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PRESSIONS DES PEUPLES BARBARES ET DE L

’E

MPIRE

PERSE AUX IVe ET Ve SIÈCLES

Christine

D

ELAPLACE

L’absence de toute représentation diplomatique permanente dans les cités grecques a durablement influencé les pratiques des relations internationales dans le monde romain1. Le rôle dévolu à la personne désignée ponctuellement comme ambassadeur était de ce fait toujours rattaché à une période de crise, ou du moins, de relations intenses que les sources que nous possédons mettent en évidence, tout en laissant dans l’ombre néanmoins une diplomatie ordinaire qui existait bel et bien, même si ces sources n’en consignent pas les actes.

Cette absence de représentation permanente entraîne une carence documentaire qui explique peut-être la pénurie de travaux sur la question jusqu’au renouveau des recherches que l’on voit poindre récemment avec la tenue de trois colloques, dont celui à l’origine du présent volume, organisés en France et en Italie en 20102.

L’idée longtemps admise que l’Empire romain n’avait pas de relations internationales une fois la Pax romana établie, n’a pas non plus favorisé les recherches dans ce domaine. La remise en cause de l’image statique de l’impérialisme romain et les débats nombreux qui se sont engagés à partir des années 1975 à ce sujet ont néanmoins permis de faire surgir un certain nombre de lignes de forces de la politique étrangère romaine à partir du Principat. Nous essayerons de montrer ici que la période de l’Antiquité tardive marqua une période d’intense activité diplomatique et que

1 A. G

IOVANNINI, Les relations entre les États dans la Grèce antique du temps d’Homère à l’intervention romaine (ca. 700-200 av. J.-C.), Berlin, 2007.

2 Le relazioni internazionali nell’alto medioevo, 50e Settimana di Studio,

(Spolète, 8-12 avril 2010), Fondazione Centro Italiano di Studi sull’ alto Medioevo ; Les relations diplomatiques au Moyen Âge : sources, pratiques, enjeux, (Lyon, 3-6 juin 2010), 41e Congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public.

Rome dut infléchir sa politique internationale en tenant compte de ses nouveaux interlocuteurs, même si la propagande impériale et les auteurs romains cherchèrent à masquer ces nouvelles réalités.

Par rapport à la période du Haut-Empire, la période de l’Antiquité tardive voit s’intensifier le rythme des relations diplomatiques de l’Empire, notamment avec l’avénement d’une nouvelle puissance sur la scène internationale, l’Empire sassanide, qui exerce une pression constante sur la frontière orientale de l’Empire, comme l’ont bien montré les travaux de R.C. Blockley3. Selon ce dernier, les rois sassanides auraient également obligé Rome à accepter une situation diplomatique totalement inédite, l’égalité entre deux puissances, ce qui l’aurait peu à peu contrainte à renoncer à mettre en œuvre des conceptions diplomatiques traditionnellement inégalitaires, voire humiliantes pour l’adversaire, afin de tendre à des relations plus conciliatrices, y compris avec d’autres peuples que l’Empire perse4.

Les problèmes militaires difficilement surmontés sur la frontière septentrionale, rhéno-danubienne, obligent eux aussi, à des négociations et des envois d’ambassades. C’est donc d’abord le contexte historique qui explique qu’il y ait davantage de relations diplomatiques aux IVe-Ve siècles que durant les siècles de la Pax romana.

Ensuite, certaines sources narratives, comme celle des Res

Gestae d’Ammien Marcellin pour le IVe siècle, les œuvres d’Hydace et de Priscus pour le Ve siècle, de Procope et d’Olympiodore pour le VIe siècle pour ne citer que les plus importantes, nous sont particulièrement précieuses pour juger de cette activité diplomatique. Car ces auteurs ont été eux-mêmes des militaires de haut rang ou bien des diplomates, parfois les deux à la fois. Leurs témoignages vont donc comporter nécessairement plus d’informations dans ce domaine que la littérature du Haut-Empire.

La vision schématique d’une chronologie de l’Empire romain, divisée entre d’une part une Pax Romana du Haut-Empire et d’autre part, les siècles d’invasions et de guerres du Bas-Empire, provient donc en partie de cette distorsion des sources narratives. Un exemple significatif de cette distortion peut s’illustrer par les

Panégyriques Latins dans lesquels il n’est jamais fait mention

3 R. C. B

LOCKLEY, East foreign Policy. Formation and Conduct from Diocletian to Anastasius, Leeds, 1992 ; voir également B. ISAAC, The Limits of Empire : The roman Army in the East, Oxford, 1990.

