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FRANÇAIS PAR DES JAPONOPHONES

3.1 T RAVAUX EXISTANTS

3.1.1 Travaux sur la perception

Comme nous venons de le voir, de nombreuses études se sont intéressées à la question de la perception par des japonophones des consonnes liquides de l’anglais (voir p.

ex. Goto, 1971 ; Miyawaki, Strange, Verbrugge, Liberman, Jenkins et Fujimura, 1975 ; Mochizuki, 1981 ; Best et Strange, 1992 ; Yamada et Tohkura, 1992 ; Lively, Logan et Pisoni, 1993 ; Flege, Takagi et Mann, 1996 ; Aoyama, Flege, Guion, Akahane-Yamada et Yamada, 2004), dont il ressort globalement que cette perception est problématique. En revanche, plus rares sont les études qui se sont intéressées à la perception par des japonophones des consonnes liquides du français.

Nous présentons ici, brièvement, les résultats issus de ces travaux en lien avec le français, soit ceux de Yamasaki et Hallé (1999), Ooigawa (2007a, 2007b, 2009a, 2009b, 2013) et Detey (2005). Ces études avaient pour objectif commun d’examiner la perception du /R/ et du /l/

du français par des japonophones, en tenant compte de différentes variables (parmi elles le contexte vocalique, positionnel et orthographique).

Pour ce faire, Yamasaki et Hallé (1999) ont proposé dans leur étude deux tâches différentes : une tâche de discrimination AxB77 et une tâche d’identification par retranscription en katakana. La tâche de discrimination AxB a donné d’excellents résultats, très proches de ceux de francophones natifs, à l’exception des cas où la liquide était suivie par la voyelle /i/ et qu’elle était en position médiale. Concernant la seconde tâche, il en est ressorti que le /l/ du français était presque exclusivement retranscrit par les katakana de la « ligne du R » (cf. point 1.4.2), quelles que soient sa position et la voyelle suivante. La retranscription du /R/ en katakana n’était pas, elle non plus, influencée par la position, mais la voyelle y jouait en revanche un rôle : alors que la « ligne du R » était principalement choisie quand le /R/ était suivi par la voyelle /i/, la « ligne du H »78 était généralement choisie quand le /R/ était suivi par les voyelles /a/ ou /u/. En d’autre termes, quand les Japonais entendaient /Ri/, ils utilisaient généralement le katakana « リ » (prononcé /ɾi/), mais quand ils entendaient /Ra/ ou /Ru/, ils utilisaient généralement, respectivement, les katakana,

77 Une tâche AxB consiste à associer par similarité l’élément du centre, « x », soit à gauche (« A ») soit à droite (« B »). Dans un cadre comme celui-ci où on teste une discrimination auditive, la tâche consiste à entendre une séquence de trois stimuli sonores et à juger si celui du centre est identique à celui de gauche ou à celui de droite.

78 Qui renvoie aux katakana formés par la combinaison « /h/ + voyelle ».

« ハ » ou « フ » (prononcés /ha/ et /hu/). Il convient de signaler que deux groupes différents de japonophones ont participé à cette tâche d’identification : un groupe vivant au Japon et n’ayant aucune expérience du français, et un autre vivant en France mais ayant très peu de connaissances du français79, ce qui a pu altérer les résultats. Hallé (2014) a récemment répliqué la même étude avec des Japonais n’ayant aucune connaissance du français et vivant au Japon, et a obtenu le même résultat pour la tâche de discrimination et, comme seule différence pour la tâche d’identification en katakana, une retranscription du /R/ via la « ligne du G »80 plus élevée que via la « ligne du H ». En d’autres termes, lorsque les Japonais entendaient une séquence sonore composée d’un /R/ suivi d’une voyelle, ils utilisaient par exemple plus souvent le katakana « ガ » (prononcé /ga/) que le katakana « ハ » (prononcé /ha/).

Dans ses études, Ooigawa a obtenu des résultats similaires. Lors d’une tâche de discrimination AxB, il a observé systématiquement un phénomène de plafonnement (2007a, 2007b, 2009b, 2013), quels que soient les contextes vocalique et positionnel. La seule influence observée de la voyelle se situait dans l’évaluation de la difficulté de la tâche AxB : celle-ci était en effet jugée comme bien plus difficile lorsque la voyelle suivante était /i/ ou /e/81 (2007a). Dans une tâche d’identification des consonnes liquides du français en katakana (2009a), il rejoindra également les observations de Yamasaki et Hallé (1999) en notant que le /l/ était exclusivement assimilé à la « ligne du R », tandis que le /R/ alternait principalement entre la « ligne du R » lorsqu’il était suivi des voyelles /i, e/, et la « ligne du H » lorsqu’il était suivi des voyelles /a, o, u/82. En d’autres termes, lorsque les Japonais entendaient un /l/ suivi d’une voyelle, ils utilisaient uniquement un katakana dont la consonne est /ɾ/ ; par exemple, en entendant /la/ ou /li/, ils utilisaient respectivement les katakana « ラ » (prononcé /ɾa/) et

