Les Relations internationales (Actes du Colloque de Strasbourg 15-17 juin 1993), éd. É. FRÉZOULS et A. JACQUEMIN, Paris, 1995, p. 474-476 (= J. LINDERSKI, Roman Questions II. Selected Papers, HABES, 44, Stuttgart, 2007, p. 57-59) ; F. CANALI DE ROSSI, Le ambascerie dal mondo greco a Roma in età repubblicana, Studi pubblicati dall’Istituto italiano per la storia antica, fasc. 63, Rome, 1997, p. 291-294.

6 Syll. 3,591 = I. Lampsakos (= IK, 6), 4. Cf. E

RSKINE, « Greek Embassies… », ibid., p. 47-53 ; LINDERSKI, « Ambassadors… », ibid., p. 472-473 (= LINDERSKI, Roman Questions …, ibid., p. 56-57).

7 Cf. T. C

OREY BRENNAN, « Embassies Gone Wrong : Roman Diplomacy in the Constantinian Excerpta de Legationibus », dans Diplomats and Diplomacy in the Roman World, éd. C. EILERS, Leyde-Boston, 2009, p. 174-175.

8

AE, 1986, 333, Ch. F et G. Cf. F. JACQUES, Les Cités de l’Occident romain, Paris, 1992, p. 156-157.

9 CIG, 2721 = I. Stratonikeia (= IK, 22, 1), 1029. Cf. L. R

OBERT, BCH, 102 (1978), p. 401-402 ; G. A. SOURIS, « The Size of the Provincial Embassies to the Emperor under the Principate », ZPE, 48 (1982), p. 238 ; C. HABICHT,

là de circonstances exceptionnelles. En revanche, un tout jeune homme pouvait être envoyé en ambassade sans problème particulier, comme l’atteste une épitaphe de Mediolanum pour un décurion, C. Valerius Petronianus, mort à vingt-trois ans après avoir accompli cinq ambassades pour sa communauté10. Il est d’ailleurs à noter que l’inscription n’établit pas de lien entre décès et ambassade.

En outre, une fois qu’un homme avait accompli une mission en tant qu’ambassadeur, il était déchargé des autres obligations municipales pour une durée de deux ans11, ce qu’on peut interpréter comme une forme de compensation pour une mission longue et difficile au service de sa communauté. Enfin, des formes d’exemption sont attestées pour des spécialistes tels que des philosophes, rhéteurs, grammairiens et médecins12.

Parmi les dangers auxquels pouvaient être confrontés les ambassadeurs, l’éventualité d’un décès en cours de mission est bien prise en compte par les juristes, comme l’atteste un passage de Paul qui rapporte une règle selon laquelle les indemnités (uiaticum) versées à un ambassadeur par la cité ne devaient pas être remboursées s’il était mort au cours de sa mission13. L’examen des sources atteste donc bien que la fonction d’ambassadeur n’était pas considérée comme un honneur sans dangers.

Revenons maintenant sur les différents dangers liés à l’accomplissement d’une mission d’ambassadeur, afin d’examiner « Zum Gesandtschaftsverkehr griechischer Gemeinden mit römischen Instanzen während der Kaiserzeit », Archaiognosia, 11 (2001-2002), p. 22.

10 CIL, V, 5894 = ILS, 6732 (Mediolanum) : D(is) M(anibus) | C. Valeri |

Petroniani | decur(ionis), pontif(icis), sacerd(otis) | iuuen(um) Med(iolaniensium), causidic(i), | quinq(uies) gratuit(o) legation(ibus) urbic(is) | et peregrin(is) pro rep(ublica) sua funct(i), | uixit ann(os) XXIII mens(es) VIIII d(ies) XIIII, | C. Valerius Eutychianus | VIuir Aug(ustalis), pater, | fil(io) incompar(abili) et sibi.

11 Dig., L, 7, 9, 1 = Paul, Libro primo responsorum : Legatione functis biennii

uacatio conceditur. Cf. F. JACQUES, Le privilège de liberté. Politique impériale et autonomie municipale dans les cités de l'Occident romain (161-244), Rome, 1984, p. 324, 465-466 ; F. MILLAR, The Emperor in the Roman World (31 BC – AD 337), Londres, 1992 (2e éd.), p. 382-383.