4 R.C.B

d’ambassades officielles. A. Chauvot a bien montré5 que dans cette littérature de l’idéologie impériale triomphante, on nie l’existence de l’accord qui peut suivre un état de guerre, on l’amalgame à ce dernier comme un acte forcément de deditio, même quand, en fait, la paix est souhaitable pour une Rome prise en difficulté.

Et pourtant, en dépit de cet accroissement sensible de notre documentation, il faut bien admettre une évidence : nous avons une vision erronée de l’activité diplomatique à partir des sources narratives. L’épigraphie, si précieuse pour juger de cette même activité dans le monde grec classique, puis dans le cadre des relations « intérieures » entre les cités des provinces romaines et le pouvoir central, nous fait ici complètement défaut : aucun traité, ni aucune dédicace honorifique inscrits dans la pierre, ne viennent compléter pour l’Occident, à ma connaissance, notre documentation de l’Antiquité tardive.

Pour la période allant de 300 à 565, R. Helm comptabilisait seulement 79 ambassades, c’est-à-dire environ une tous les trois ans. Pour la période 408-800, T. Lounghis, dans son important ouvrage Les ambassades byzantines en Occident depuis la

fondation des états barbares jusqu’aux Croisades (467-1096), ne

pouvait recenser quant à lui, en quatre cents ans, que seulement 170 ambassades parties de Constantinople vers l’Occident, dont 70 relevaient des relations plus fréquentes avec la Papauté ou avec l’Exarchat de Ravenne, soit donc une ambassade tous les quatre ans pour les seules relations avec les royaumes occidentaux et E. Ewig parvenait à des chiffres identiques pour les ambassades entre le monde franc et Constantinople6. Ces chiffres reflètent-ils la réalité ?

Pour s’en assurer, il suffit de partir d’autres statistiques, non pas celles des ambassades signalées par les sources narratives, mais celles provenant des signatures de traités et des événements importants survenus dans chaque État (changements de règne, mariages royaux, victoires militaires, etc). Pour la période des IVe

5 A. C

HAUVOT, Opinions romaines face aux Barbares au IVe siècle ap. J.-C., Paris, 1998, p. 20.

6 R. H

ELM, « Untersuchungen über den auswärtigen diplomatischen Verkehr des römischen Reiches im Zeitalter der Spätantike », Archiv für Urkundenforschung, 12 (1932), p. 375-436 repris dans Antike Diplomatie, éd. E. OLSHAUSEN,H. BILLER, Darmstadt, 1979, p. 321-408 ; T. C. LOUNGHIS, Les ambassades byzantines en Occident depuis la fondation des états barbares jusqu’aux Croisades (467-1096), Athènes, 1980 ; E. EWIG, Die Merowinger und das Imperium, Opladen, 1983.

et Ve siècles, j’ai pu recenser7 105 traités conclus entre les deux

partes imperii et leurs voisins en 165 ans, c’est-à-dire de 322 à

488, soit environ un peu plus d’un traité tous les deux ans, ce qui suppose déjà, au minimum, un nombre d’ambassades au moins double.

On peut généraliser ce constat et E. Chrysos a pu démontrer qu’il fallait multiplier par quatre ou cinq les résultats généralement présentés pour les attestations d’ambassades dont nous avons repris quelques exemples ci-dessus8. Notre collègue utilise pour ce faire les résultats d’une dissertation non publiée de I. Masur, Die

Verträge der germanischen Stämme, présentée à Berlin en 1952,

dans laquelle l’auteur avait recensé pour la période des IVe, Ve et VIe siècles, 304 foedera entre l’Empire et les gentes ou entre ces derniers entre eux. 95 traités étaient conclus entre l’Empire et les seuls peuples germaniques migrants.

À ces 304 foedera, E. Chrysos ajoute les traités conclus par les gentes non répertoriées par I. Masur, c’est-à-dire les Alamans, les Huns, les Gépides et les Avars, ce qui lui permet de proposer le chiffre de 350 traités pour la même période, ce qui me semble tout à fait plausible, en comparaison du résultat que j’obtiens moi- même pour les IVe-Ve siècles, puisqu’il faut tenir compte de l’intensification des relations diplomatiques et guerrières au VIe siècle, notamment avec les Perses, les Lombards et les Avars.

