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À

PROPOS D

’A

MMIEN

M

ARCELLIN

XXVI,5,7

Alain CHAUVOT

En 26, 5, 7, Ammien fait le récit d’une legatio qui se passe mal : des legati alamans reçus à la cour de Milan au début du règne de Valentinien et devant recevoir des dons (munera) « selon l’usage » (ex more) les jettent à terre en raison de leur faible valeur ; de surcroît grossièrement traités par le maître des offices, ils incitent à leur retour leurs gentes à entrer en guerre. Que faut-il entendre ici par munera ? Et par l’expression ex more ? Celle-ci suggère des pratiques relevant par définition de l’ordinaire, même si elles peuvent être peu attestées par les sources ; pour des antiquisants qui travaillent sur des corpus très étroits, une telle notation est extrêmement précieuse ; encore faut-il bien identifier la réalité évoquée. Je partirai du récit d’Ammien ; je m’interrogerai ensuite sur la mention des dons (munera) et sur le sens de ce terme dans le reste de son œuvre, avant de tenter de reconstituer les faits ; je proposerai enfin d’interpréter ce passage, en mettant en évidence la notion d’ambiguïté qui caractérise nombre de munera et en mesurant l’apport de ce texte à la connaissance des rapports entre Rome et ses voisins transrhénans.

Le récit d’Ammien

Sur le plan chronologique, cette legatio a donné lieu à des débats qui ont pu interférer avec la question de son interprétation. Il faut en voir l’origine dans la structure complexe de la partie de l’œuvre d’Ammien dans laquelle s’insère ce passage. Sans reprendre cette discussion dans toute son ampleur, on rappellera que deux thèses sont en présence. Selon la thèse traditionnelle, récemment excellemment exposée1, l’ambassade pourrait dater de novembre ou décembre 364, la présence du nouvel Auguste Valentinien étant attestée à Milan le 9 novembre 3642 voire dès la

1 J.

DEN BOEFT, J. W. DRIJVERS, D. DEN HENGST et H. TEITLER,Philological and Historical Commentary on Ammianus Marcellinus XXVI, Leyde, 2008, p. 107-113.

fin du mois d’octobre 3643. Or Ammien indique, au début de ce paragraphe, que les Alamans « forcèrent la frontière de Germanie » et que ce sont les conditions dans lesquelles s’était passée l’ambassade (antérieure mais ultérieurement mentionnée) qui étaient à l’origine de ces actions. Dans le paragraphe précédent4, il écrit que « cette année-là, pendant toute sa durée5 », de lourdes pertes furent infligées à la puissance romaine : il s’agit de l’année 365, Valentinien et Valens en étant les consuls6. De plus, dans un passage ultérieur, il précise que les attaques alamannes commencèrent « aussitôt après les calendes de janvier » (à comprendre comme janvier 365)7. Selon cette thèse, le calendrier serait donc le suivant : novembre ou décembre 364, ambassade alamanne à la cour de Milan, peu après l’arrivée du nouvel empereur ; janvier 365, attaque des Alamans en Gaule. Mais selon une seconde thèse8, il faudrait placer l’attaque générale des Alamans en janvier 366 et non en janvier 365, et décaler l’arrivée de la délégation alamanne à Milan à l’été 365. J. F. Drinkwater, qui retient cette hypothèse, estime en outre que cette chronologie-ci soutient bien sa propre interprétation de ces

munera, non pas, selon lui, des dons routiniers qui auraient été

liés à la nouvelle année, et certainement pas un achat de la paix, mais des dons personnels liés à un renouvellement de traité9. Le récit d’Ammien soutient mieux la première hypothèse, sans qu’on puisse toutefois en tirer, comme le fait J. F. Drinkwater, un argument décisif pour l’interprétation des munera : il pourrait y avoir eu des dons « non routiniers » même dans le cas d’une ambassade fin 364, et l’on pourrait même soutenir que cette date- ci conviendrait fort bien pour un renouvellement de traité entre un nouvel empereur venant de prendre ses fonctions en Occident et les Alamans. Aussi insatisfaisante que soit l’absence d’une

3

Cod. Theod., XI, 2, 2 ; cf. DEN BOEFT et alii, op. cit. n. 1, p. 107-108.