12 Dig., XXVII, 1, 6, 8 = Modestin, Libro II excus. Cf. G. W. B

OWERSOCK, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969, p. 33 ; plus généralement, JACQUES, Le privilège…, ibid., p. 635-647.

13 Dig., L, 7, 11, 1 = Paul, Libro primo sententiarum : Si quis in munere

legationis, antequam ad patriam reuertetur, decessit, sumptus, qui proficiscenti sunt dati, non restituuntur. Cf. MILLAR, Emperor…, op. cit. n. 11, p. 383.

lesquels étaient les plus fréquents, d’après les attestations qu’en donnent les sources antiques, et quels risques effectifs encourait un ambassadeur. Le danger le plus fréquemment mentionné (sans doute parce que le plus grave, le seul irrémédiable, et celui qui marquait le plus les esprits des contemporains) est celui du décès. Dans les faits, ce risque doit être subdivisé en plusieurs sous- catégories, selon les circonstances et les causes des décès.

Les circonstances varient selon le moment de la mission : la mort peut survenir au cours du voyage (soit celui d’aller, soit durant le trajet de retour) ou durant le séjour dans le lieu où l’ambassade attend, parfois longtemps, d’être reçue. Ce lieu est, le plus souvent, la ville de Rome, capitale de l’empire, mais sous l’Empire, les déplacements divers des empereurs, que ce soit pour visiter leur empire ou pour se rendre sur des théâtres d’opérations militaires, pouvaient conduire certaines ambassades à solliciter une audience dans d’autres lieux que Rome.

Si l’on se penche sur la fréquence comparée des attestations, il apparaît nettement que les décès à Rome sont les plus fréquemment attestés. Les sources sur ce point sont essentiellement de deux natures : le décès à Rome d’un ambassadeur est soit mentionné par une source littéraire, soit attesté par une épitaphe, qui peut se trouver à Rome même, ce qui indique qu’il a été enseveli sur place, ou dans sa patrie, ce qui implique que le corps ou les cendres y ont été rapportés, ou bien qu’un cénotaphe a été érigé en son honneur. Ainsi, sous la République, Poseidippos de Stratonicée fut envoyé en ambassade à Rome auprès du Sénat, obtint le succès dans sa mission, mais mourut à Rome. Ensuite son urne funéraire fut transportée à Stratonicée et installée là par la communauté civique14.

Un certain nombre de cas datant de l’époque impériale ont été rassemblés par Luigi Moretti, corpus non exhaustif, repris plus récemment par Christian Habicht15. La plupart des inscriptions ne donnent pas de renseignements très précis, que ce soit sur les causes de la mort ou sur les circonstances de l’ambassade, mais se contentent de préciser que le défunt est mort au cours d’une ambassade à Rome. Tel est le cas de l’épitaphe de Ti. Claudius Pius, décurion de Lyon, qui indique juste que son décès a eu lieu

14 CIG, 2725 = I. Stratonikeia (= IK, 22, 1), 1206, l. 3-6. Cf. H

ABICHT, « Zum Gesandtschaftsverkehr… », loc. cit. n. 9, p. 21-22.

15 L. M

ORETTI, « I Greci a Roma », Op. Inst. Rom. Finl., 4 (1989), p. 13 ; HABICHT, « Tod… », loc. cit. n. 1, p. 15, n. 31-36.

Romae in legatione16. Son âge n’est pas mentionné, mais ses parents, qui sont les dédicants, sont encore vivants. Le même formulaire se rencontre aussi dans l’épitaphe de C. Maximius Iunianus, mort à l’âge de trente ans à Rome, d’une cause non indiquée17. Une épitaphe actuellement conservée dans l’Antiquarium Comunale du Celio commémore un ambassadeur mort au cours de sa mission et enseveli à Rome par son affranchi Iulius Eucharistus. D’après son cognomen, sans doute Octauus ou

Batauus, il pourrait être originaire de Gaule ou des Germanies, où

sont attestés ces deux cognomina. La paléographie et le formulaire invitent à dater l’inscription du IIe ou du début du IIIe siècle ap. J.-C.18. Le formulaire en latin, avec quelques variations minimes, est donc Romae in legatione defunctus.