Ces chiffres permettent de mieux corroborer l’hypothèse d’une intensité de l’activité diplomatique à la fin de l’Antiquité, car la signature de chacun de ces traités a dû engendrer au moins une à deux ambassades au minimum.

L’exemple plus précis du corpus des relations romano- vandales, entretenues par les deux parties entre 408 et 535, va permettre de mieux comprendre cette distorsion entre les sources narratives et la réalité des relations diplomatiques. E. Chrysos conclut au chiffre d’une cinquantaine d’ambassades envoyées de Carthage, de Rome (ou Ravenne) ou de Constantinople en 127

7Ch. D

ELAPLACE, Géostratégie des royaumes romano-gothiques d’Occident. Les relations entre les Wisigoths et l’Empire romain de 382 à 531, à paraître.

8 E. C

HRYSOS, « Byzantine Diplomacy, AD 300-800 : Means and Ends », dans Byzantine Diplomacy, éd. J. SHEPARD,S. FRANKLIN, Londres, 1992, p. 25-40 ; E. CHRYSOS, « Legal Concepts and Patterns for the Barbarians' Settlement on Roman Soil », dans Das Reich und die Barbaren, éd. E. CHRYSOS, A. SCHWARCZ, Vienne, 1989, p. 13-23, contenant les résultats de la dissertation non publiée de I. MASUR, Die Verträge der germanischen Stämme, Diss., Berlin, 1952 ; P. S. BARNWELL, « War and Peace : Historiography and Seventh-century Embassies », EME, 6, 2 (1997), p. 127-139, ici p. 137 abonde dans le sens d’ E. Chrysos pour le VIIe siècle.

années, soit une à deux tous les trois ans. Or, sur les 28 ambassades qui ont dû être normalement envoyées, selon les règles diplomatiques ordinaires, pour notifier à une puissance étrangère l’accession au trône d’un empereur (d’Orient ou d’Occident) ou d’un roi durant cette période, une seule de ces ambassades apparaît dans les sources romano-vandales exploitées par E. Chrysos. Elle concerne l’accession au trône de l’empereur Anthemius en 467 à Rome, signalée par Priscus : l’empereur Léon envoie un ambassadeur, Phylarchus, auprès du roi des Vandales, Geiseric, pour lui annoncer cet avènement9.

Ce sont donc toutes ces ambassades ordinaires qu’il faudrait pouvoir ajouter au chiffre total pour obtenir une vision réelle des relations entre États. Les ambassades qui apparaissent dans les sources narratives, ont en effet uniquement concerné des faits militaires : les négociations de traités de paix pour dix d’entre elles, pour quatre, des opérations diverses, pour trois, des invites à une intervention militaire ; enfin, une ambassade concerne une demande d’informations et seules les deux dernières recensées sont sans indications d’objectifs connus.

Ce seul exemple romano-vandale montre bien l’existence de deux sortes de contacts diplomatiques. Les États se devaient d’envoyer un nombre important d’ambassades pour annoncer les événements ordinaires :

la notification de l’accession au trône de tous les nouveaux souverains,

la reconnaissance des souverains étrangers après leur élévation au pouvoir,

l’annonce des événements familiaux royaux ou impériaux (mariages, naissances, etc),

l’annonce des victoires décisives,

la notification de la confirmation de traités ou de situation de

statu quo,

les ambassades envoyées en réponse à des requêtes pour intervention dans des controverses politiques locales comme les querelles dynastiques,

les ambassades liées à des commerces réguliers.

Nul doute que l’on profitait de ces ambassades ordinaires pour maintenir ou renforcer les contacts politiques établis entre les deux puissances et pour divulguer les informations nécessaires.

9

Prisc., fr., 52 (éd. R. C. BLOCKLEY, The Fragmentary Classicising Historians of the Later Roman Empire. Eunapius, Olympiodurus, Priscus and Malchus, tome 2, Liverpool, 1983, p. 360).