4 Amm. Marc., XXVI , 5, 6. 5 Omnisque hic annus. 6 Amm. Marc., XXVI, 5, 6. 7 Amm. Marc., XXVII, 1, 1. 8

S. LORENZ, Imperii fines erunt intacti. Rom und die Alamannen 350-378, Europäische Hochschulschriften III, 722, Francfort, 1995, p. 74, suivi par J. F. DRINKWATER, The Alamanni and Rome, 213-496, Oxford, 2007, p. 268- 272, place l’ensemble des événements à l’été 365, de préférence au début de l’année ; J. F. Drinkwater en tire argument pour contester la thèse de paiements annuels achetant la paix auprès des Alamans, les cadeaux étant pour lui des dons personnels destinés à accompagner le renouvellement du traité. Si cette définition des munera est tout à fait recevable et rejoint ma propre position, elle n’a nul besoin de s’appuyer sur une chronologie aussi discutable.

9 D

solution indiscutable sur la date de l’ambassade, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir sur son interprétation, dans la mesure où aucune des datations proposées ne paraît être susceptible de donner la clef du problème.

Voyons le récit d’Ammien10. Partons de la traduction d’A.- M. Marié :

Leurs ambassadeurs, envoyés à la cour, devaient recevoir certains présents réglés d’avance par l’usage : on leur en donna de moindre importance et de peu de prix, qu’au moment de leur remise ils jetèrent à terre avec fureur comme tout à fait indignes d’eux11.

La traduction de W. Seyfarth12, tout en étant plus précise, est comparable et emploie le terme Geschenke, celle de J.- C. Rolfe13 celui de gifts. Dans l’annotation A.-M. Marié estime qu’il s’agissait d’« achat de la paix14 », de même que W. Seyfarth15 ; dans sa traduction J.-C. Rolfe va même plus loin car il fait dire à Ammien que c’était là l’objet même de la

legatio16. Les deux autres traductions n’impliquent pas nécessairement que l’objet de la legatio était de recevoir des

munera mais le commentaire qui les accompagne interprète ces munera comme des achats de paix.

Je proposerais la traduction suivante :

Leurs ambassadeurs, envoyés à la cour, devaient recevoir des présents bien déterminés et prescrits par l’usage ; ceux qui leur furent remis étaient moindres et de peu de valeur.

« Présents » me paraît traduire correctement munera (sans pour autant, pour l’instant, interpréter la signification de ces « présents ») ; ex more renvoie sans doute à la fois à fixa et à

10 Amm. Marc., XXVI, 5, 7 : cum legatis eorum missis ad comitatum certa et

praestituta ex more munera praeberi deberent, minora et uilia sunt attributa, quae illi suscepta furenter agentes ut indignissima proiecere.

11

A.-M. MARIÉ, Ammien Marcellin, Histoire, T. V, Paris, CUF, 1984.

12 W. S

EYFARTH, Ammianus Marcellinus, Römische Geschichte, Teil 4, Berlin, 1971.

13 J.-C.R

OLFE, Ammiani Marcellini rerum gestarum libri qui supersunt, vol. II, Londres, 4e éd., 1963-1964 (1re éd. 1939-1940).

14 M

ARIÉ, op. cit. n. 11, n. 52, p. 214.

15 S

EYFARTH, op. cit. n. 12, n. 48.

16

When their envoys had been sent to the headquarters, in order as usual to receive the regular appointed gifts, smaller and cheaper ones were given them…

praestituta, à moins qu’il ne porte que sur praestituta ; fixa

indique, me semble-t-il, que la valeur des présents était préétablie et doit annoncer ensuite, par contraste, minora17 ; praestituta désigne l’origine d’un tel acte, un « prescription » qui relève de l’usage, et non, il faut le souligner, d’une règle précise dont on pourrait invoquer une formulation originelle ; minora implique une infériorité du don par rapport à l’usage ; uilia, un peu redondant, insiste sur cette faible valeur, suggérant que celle-ci peut prendre aux yeux des récipiendaires un caractère insultant : de tels « présents » traduisent un manque de considération méprisant du donneur envers les receveurs.

