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Les travaux sur la qualité de l’emploi au Canada

Chapitre 2. La qualité de l’emploi

2.7. Revue des travaux sur la qualité de l’emploi

2.7.2. Les travaux sur la qualité de l’emploi au Canada

Nous avons souligné plus haut que la question de la qualité de l’emploi a émergé à partir des années quatre-vingt-dix. Ainsi, si en Europe ou aux États-Unis, comme nous l’avons montré, des sources de données qui existaient à cette période ont permis d’examiner cette question, au Canada, la situation est un peu différente. À cette époque, comme l’indique Bowlby (2005), l’enquête canadienne sur la population active (EPA)14 était la principale source de données disponibles pour

étudier le marché du travail. Dès lors, pour certains chercheurs, bien qu’elle fournisse des renseignements sur les professions tels que les heures de travail, les gains des employés, l’affiliation syndicale ou la permanence de l’emploi, ces données de l’EPA renseignent davantage sur l’expérience des travailleurs sur le marché du travail que sur les caractéristiques des emplois (Jackson et Kumar, 1998).

Dans le document qu’ils ont préparé pour le centre d’études des niveaux de vie, Jackson et Kumar (op.cit) ont exploité d’autres sources de données pour faire une analyse de l’évolution de la qualité de l’emploi au Canada. Dans un premier temps, utilisant les données de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu, ils prennent en compte sept dimensions de la qualité de l’emploi à savoir, le salaire et

d’autres avantages que procure l’emploi, la satisfaction à l’égard des heures de travail, les horaires de travail, la sécurité de l’emploi, le bien-être physique au travail et l’environnement social au travail. Leurs résultats montrent une diminution de la

qualité de l’emploi entre 1981 et 1993 qui est plus marquée chez les hommes que chez les femmes. Dans un deuxième temps, ils ont examiné les mêmes dimensions de la qualité de l’emploi, mais en utilisant d’autres sources de données que sont l’Enquête sur les horaires et les conditions de travail, l’Enquête sociale générale (ESG) et l’Enquête sur la santé de la population. Les résultats auxquels ils parviennent montrent dans l’ensemble une tendance à la détérioration de la qualité des emplois durant les années quatre-vingt-dix touchant davantage les femmes que

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les hommes. Selon eux, cette tendance particulière s’explique par le fait que les femmes ont été non seulement les plus concernées par la baisse des salaires, mais également par les emplois à temps partiel (le statut de l’emploi).

Comme nous l’avons vu dans les approches théoriques, la qualité de l’emploi ne peut être étudiée uniquement sur la base des caractéristiques de l’emploi. Une autre façon de procéder consiste à mettre l’accent sur les préférences des travailleurs en matière d’emploi. Sur le marché du travail canadien, Hughes et al, (2003) ont examiné ce que les femmes et les hommes veulent dans un emploi. Ils montrent d’une part que leurs aspirations à l’égard du travail varient et d’autre part qu’ils font des évaluations différentes de leurs emplois. Cependant, du point de vue de la participation au marché du travail de manière générale, à l’exception notamment du statut des emplois où les femmes sont plus susceptibles d’occuper des emplois temporaires, ils soulignent au regard des autres aspects une convergence entre les hommes et les femmes dans les années deux milles.

Utilisant des sources de données15 américaines, canadiennes et européennes,

Brisbois (2003) compare le Canada, les États-Unis et quinze autres pays européens sur la base de certains indicateurs de la qualité de l’emploi que sont : la santé et le

bien-être, le développement des compétences, la sécurité de l’emploi, la conciliation vie professionnelle-vie familiale et la satisfaction à l’égard des conditions de travail.

Dans ses résultats, il montre que le Canada occupe une assez bonne position dans ce classement, notamment à l'égard de certains aspects de la qualité de l’emploi comme la conciliation vie professionnelle et vie familiale, le bien-être au travail ou le développement des compétences. Il souligne toutefois que ce résultat est susceptible de changer si on prend en compte la santé et la sécurité au travail où le Canada et les États-Unis sont loin derrière les autres.