Mais dans un contexte belliciste, le flux des contacts diplomatiques s’exacerbait pour prévenir des hostilités ou pour déclarer la guerre et de nombreuses ambassades devaient être envoyées en liaison avec les négociations de paix durant ou après une guerre. Ce sont ces ambassades de la seconde catégorie dont nos sources littéraires font état, les premières, citées dans la liste ci-dessus, bien ordinaires, n’ayant souvent pas d’intérêt pour l’annaliste. Ajoutons que les auteurs de nos sources narratives avaient une seconde raison d’omettre de signaler ces ambassades ordinaires : les cérémonies d’accueil des ambassadeurs étaient d’une grande banalité, fondées sur une étiquette et un cérémonial répétitifs, sans intérêt annalistique ou littéraire.

Nous avons donc en notre possession un corpus de sources diplomatiques qui ne reflète absolument pas le cadre réel des relations internationales dans l’Antiquité tardive. Les relations belliqueuses, les traités de paix sont au centre des récits événementiels qui sont parvenus jusqu’à nous, mais ces derniers ignorent le substrat diplomatique de la longue durée sur lequel se cultivent les relations entre puissances.

Une confirmation peut nous parvenir d’une source certes tardive pour notre sujet. Ménandre le Protecteur, écrivant sous le règne de Justin II (565-578) permet de constater qu’au VIe siècle, Romains et Perses distinguaient des ambassadeurs majeurs, à pouvoirs plénipotentiaires et des ambassadeurs mineurs, délivrant seulement des messages, de simples préliminaires représentant un travail de routine. Si cette distinction n’était pas forcément déjà opératoire dès les IVe-Ve siècles, il semble bien que l’attention portée au rang de l’ambassadeur et au nombre d’envoyés par ambassade marque déjà une hiérarchie des messages dont ils avaient la charge. Pour les relations avec les Perses durant les périodes de paix, sont envoyés des civils, alors que ce sont des militaires qui sont les négociateurs durant les périodes de tensions. Les patrices et les consulaires étaient considérés par les puissances adverses comme les envoyés personnels de l’empereur romain, étant donnée la connotation très particulière de leur titre honorifique. Ils possédaient souvent une qualité extrêmement recherchée : la maîtrise de la rhétorique, qui permettait également à des personnages n’appartenant pas à la militia, philosophes ou rhéteurs, d’être choisis pour faire partie des ambassades. Parmi les patrices dont on connaît bien la carrière entre 330 et 630, un quart d’entre eux ont été ambassadeurs et participent à la moitié des

ambassades répertoriées par R. Helm. Le patriciat était donc le statut le plus élevé possible pour un envoyé de l’empereur.

Attila, on le sait, réclama en 449 à l’empereur Théodose II des ambassadeurs de rang illustris, ce que ce dernier lui refusa, en prétextant le fait que ses prédécesseurs n’avaient eu que des envoyés romains de rang spectabilis. En vérité, les traités conclus quelques années plus tôt, en 443/444 et en 447, l’avaient bien été grâce à l’intermédiaire d’ambassadeurs de rang illustris, dont un patrice, ex-consul, Anatolius. Attila avait donc en réalité obtenu auparavant ce qu’il réclamait en 449, mais les relations n’étaient désormais plus aussi cordiales. Elles étaient même franchement hostiles et ce message de recadrage diplomatique entendait le signifier clairement !

On rappellera le rôle diplomatique particulier que revêt au Ve siècle le sénat de Rome, bien mis en valeur par les travaux de J. Matthews10. Tout un jeu politique subtil se jouait donc grâce à cette exploitation des rangs hiérarchiques des envoyés et avec le choix entre envoyés militaires ou civils, laïcs ou chrétiens. Parmi tous ces envoyés disponibles, les notarii et les agentes in rebus formaient la cohorte la plus nombreuse des messagers et ambassadeurs de second rang. La tâche principale des agentes in

rebus consistait à remplacer les exploratores et les frumentarii

dans leur rôle d’espionnage, mais il leur arrivait donc de combiner diplomatie et renseignement. Ils apparaissent également sous le nom de magistrianoi, en latin magistriani, de part leur appartenance à l’officium du maître des offices. Le magister

officiorum prend, à partir de la moitié du Ve siècle, la dimension politique d’un ministre des affaires étrangères, poste qui n’existait pas sous le Principat. Contrôlant les agentes in rebus, ayant en sa possession les archives, orchestrant la réception de toutes les délégations et de toutes les audiences officielles, il contrôle en conséquence l’essentiel des instruments de communication et de diplomatie. Les interprètes sont sous sa surveillance, comme en témoigne la Notitia Dignitatum dans laquelle apparaissent des

interpretes diversarum gentium qui diffèrent sans doute des

simples militaires que leur langue maternelle prédisposait à ce rôle dans les armées.