Le maître des offices Ursatius s’est conduit de façon très désagréable (asperius) et les legati de retour chez eux ont excité leurs compatriotes contre l’Empire, d’où les guerres d’invasion alamannes. Le maître des offices n’agit pas là nécessairement en tant que responsable de la politique étrangère, fonction qui est assurément la sienne au siècle suivant mais peut-être pas encore à l’époque qui nous occupe ; il est sans doute d’abord celui qui assure la charge du protocole au moment de la réception des

legationes18 ; il est donc possible que son attitude se soit manifestée dès l’arrivée de la legatio alamanne et, dans ce cas, sans doute avant même la remise des munera, mais l’on ne peut exclure, si l’on fait coïncider ordre du texte et ordre chronologique, que son comportement ait accompagné ou suivi la remise des munera, qui aurait clôturé la rencontre. Cette question reste ouverte car il faudrait déterminer quand les munera ont été remis et donc à quel moment les Alamans les ont jetés à terre : était-ce lors de la réception de la legatio ou au cours de celle-ci ou à l’issue de celle-ci (si la remise et le rejet ont lieu d’emblée, la réception a dû tourner court aussitôt) ? Qui étaient les legati et que représentaient-ils ? Le maître des offices a-t-il été le seul interlocuteur des legati ? Ceux-ci ont-ils été reçus par l’empereur ? La legatio s’est-elle réduite à cette dispute ou y a t-il eu, notamment avant la rupture, des discussions ? Pourquoi les

munera remis étaient-ils de faible valeur ? Ces questions portent

sur l’objet de la legatio et donc sur la signification des munera, de leur faible valeur, de leur rejet, et sur les conséquences de celui- ci : la reprise du conflit entre l’Empire et les Alamans.

17 On pourrait certes donner à fixa le sens de « assurés », « décidés », mais dans

ce cas il doublonnerait avec praestituta ; il paraît donc plus logique de choisir un sens portant sur la valeur, qui, d’une part ne doublonnerait pas, et, d’autre part, annoncerait la seconde partie de la phrase.

18 L

De façon générale, la fonction des munera comme servant à des « achats de paix » voire étant des « tributs » a été souvent employée par l’historiographie récente, qui a pu l’appliquer de façon indifférente à toute époque19 et à tout don à des

externi/barbari, au point que, par exemple, même lorsque, comme

ici, les sources ne disent rien sur leur éventuelle fréquence, on a pu ne pas hésiter à parler de « versements annuels » que Valentinien aurait été le premier à réduire20. Les commentateurs de ce passage se sont partagés entre trois options : « achats de paix » voire « tributs »21, cadeaux22, refus de choix23. La notion même de « cadeau » reste souvent floue, au point qu’on peut s’interroger sur la frontière entre deux interprétations : s’agit-il de cadeaux réguliers voire annuels, donc prévus par des accords24, ou de cadeaux accompagnant la conclusion voire le renouvellement d’un accord ou la simple réception d’une legatio, donc distincts du contenu d’un accord mais s’insérant dans un protocole et témoignant du fonctionnement de relations ? C’est que le sens de l’expression ex more mérite d’être scruté de près.

19 C’est à bon droit que P. J. H

EATHER, « The Late Roman Art of Client Management : Imperial Defence in the Fourth Century West », dans The Transformation of Frontiers from Late Antiquity to the Carolingians, éd. W. POHL, I. WOOD et H. REIMITZ,Leyde-Boston-Cologne, 2001, p. 25, s’élève contre cette vision, proposant de la réserver plutôt pour le Ve siècle, par exemple dans le cadre des rapports avec Attila.

20 K. F. R

OSEN, Studien zur Darstellungskunst und Glaubwürdigkeit des Ammianus Marcellinus, Bonn, 1970, p. 128.

21 Outre les éditeurs cités supra, ibid. ; U. A

SCHE, Roms Weltherrschaftsidee und Aussenpolitik in der Spätantike im Spiegel der Panegyrici Latini, Bonn, 1983, p. 98 (« Danegeld ») ; T. S. BURNS, Rome and the Barbarians, 100 B. C.–A. D. 400, Baltimore-Londres, 2003, p. 342 ; Y. LE BOHEC, L’armée romaine sous le Bas-Empire, Paris, 2006, p. 121.