« リ » (prononcé /ɾi/). En revanche, lorsqu’ils entendaient un /R/, si la voyelle suivante était /i/ ou /e/, ils utilisaient généralement un katakana dont la consonne est /ɾ/, alors que si la voyelle suivante était /a/, /o/ ou /u/, ils utilisaient généralement un katakana dont la consonne est /h/ ; par exemple, en entendant /Ri/, ils avaient tendance à utiliser le katakana

79 Il s’agissait là du groupe qui avait participé à la tâche de discrimination AxB.

80 Qui renvoie aux katakana formés par la combinaison « /g/ + voyelle ».

81 Parmi les huit voyelles testées, à savoir /a, i, o, e, u, y, ø/.

82 Nous reportons ici uniquement les résultats concernant le /R/ lorsqu’il était produit comme [ʁ] – i.e. de manière standard –, car, dans son étude, Ooigawa a également observé l’identification de la rhotique lorsqu’elle était articulée différemment. Notre démarche se voulant globale, nous n’entrons cependant pas dans un résumé plus complet (pour cela, voir p. ex. Isely, 2015).

« リ » (prononcé /ɾi/), et en entendant /Ra/ ils avaient tendance à utiliser le katakana « ハ » (prononcé /ha/).

Enfin, Detey (2005) s’est intéressé dans son travail de thèse au rapport graphie-phonème. Il a observé, entre autres83, le taux de confusion à l’écrit entre les lettres « r » et « l » à travers, d’une part, une tâche simple d’identification phonographémique – soit les liens phonético-phonologiques et orthographiques – et, d’autre part, via une tâche combinée de discrimination phonologique et d’identification phonographémique84. La première tâche a mis en évidence plusieurs éléments : un taux global de confusion relativement faible mais identique pour les deux consonnes ; une confusion a priori plus faible en position finale (le /R/ présentant un taux de confusion supérieur en position initiale et intervocalique et le /l/

en initiale) ; et une influence vocalique différente selon la liquide (le /R/ présentant a priori un taux de confusion supérieur lorsqu’il était suivi des voyelles /i, u/, et le /l/ présentant a priori un plus haut taux de confusion lorsqu’il était suivi des voyelles /u, ø/). La deuxième tâche offrait quant à elle des résultats différents, généralement moins bons que ceux de la première tâche, avec : un taux de confusion qui serait globalement plus élevé pour /R/ que pour /l/ ; une position qui deviendrait plus problématique pour /R/ en finale alors qu’elle ne semble pas influencer le taux de confusion du /l/ ; une influence du contexte vocalique qui, en revanche, semblerait suivre la même tendance que pour la première tâche – les voyelles /i, u/ entraînant plus de confusion pour /R/ et les voyelles /ø, u/ pour /l/.

Nous pouvons retenir de ce qui a été exposé dans cette partie plusieurs éléments :

1) Globalement, dans le cas d’apprenants japonophones, la perception des consonnes liquides du français est mieux réussie que celle des liquides de l’anglais. Ooigawa (2007b, 2009b, 2013) démontre par exemple que, dans une tâche de discrimination AxB identique, les Japonais discriminent bien mieux le contraste /R-l/ en français qu’en anglais – la distance phonético-phonologique entre les deux sons étant plus grande en français qu’en anglais, elle permettrait, comme supposé au point 2.2.3, une meilleure discrimination. De surcroît, cette

83 Son étude ne portait pas exclusivement sur le contraste /R-l/, mais également sur celui de /b-v/ et sur les voyelles /a, i, ø, u/ dans un axe segmental, ainsi que sur les épenthèses dans un axe syllabique.

84 Dans la première tâche, les participants devaient associer un stimulus auditif contenant une des deux liquides au logatome écrit correspondant ; alors que dans la seconde tâche ils entendaient deux stimuli à la suite (qui changeaient ou non de liquide) et devaient choisir le logatome écrit correspondant pour les deux.

bonne discrimination pour le français donne un effet de plafonnement, et donc des résultats peu marqués qui ne permettent pas de mettre en évidence d’éventuelles influences qui pourraient agir sur la perception du /R/ et du /l/. Il est alors difficile de comparer ces résultats avec les prédictions des modèles SLM et L2LP, d’une part à cause de ce plafonnement, et d’autre part parce que les consonnes liquides ont généralement été testées comme un seul bloc, empêchant ainsi d’obtenir des résultats individuels pour /R/ et pour /l/.

2) La retranscription en katakana indique que si le /l/ du français est clairement associé au /ɾ/ du japonais, le /R/ du français est associé à plusieurs catégories phonologiques, essentiellement celles du /ɾ/ et du /h/, selon le contexte vocalique.

3) Le /i/ semble être la voyelle entraînant le plus de difficultés de perception des liquides quand elle est placée après celles-ci.

4) Le recours à l’orthographe donne des résultats plus nuancés, notamment entre les deux consonnes, attestant ainsi de son influence sur la perception.

La présentation des travaux sur la perception étant terminée – à l’exception du volet perception de notre étude globale qui sera présenté au point 3.2 – nous passons maintenant aux travaux sur la production.