R. C. Blockley attribue également au magister officiorum les nominations de commandants d’unités apparaissant dans la liste du

Laterculus minus. D’autres historiens interprètent de la même

10 Notamment, J. F. M

ATTHEWS, Western aristocraties and Imperial Court, 364-425, Oxford, 1975 (rééd. 1990), p. 305.

façon la novelle de l’empereur Théodose II datée de 44311. Cette fonction lui permettait dans ce cas d’être au plus près de la conduite de la politique étrangère dans ce secteur, ce qui augmenterait singulièrement le rôle du magister officiorum au sein du pouvoir central. Par ailleurs, les réformes militaires de Gallien et de Constantin créent des armées régionales sous le commandement des magistri equitum régionaux. Se constituent alors des commandements permanents ou à long terme, dont les titulaires sont concernés par la défense d’aires spécifiques et qui instituent dans chaque région un service de renseignement hiérarchiquement placé au-dessus des officiers du praetorium du

dux. Par rapport à l’époque du Principat pendant laquelle le rôle

des gouverneurs de province semblait demeurer limité, puisqu’il s’agissait avant tout pour le gouverneur de fournir des informations au Consilium de l’empereur, tout laisse à penser que désormais les duces des provinces frontalières aient eu davantage d’implication directe dans l’organisation des modes d’obtention des renseignements.

C’est dans ce contexte diplomatique réévalué par l’historiographie récente que l’on doit reprendre la question de la vision mommsénienne de l’Empire romain, dès lors que l’on veut analyser les relations de Rome avec ses voisins barbares dans l’Antiquité tardive, et notamment un moment essentiel de ces relations : l’établissement d’un traité. En effet, c’est la thèse de Th. Mommsen qui a longtemps prévalu chez les historiens et qui domine encore en partie l’histoire du droit romain. Elle repose sur l’examen technique de la notion de foedus, sans vouloir toutefois entrer dans l’analyse historique des conséquences idéologiques et économiques de l’action de Rome. Dans le contexte impérialiste de l’Allemagne au XIXe siècle, faut-il le rappeler, Th. Mommsen considérait que Rome n’avait en aucun cas des alliés, mais seulement des sujets autonomes qui perdaient leur autonomie pour être annexés et incorporés dans le système provincial. Cette incorporation était inéluctable et tous les traités étaient donc par définition des foedera iniqua, des traités inégaux, qui n’avaient qu’une valeur relative. Rome pouvait par ailleurs s’en dispenser quand l’annexion se faisait bien après la fin d’un conflit militaire, achevé sans signature conjointe d’un quelconque foedus, mais toujours suivi en revanche par une deditio.

Dans cette définition des cadres juridiques de la relation entre vaincus et Rome, est-il vraiment possible de faire la distinction entre deditio et deditio in fidem, comme le suggèrent certains juristes? Certains historiens perçoivent une différence formelle et veulent bien accepter que la deditio in fidem puisse apporter un certain adoucissement au traitement des vaincus. Pour d’autres, c’est pure illusion ou bien encore considèrent-ils ces distinctions sémantiques comme l’invention par les Modernes de termes techniques que l’on ne retrouve même pas dans les sources. Le débat n’est donc pas très enrichissant du point de vue de l’analyse historique, mais révèle bien les paradoxes d’une pensée juridique qui tente d’esquiver la notion d’impérialisme et d’enrober les realia de la Conquête dans un système de subordination paternaliste, assez proche au demeurant de celui défendu par l’idéologie coloniale du XIXe siècle. Th. Mommsen assortissait d’ailleurs lui-même sa théorie d’un autre concept, celui de la Reichsangehörigkeit : un attachement et une subordination légale mais voulue à l’Empire. Il apparaît aujourd’hui ambigu et il a fait l’objet de révisions et de critiques nombreuses.

Il faut rappeler ici la place importante conférée par les spécialistes du droit romain, après les Romains, à la notion d’amicitia, une valeur morale et un élément important du droit