15Pour le Canada, il s’agit de l’Enquête sur le milieu de travail et les employés (EMTE) qui a été

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Pour avoir un aperçu de la tendance générale de la qualité de l’emploi au Canada entre 1990 et 2000, on peut recourir aux travaux de Low (2007). Ce dernier utilise une trentaine d’indicateurs de la qualité de l’emploi qui relèvent de cinq grandes dimensions à savoir : le contexte du marché du travail, les heures et horaires de

travail, les gains d’emploi, la qualité de vie au travail et les avantages liés à l’emploi.

Ses résultats montrent que la qualité de l’emploi au Canada durant cette période a connu une tendance mitigée. Ainsi, pendant que certains indicateurs présentaient un impact positif, d’autres semblaient avoir négativement affecté la qualité de l’emploi. À titre d’exemple, les indicateurs tels que le taux d’emploi, les longs week- ends de travail ou les gains annuels moyens des hommes et des femmes travaillant à temps plein se sont améliorés, alors que des indicateurs tels que l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, les avantages non salariaux, les horaires du week-end ou l’adhésion syndicale se sont détériorés en ayant un impact négatif sur la qualité de l’emploi.

Au Québec, Cloutier (2014) a analysé l’évolution de la qualité de l’emploi entre 1990 et 2012 à partir des données de l’Enquête québécoise sur les conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCTSST) de l’Institut de la Statistique de Québec (2008-2009) en tenant compte de plusieurs dimensions comme la rémunération, la qualification (de l’emploi et du travailleur), la stabilité, les heures et horaires de travail, les congés, les assurances, le régime de retraite, et les conditions physiques et psychologiques de travail. Ses résultats montrent dans l’ensemble une amélioration de la qualité de l’emploi durant cette période en raison surtout de l’accroissement des emplois hautement qualifiés chez les femmes (allant de 35 % à 48 % pour les femmes et de 32 % à 38 % pour les hommes). Durant cette période, il souligne que les femmes ont été les plus touchées par la surqualification et, en même temps, elles ont été désavantagées par rapport à d’autres dimensions de la qualité de l’emploi, comme la rémunération, l’autonomie de compétence et les conditions psychologiques et physiques, sans qu’elles le soient en ce qui concerne les horaires réguliers de jour, et les avantages sociaux. Plus tard, en 2015, toujours avec la même source de données, Cloutier et Robinson (2015) ont examiné les

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déterminants de la qualité de l’emploi au Québec. À partir d’un indicateur synthétique combinant une dizaine de dimensions – rémunération, stabilité, qualification, heures de travail, horaires de travail, congés, assurances, régime de retraite, conditions psychologiques (de travail) et conditions physiques (de travail) – ils ont observé par exemple que le sexe, le statut d’immigration (immigrants et natifs du Canada), la couverture syndicale, le secteur d’appartenance (public ou privé) n’étaient pas liés de manière significative avec la qualité de l’emploi, contrairement à l’âge, au niveau d’études, à la durée de l’emploi, à la catégorie socioprofessionnelle ou à la taille de l’établissement entre autres.

Peu de travaux sur la qualité de l’emploi chez les immigrants au Canada Chez les immigrants, les travaux sur la qualité de l’emploi sont relativement peu nombreux, comparativement à ceux qui examinent l’insertion économique sous l’angle des différents indicateurs pris séparément comme le revenu, la participation (taux d’emploi et/ou de chômage), la surqualification, etc. Cependant, comme nous l’avons évoqué plus haut, la qualité de l’emploi peut être un angle pertinent sous lequel l’insertion économique des immigrants pourrait être appréhendée. De plus, on peut constater que les rares travaux sur la qualité de l’emploi chez les immigrants ont en commun le fait d’adopter une perspective de comparaison entre immigrants et natifs. De ce fait, bien que les indicateurs utilisés restent parfois variés selon les auteurs, les conclusions demeurent presque similaires à savoir que les immigrants occupent des emplois de moins bonne qualité par rapport aux natifs.