Parfois il est seulement fait mention de la fonction occupée par le défunt au moment de son trépas, legatus, prevsbuı ou

presbeuth;ı19

, par exemple dans l’épitaphe d’un Thrace, Hédykos, qui avait été envoyé comme ambassadeur par la cité de Phanagoreia en Crimée et était accompagné d’un interprète de la langue sarmate, dénommé Aspourgos. Après sa mort, il fut enseveli dans le troisième colombarium de la Vigna Codini, où a

16 CIL, XII, 1750 = ILS, 7026 (Valentia) : Ti. Claudio Ti. f. | Gal(eria) Pio

decurioni | Luguduni, IIuiralib(us) | ornamentis exor|nato, Romae in lega|tione defuncto, | Claudius Spendon | et Cestia C.. er… | par[entes] | filio …

17 CIL, III, 5031 = ILS, 7115 = ILLPRON, 308 : [---] Dripponio Maximo et |

Iuniae C. f. Bateiae uxori, | C. Maximio C. fil. Iuniano | decurioni Viruniensium, | defuncto Romae in legatione | ann(orum) XXX, | et Dripponiae Maximi f. Suadrae, ann(orum) XXXVIII. (Ier-IIe s. ap. J.-C. à Michelsdorf près de Friesach, non loin des ruines de Virunum, capitale de la province de Norique). Cf. G. ALFÖLDY, Noricum, Londres-Boston, 1974, p. 102 et p. 314, n. 123 ; C. RICCI, « Balcanici e Danubianii a Roma. Attestazioni epigrafiche di abitanti delle province Rezia, Norico, Pannonia, Dacia, Dalmazia, Mesia, Macedonia, Tracia (I-III sec.) », dans Prosopographica, éd. L. MROZEWICZ et K. ILSK, Poznan, 1993, p. 150, n°3.

18 A. M

ASCI, dans La collezione epigrafica dell’Antiquarium Comunale del Celio, éd. G.L. GREGORI, Rome, 2001 (Tituli, 8), p. 230-231, n° 164 = AE, 2001, 378 : [Dis Man(ibus) - ? Iuli Oc ?]|taui in legationem | officiossam Romae de|functi, curante liberto | eius Iulio Eucharisto. Sur les attestations de ces cognomina, I. KAJANTO, The Latin Cognomina, Helsinki, 1965, p. 74 et 293.

19 Sur la terminologie employée en grec pour désigner les ambassadeurs, cf.

F. GAZZANO, « Presbeis, presbeutai e legati fra il mondo greco e Roma », dans Acta XII Congressus Internationalis Epigraphiae Graecae et Latinae, Barcelona, 3-8 Septembris 2002, éd. M. MAYERI OLIVÉ, G. BARATTA, A. GUZMÁN ALMAGRO, Barcelone, 2007, p. 575-580. À l’alternance lexicale prevsbuı ou presbeuth;ı dans la désignation en grec des ambassadeurs s’oppose la « multifonctionnalité » du terme legatus, le plus employé dans les sources latines pour désigner les ambassadeurs.

été retrouvée l’inscription funéraire à son sujet, mais rien n’est précisé sur les circonstances de sa mort. Il est au reste étonnant qu’un pérégrin ait été enseveli dans un colombarium de la domus impériale20. Le même cas de figure se retrouve pour L. Cornificius Telemastes, legatus Bosphoranorum, qui reçoit à Rome une sépulture de P. Cornelius Serapio, peut-être son père, pour Chrysippos, d’Augusta en Cilicie, et pour un anonyme originaire d’Antinoé en Égypte21. D’autres cas sont plus douteux, soit parce que la fonction d’ambassadeur a été restituée dans l’inscription, comme pour Hortensius Pedo, venu de Laodicée du Lycos22, soit parce que la participation du ou des défunts à une ambassade est postulée par certains historiens, mais sans être attestée de manière indubitable dans les sources, comme pour deux défunts venus de Termessos de Pisidie23.

Les causes du décès, quant à elles, ne sont pratiquement jamais mentionnées. Certains devaient être dus à des causes naturelles. Ainsi, on peut raisonnablement supposer que l’ambassadeur octogénaire Theaidetos, représentant de Rhodes, qui décéda à Rome en 167 av. J.-C. avant la décision finale du Sénat à propos du traité d’alliance que demandaient les Rhodiens, mourut de sa belle mort24. Des ambassadeurs ont pu être victimes de circonstances particulières, telles des catastrophes naturelles ou des épidémies. L. Moretti a ainsi proposé de relier à l’épidémie de peste de 166 ap. J.-C. le décès survenu à Rome de deux des trois ambassadeurs de Termessos de Pisidie. Toutefois, outre qu’il n’est pas entièrement sûr que ces trois hommes aient été des ambassadeurs, aucun lien explicite n’est fait, dans l’inscription, entre leur décès et l’épidémie. W. Peek a restitué, dans la lacune du début de la ligne 10, la mention d’un décès dû à la maladie25,