22 L

ORENZ, op. cit. n. 8, p. 74-75 (Donative, paraissant traduire implicitement donatiua, rapprochés des largesses telles que l’empereur en accorde à ses soldats, sans rapport avec le changement de règne) ; DRINKWATER, op. cit. n. 8, p. 272 (dons de la nature de ceux qui accompagnaient le renouvellement automatique de traités) ; HEATHER, op. cit. n. 19, p. 25-26 : dons de type « dons annuels », accordés ici dans la première année du règne de Valentinien ; plus nuancé : R. DELMAIRE, Largesses sacrées et « res privata ». L’aerarium impérial et son administration du IVe au Ve siècle, Rome, 1989, p. 540-541 : classification dans la catégorie des « cadeaux apparaissant en fait plus comme des tributs que des largesses envers des amis ».

23

DEN BOEFT et alii, op. cit. n. 1, p. 109 (some sort of donative from the newly inaugurated emperor … (or) regular payments…).

24 C’est semble-t-il la position de H

EATHER, op. cit. n. 19 qui refuse en même temps la notion de tribut et d’achat de paix, y préférant celle de client management ; mais la régularité et l’annualité rapprocheraient en fait de tels versements de la contrainte qui définit le tribut.

L’interprétation de tels dons ne peut se faire en dehors d’une enquête sur la situation et le statut des récipiendaires. Ainsi, si les dons de cette nature sont définis comme un achat de paix, est-ce conciliable avec le statut de peuples ayant fait une

deditio25 ? Le problème posé est, de façon plus générale, celui de la définition des relations entre l’Empire et ses voisins. La notion même de « relation diplomatique » peut en effet paraître insuffisante, dans la mesure où l’on est là dans la sphère même d’influence de l’Empire, sans grande extériorité par rapport à celui-ci. Peut-on pour autant parler sans précaution de « relation de clientèle », dans un cadre plutôt interne à un même espace, et que faudrait-il entendre par là ?

La notion de clientèle en effet ne se laisse pas aisément définir. Elle se comprend d’abord à l’intérieur de la société romaine, comme exprimant un rapport inégalitaire entre un patron et des clients, fait d’obligations réciproques, et dans lequel un patron (protecteur) peut remettre des cadeaux à ses clients. Cette expression est souvent utilisée pour rendre compte, au moins par analogie, des relations entre l’Empire (voire l’Empereur) et certains de ses voisins, mais l’on n’a pas manqué d’attirer l’attention sur les risques d’un usage excessif et inapproprié de cette notion : ainsi doit-elle être maniée avec précaution pour l’Orient26 et, en Occident, on a montré que, pour les rapports avec les Quades et Sarmates, ni cliens ni clientela ne sont jamais utilisés par les sources : là, sans qu’on emploie le terme de foedus, les termes fides, amicitia, obsequium expriment une relation extralégale non contrôlée par un traité formel, des accords avec des avantages mutuels ; « clientèle » est là un terme moderne et peut-être employé mal à propos, un certain nombre de chefs se conduisant en toute indépendance et sans que Rome ait une obligation de soutien27.

Dans le cas des rapports avec les peuples germaniques décrits par Ammien, si les termes foedus ou foederatus sont couramment employés28, seul le roi alaman Vadomer, d’ailleurs

25

Telle est la raison pour laquelle R. SCHULZ, Die Entwicklung des römischen Völkerrechts im vierten und fünften Jahrhundert n. Chr., Stuttgart, 1993, p. 38, propose de voir systématiquement dans de tels dons des donatiua.

26 D. B

RAUND, Rome and the Friendly King. The Character of the Client Kingship, Londres-Canberra, 1984.

27 L. P

ITTS, « Relations between Rome and The German Kings on the Middle Danube in the First to the Fourth Century A. D. », JRS, 79 (1989), p. 45-78, en particulier, p. 46-47 (rapports avec Marobod).

28 Amm. Marc., XIV, 10, 16 ; XVII, 1, 3 ;XVII, 1, 13 ; XVII, 6, 1 ;XVII, 12,

très proche de l’Empire (et surtout de Constance II) et y terminant même sa carrière, est dit avoir été reçu « comme client de Rome »29 : certes, le non-emploi du terme dans d’autres cas ne permet pas en soi d’en inférer qu’on ne saurait parler de liens de clientèle, mais ce silence mérite malgré tout d’être relevé.