Parmi ces travaux, nous pouvons citer ceux de Gilmore (2009) qui utilise le cadre théorique de l’ONU/OIT et certains indicateurs de Statistique Canada pour comparer la qualité de l’emploi entre les immigrants et les natifs. Les indicateurs utilisés portent sur la sécurité et l’éthique de l’emploi, le revenu et les avantages liés à l’emploi, les heures de travail et l’équilibre travail et vie personnelle, la stabilité, la sécurité de l’emploi et la protection sociale, le dialogue social et les rapports en milieu de travail, la mise en valeur des compétences, l’apprentissage continu et enfin la satisfaction

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à l’égard de l’emploi. Sur bon nombre de ces indicateurs, notamment la rémunération, les heures de travail, le travail à temps partiel involontaire, la stabilité de l’emploi ou la syndicalisation, ses résultats indiquent que les natifs restent avantagés par rapport aux immigrants. Toutefois, bien que pour chacun des indicateurs examinés, des différences apparaissent selon l’âge, le niveau de scolarité ou la durée d’établissement, il ressort que l’étude se situe dans un registre plus descriptif qu’analytique, et qu’elle ne permet pas de rendre compte des déterminants de la qualité de l’emploi chez les immigrants. Sur cet aspect, les travaux de Boulet et Boudarbat (2008) et de Boulet (2013) vont un peu plus loin, mettant en évidence l’existence de nombreux déterminants de la qualité de l’emploi chez les immigrants. Parmi eux, ils révèlent que le temps (durée de séjour), la province de résidence, la scolarité, la connaissance des langues officielles, le domaine de formation, le sexe, la région d’origine, qui sont associés de manière significative au niveau de qualité de l’emploi chez les immigrants. Cependant, on s’aperçoit que ces différents facteurs correspondent à ceux qui sont habituellement pris en considération dans la littérature sur l’insertion économique des immigrants dans le contexte canadien et que nous avons mentionnés au chapitre 1. Il s’avère ainsi que le parcours migratoire pré-Canada n’a jamais été examiné comme facteur pouvant avoir une influence sur la qualité de l’emploi chez les immigrants. Cependant, le fait d’avoir connu ou non d’autres expériences migratoires internationales avant l’arrivée au Canada, et donc, une expérience de vie ou de travail dans d’autres pays, pourrait potentiellement être un déterminant de la qualité de l’emploi chez les immigrants. La pertinence de tenir compte de ces expériences de migration pour étudier l’insertion économique et la qualité de l’emploi des immigrants est discutée dans le chapitre suivant.

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Approche théorique et conceptuelle de la qualité de l’emploi adoptée dans cette étude

Il ressort de ce qui précède que la qualité de l’emploi a été appréhendée selon différentes approches. Dans certains travaux, seules des caractéristiques propres à l’emploi (conditions d’emploi) sont prises en compte comme la rémunération, le statut de l’emploi, le niveau de qualification, etc. quand dans certains autres, il est arrivé que le salaire serve comme unique indicateur pour étudier la qualité de l’emploi. En revanche, comme nous l’avons montré, la plupart des travaux procèdent par la combinaison de plusieurs dimensions qui portent à la fois sur les caractéristiques de l’emploi, les conditions de travail (caractéristiques intrinsèques), mais aussi de la dimension subjective, à savoir la satisfaction.

Dans notre cas, nous nous inscrivons dans la seconde perspective qui nous semble à même de donner une vision plus complète de la qualité de l’emploi. Ainsi, notre approche de la qualité de l’emploi est multidimensionnelle et consiste à combiner des indicateurs objectifs, à savoir : la rémunération, le statut de l’emploi, la stabilité de l’emploi, la syndicalisation, la qualification de l’emploi, la surqualification, le domaine de compétence (genre de compétence) et des indicateurs subjectifs, à savoir : la satisfaction à l’égard de l’emploi et d’autres mesures subjectives à savoir, la satisfaction à l’égard de chacun des indicateurs objectifs. Notre définition de la qualité de l’emploi s’inscrit alors en droite ligne avec la perspective de Green (2006) et celle de l’OCDE (2014), selon lesquelles un emploi de qualité serait celui dont les caractéristiques contribuent au bien-être (général) du travailleur.