20 CIL, VI, 5207 cf. p. 3417 = IG, XIV, 1636 = IGR, I, 261 = IGUR, II,

567 : {Hduko" Eujovdou É presbeuth;" FanaÉgoreitw`n tw`n kaÉta; Boo;" povron: É “Aspourgo" BiomÉavsou uiJo;" eJrmhneÉu;" Sarmatw`n BwÉsporanov". Cf. RICCI, « Balcanici… », loc. cit. n. 17, p. 157, T n°13, et p. 167-168.

21 CIL, VI, 29694 : P. Cornelius | Serapio | sibi et L. Cornificio | Telemasti, |

leg(ato) Bosp(h)or[anorum]. Cf. RICCI, « Balcanici… », loc. cit. n. 17, p. 156, T n° 4. Chrysippos : IGUR, 1361 : Cruvsippoı É AujgoustaÉno;ı É presbeuth;ı É Kivlix. Anonyme : IGUR, 1233.

22 IGUR, 1288, l. 3 : ªprevsbuºı (restitution de L. Moretti, dans les IGUR). 23

W. PEEK, GVI, 1885 = IGUR, 1204. L. Moretti, dans les IGUR, suppose qu’ils étaient venus à Rome pour une ambassade.

24 Polyb., XXX, 21, 2 ; Plin., HN, VII, 53, 182. Cf. H

ABICHT, « Tod… », loc. cit. n. 1, p. 11.

25

et L. Moretti, qui accepte cette restitution, y voit une allusion à la peste en raison de la jeunesse des deux ambassadeurs et de la durée relativement courte de leur séjour dans l’Vrbs. Le survivant, Conon, fit édifier l’épitaphe à ses concitoyens.

Les décès en cours de voyage sont, en revanche, souvent dus à des causes extérieures, qu’il s’agisse d’un naufrage ou d’une attaque par des pirates ou des brigands. Les ambassadeurs n’étaient en effet pas à l’abri d’attaques violentes, et ce même si ils étaient censés bénéficier d’une forme de protection de par leur statut, dans la mesure où leur personne était vue comme inviolable et sacrée. Comme le rappellent de nombreux auteurs, il était considéré comme impie de tuer un ambassadeur26. Nous verrons néanmoins que cette protection restait parfois toute théorique.

Les voyages par mer, qui s’avéraient la seule solution pour un grand nombre d’ambassades venant de la partie orientale de la Méditerranée, n’étaient en outre pas dénués de dangers. La navigation était fortement déconseillée entre novembre et mars : c’est la période appelée le mare clausum, mer fermée, durant laquelle il est impossible de prévoir les perturbations et la violence des tempêtes. Il était donc périlleux de naviguer en haute mer et seule une navigation côtière était envisageable, mais non une navigation hauturière27. Or, selon une lex Gabinia dont la date exacte reste objet de débat, le mois de février était censé, sous la République, être le mois réservé aux audiences d’ambassades, ce qui semble contradictoire avec le fait que les voyages par mer étaient particulièrement dangereux à la mauvaise saison28. Le plus vraisemblable, si ce calendrier était vraiment respecté, est alors que les ambassadeurs qui devaient être reçus par le Sénat aient effectué leur voyage vers Rome à l’automne,

26 Dig., L, 7, 18 = Pomponius, Libro 37 ad Quintum Mucium : Si quis legatum

hostium pulsasset, contra ius gentium id commissum esse existimatur, quia sancti habentur legati. ; Dio Chrys., Or., XXXVIII, 18 ; Joseph., AJ, XV, 5, 3 (137). Cf. M. COUDRY, « Contrôle et traitement des ambassadeurs étrangers sous la République romaine », dans La mobilité des personnes en Méditerranée, de l’Antiquité à l’époque moderne. Procédures de contrôle et documents d’identification, éd. C. MOATTI, Rome, 2004, p. 555-560 ; A. BASH, Ambassadors for Christ : An Exploration of Ambassadorial Language in the New Testament, Tübingen, 1997, p. 53.