Il apparaît qu’au IVe siècle l’Empire considère qu’il a un droit d’intervention dans des régions situées au-delà du Rhin et du Danube, que ce soit dans les domaines politiques et militaires : ces régions tendent à entrer dans la sphère de l’imperium

Romanum. Mais tous les peuples ne sont pas également concernés

par des liens de clientèle. Même du côté romain apparaissent des divergences sur la nature de cette emprise, ainsi à propos de l’action de Valentinien : celui-ci considère que toute construction de forts au-delà du Rhin ou du Danube est légitime, alors que, si Ammien le loue pour de telles opérations au-delà du Rhin (dans les anciens Champs Décumates)30, il le critique pour d’autres qui ont été faites au-delà du Danube en reconnaissant comme légitimes les protestations des Quades, traités par l’Empereur comme s’ils étaient « déjà passés sous la loi romaine »31. Il est clair que, pour l’Empire, les Alamans sont considérés comme devant être dans une étroite dépendance de Rome, Valentinien ayant même envisagé un temps une réannexion de l’Alamannia, ce qui ne signifiait nullement une extension du droit de cité romain32. D’un autre côté, les Germains et notamment les Alamans sont considérés comme des externi barbares, extérieurs à la société et aux structures politiques romaines, concluant souvent les traités selon leurs propres rites33 et pouvant rester d’ex- ennemis toujours susceptibles de retomber dans l’hostilité envers l’Empire.

On admettra donc que le terme de clientèle puisse être utilisé pour s’appliquer dans certaines circonstances à des Transrhénans. Mais l’Empire ne contracte pas pour autant d’obligations de patron envers les Germains comme le ferait un patron romain envers ses clients. Ce dont bénéficie le chef barbare de la part de l’Empire, ce sont d’abord la reconnaissance et le maintien de son propre pouvoir. Le premier cadeau qu’il reçoit, c’est ce pouvoir-là, désormais sous contrôle impérial :

29

Amm. Marc., XVIII, 2, 16 : in clientelam rei Romanae

30 Amm. Marc., XXX, 7, 6.

31 Amm. Marc., XXIX, 6, 2 : quasi Romano iuri iam uindicatis. 32

A. CHAUVOT, Opinions romaines face aux barbares, Paris, 1998, p. 181-184.

33 Amm. Marc., XIV, 10, 16 ; XVII, 1, 13 ; XVII, 10, 21 ; H

EATHER, op. cit. n. 19, p. 24.

c’est en ce sens qu’un panégyriste a pu écrire à la fin du IIIe siècle d’un roi franc soumis par Maximien qu’il recevait désormais son propre royaume à titre de « présent » (munus)34. Toutefois, dans l’intérêt de l’Empire et de sorte que les accords perdurent, il peut être jugé souhaitable que le chef barbare soit traité avec dignité afin d’être bien accepté par ses sujets. Sans doute les munera, comme la présence de rites propres aux Germains au moment où sont conclus les traités, concurremment à la soumission sous forme de deditio « à la romaine », jouent-ils un rôle dans cette démonstration. Je formulerais donc l’hypothèse de travail que la remise de munera peut constituer un indice intéressant sur la nature des rapports entre l’Empire et ses voisins transrhénans et sur la complexité de la notion de « clientèle ». Pour cela il faut réexaminer le corpus des Res Gestae, pour voir comment Ammien emploie le terme munera : celui-ci est-il polysémique ?

Les munera chez Ammien Marcellin

Tout d’abord, il arrive que le texte d’Ammien se réfère à des versements à des externi / barbari qui seraient faits à des fins utilitaires, l’achat de paix. Ainsi, avant Julien, les Sarrasins recevaient des salaria muneraque plurima, des paiements et de nombreux munera, jusqu’à ce qu’un ordre de Julien l’interdise, faisant valoir qu’un empereur guerrier « avait du fer et non de l’or »35 ; on peut rapprocher cet usage d’un passage dans lequel, sans utiliser munera, Ammien reproduit un discours de Julien à ses soldats dans lequel celui-ci reproche à ses prédécesseurs d’avoir acheté la paix aux barbares « à prix d’or (auro) »36. Dans le même sens Julien, dans son Discours aux Athéniens, reproche à Constance II de l’avoir enjoint, lorsqu’il était César, d’acheter le passage du Rhin aux barbares, ce que lui-même a refusé de faire37, et se moque de Constantin, qui, en fait de victoire, n’aurait fait que remettre de l’or aux Goths38. Il faut noter que ces passages ne sont pas seulement factuels mais intentionnels voire polémiques : ils s’inscrivent dans une perspective favorable à