Certes, autant ces dimensions restent importantes pour tous les groupes du marché du travail, autant nous considérons qu’elles le sont davantage à l’égard des immigrants pour lesquels elles représentent un enjeu particulier. Comme nous l’avons vu dans la littérature, ces différentes dimensions constituent les aspects de l’emploi à l’égard desquels les immigrants restent le plus souvent désavantagés comparativement aux natifs. Pour la population faisant l’objet de notre étude,

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comprenant des immigrants de la catégorie des travailleurs qualifiés ayant le statut de demandeurs principaux, l’autre enjeu des dimensions mobilisées réside surtout dans le fait que ces immigrants sont sélectionnés sur la base de leur capital humain. On s'attend alors à ce que les emplois qu’ils occupent correspondent à leur niveau de compétence et de qualification. Ainsi, dans notre approche, un emploi de qualité se définit comme étant : bien rémunéré, hautement qualifié, correspondant au domaine de compétence et au niveau d’études de l’immigrant, stable, à temps plein, syndiqué et satisfaisant de manière générale.

La particularité de notre approche par rapport aux autres travaux sur la qualité de l’emploi chez les immigrants au Canada réside dans la prise en compte des indicateurs subjectifs. Sur le plan théorique, l’avantage de cette approche tient au fait qu’elle ne limite pas le bien-être du travailleur aux seules caractéristiques objectives de son emploi étant donné qu’un emploi peut être bien rémunéré, lié au domaine de compétence ou stable, sans qu’il réponde aux attentes du travailleur sur le plan des conditions de travail ou de la conciliation travail-famille par exemple. Ainsi, l’utilisation d’indicateurs subjectifs permettra de relativiser l’importance des caractéristiques objectives de l’emploi qui, comme on l’a vu, ont tendance à être privilégiées dans les travaux sur la qualité de l’emploi chez les immigrants.

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Conclusion

À la lumière de ce qui précède, il convient d’admettre que depuis les années 90, le contexte qui prévalut sur le marché du travail, particulièrement dans les pays développés, a contribué la précarité sur le marché du travail d’une frange importante de travailleurs, notamment les immigrants. Comme nous l’avons remarqué dans la littérature, dans le contexte canadien, les immigrants restent confrontés à d’énormes difficultés sur le marché du travail. Cependant, le constat qui apparait dans les travaux est que ces difficultés sont souvent examinées de manière parcellaire. L’accès à l’emploi et les niveaux de rémunération constituent les deux principaux aspects qui ont le plus retenu l’attention. Au regard de cela, il faut souligner que la participation au marché du travail (taux d’emploi) et les revenus d’emploi ne permettent pas à eux seuls de rendre compte de la situation des immigrants sur le marché du travail. Dès lors, il faut considérer que leur insertion économique pourrait être mieux appréhendée en mettant l’accent sur la qualité de l’emploi. Tenant compte de cela, on peut regretter le peu d’intérêt que cette question a soulevé sur le plan de la recherche, d’autant plus que les rares travaux qui lui sont consacrés tiennent compte essentiellement des caractéristiques objectives de l’emploi sans égard aux indicateurs subjectifs.

Adoptant la perspective selon laquelle un emploi de qualité est celui qui contribue au bien-être général du travailleur, sur le plan conceptuel et théorique, l'étude présente la particularité et l’avantage de combiner l'approche objective et subjective de la qualité de l’emploi, mais surtout d’examiner son lien avec le parcours migratoire pré-Canada des immigrants dont l’effet sur la qualité de l’emploi n’a jamais été évalué.

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