27

Sur les définitions du mare clausum, cf. L. CASSON, Ships and Seamanship in the Ancient World, Princeton, 1971, p. 270-271 ; La navigation dans l’Antiquité, éd. P. POMEY, Aix-en-Provence, 1997, p. 25-26.

28 R. J. A. T

ALBERT, The Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984, p. 208- 209.

mais cela aurait impliqué ensuite pour eux un séjour long et coûteux dans la capitale, entre la date de leur arrivée et celle de leur audience29. Toutefois, l’étude effectuée pour la période républicaine par Marianne Bonnefond-Coudry de la centaine d’attestations d’audiences datées a montré que les ambassades étaient reçues tout au long de l’année, avec un peu plus d’un tiers en début d’année, un tiers en été et le dernier tiers en automne et en hiver30. Le réel impact de la lex Gabinia sur les dates de voyage des ambassadeurs reste donc difficile à appréhender en l’état actuel de la documentation, particulièrement pour le Haut- Empire31. Les audiences d’ambassades devant le Sénat ont en effet subsisté sous l’Empire, parallèlement à celles devant la personne de l’empereur. Parmi ces audiences devant le Sénat, la plus célèbre est sans doute celle qui vit les représentants des cités d’Asie se présenter sous Tibère afin de voir confirmer leur droit d’asylie32.

Les attaques de pirates constituaient aussi un risque non négligeable, même si, avec la mainmise progressive de Rome sur l’ensemble du bassin méditerranéen, les routes maritimes étaient devenues plus sûres. Sous la République, en 182 av. J.-C., le bateau qui transportait vers Rome la délégation des exilés spartiates fut assailli en mer par des pirates, qui causèrent la mort d’Arcesilaos et Agesipolis (qui avait été roi de Sparte vers 219), tandis que leurs compagnons réussirent à gagner Rome33. Les ambassadeurs représentaient des prises de choix, dans la mesure où ils transportaient souvent des présents de prix ou en rapportaient pour leur cité, une fois leur mission achevée34. Leur valeur d’échange en tant qu’otage n’était pas non plus négligeable.

29 G. Z

IETHEN, Gesandte vor Kaiser und Senat. Studien zum römischen Gesandtschaftswesen zwischen 30 v. Chr. und 117 n. Chr., St. Katharinen, 1994, p. 142, n. 26.

30 M. B

ONNEFOND-COUDRY, Le Sénat de la République romaine de la guerre d’Hannibal à Auguste : pratiques délibératives et prise de décision, Rome, 1989, p. 294-320.

31 Cf. T

ALBERT, The Senate…, op. cit. n. 28, p. 208-209 et 411-425.

32 Tac., Ann., III, 60-63 ; IV, 14. Cf. T

ALBERT, The Senate…, op. cit. n. 28, p. 83, 209, 331, 412.

33

Polyb., XXIII, 6. Cf. CANALI DE ROSSI, Le ambascerie…, op. cit. n. 5, p. 59- 60. Sur la piraterie, cf. P. DE SOUZA, Piracy in the Graeco-Roman World, Cambridge, 1999.

34 Sur les gratifications et cadeaux offerts aux ambassadeurs, cf. C

OUDRY, « Contrôle… », loc. cit. n. 26, p. 536, 538-539, 546-547.

Quelques décès au cours du voyage sont attestés par l’épigraphie, sans que la cause exacte de la mort ne soit en général précisée. Ainsi, le Crétois Q. Marcius Insulanus, originaire de Gortyne, est mort à Antioche du Cragos, en Cilicie, alors qu’il participait à une ambassade auprès d’un empereur, et fut inhumé là35. Selon Louis Robert, l’empereur en question devait être Trajan, que l’ambassadeur aurait rencontré en 117 ap. J.-C., lors de son voyage de retour après son expédition victorieuse contre les Parthes36.

Des cas de situations ambiguës, dans lesquelles la cause du décès n’est pas clairement établie, se rencontrent aussi dans nos sources : en 173 av. J.-C., survient la mort des ambassadeurs thébains, Eversa et Callicritès, envoyés à Rome pour dénoncer le traité signé avec la Macédoine par les autres Béotiens. Q. Marcius Philippus affirme qu’ils ont été assassinés et sous-entend que le responsable est le roi Persée de Macédoine37. Ce dernier réplique en attribuant leur mort à un naufrage38 ; or, si Persée a pu ainsi