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5.1 – Les travaux du “ Pôle Droit ” du PNER

Les travaux du “Pôle Droit” ont été animés et organisés par Isabelle de Lamberterie, Directrice de Recherche au CNRS. Le Programme Numérisation pour l’Enseignement et la Recherche (PNER), lancé au début de l’année 1999, qui vient de s’achever, a mis parmi ses priorités les questions juridiques liées à la numérisation pour l’enseignement et la recherche. Ayant eu pour objet de conduire un travail de réflexion sur les usages et les besoins de contenus numérisés pour l’enseignement et la recherche, il était indispensable que ce programme apporte sa contribution à la définition et à la mise en œuvre des cadres juridiques de ces usages et pratiques.

La prise en compte et le traitement des aspects juridiques de la numérisation dans le monde de l’enseignement et de la recherche s’est imposée comme une

nécessité, et ce pour plusieurs raisons :

Pour organiser la numérisation puis l’utilisation des produits numérisés, ne faut-il pas aménager la gestion des droits et obligations ? Peut-on ignorer plus longtemps le décalage entre les textes et les pratiques ?

La numérisation, comme l’utilisation de “ produits ” numérisés, peut se heurter à un certain nombre de difficultés du fait de la nature des droits sur ces produits ou du type d’utilisation qui peut en être fait. Il convient donc de cerner la nature des droits, le statut des produits (ex. : œuvres susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur, ou encore fichiers contenant des informations nominatives). Il faut, aussi, poser les difficultés liées à l’utilisation ou la diffusion de ces œuvres ou informations afin de sensibiliser les acteurs concernés à rechercher des éléments de réponse à ces problèmes.

Le programme numérisation a voulu être un lieu d’observation dans la société de l’information en construction. À ce titre, faire émerger des questions juridiques qui le concernent est apparu une façon d’apporter une contribution effective à la construction de la société de l’information. Le programme a été, aussi, l’occasion de revoir des questions sensibles qui préexistaient à la société de l’information et pour lesquelles une recherche de solutions apparaît aujourd’hui une priorité. On citera, à titre d’exemples, les questions liées aux droits respectifs des enseignants et des chercheurs sur les œuvres (y compris produits numérisés) dont ils sont les auteurs ou les contributeurs, ou encore la prise en compte d’une exception aux droits exclusifs des auteurs pour des fins d’enseignement et de recherche. La transposition de la directive sur le droit d’auteur dans la Société de l’information n’est-elle pas l’occasion à saisir pour repenser ces questions dans un contexte en pleine mutation ?

Pour remplir sa mission le “ pôle droit ” du programme s’est donné plusieurs objectifs :

travailler avec les acteurs afin de déterminer avec eux les points de blocage ;

étudier ces différentes questions, de façon aussi indépendante que possible, en privilégiant à la fois la mise en contexte comparative et le débat sur les enjeux ;

rendre compte du résultat de ces travaux par un état des lieux des problématiques et des propositions structurelles destinées aux pouvoirs publics et aux acteurs, pour aider ceux-ci à établir une politique qui tienne compte des besoins et des spécificités de ces secteurs.

La première étape de la mission a été la constitution d’un groupe mixte réunissant des acteurs concernés du secteur public comme du secteur privé 1

sous la responsabilité conjointe de deux avocats (Danièle Baruchel-Beurdeley et Sylvestre Tandeau de Marsac) et de l’auteur de ces lignes. Laure Mosli puis Philippe Chevet (juristes et chargés de mission du programme) ont assuré la coordination de ce groupe. La finalité était de faire émerger les questions sensibles sur lesquelles un véritable travail de recherche juridique était indispensable. Un rapport remis en septembre 2000 2 dégageait les thèmes

prioritaires pouvant faire l’objet d’études plus approfondies et invitait à faire une mise en perspective comparative à travers d’autres expériences similaires à l’étranger.

La deuxième étape a consisté - dans le cadre d’une action concertée de recherche confiée à l’antenne parisienne du CECOJI - à réunir, sous ma responsabilité et celle de Catherine Wallaert, des chercheurs et d’enseignants chercheurs, membres de trois équipes de recherche spécialistes du domaine : Nathalie Mallet-Poujol (CNRS), Jean-Michel Bruguière et Agnès Maffre-Baugé (Faculté de droit d’Avignon) membres de l’ERCIM (Équipe de recherche en créations immatérielles) de Montpellier I, Antoine Latreille (Faculté Jean Monnet-Paris XI) et Valérie-Laure Benabou (aujourd’hui professeur à Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines) membres du CERDI (Centre de recherches sur le droit de l’immatériel-Paris XI), Marie-Eugénie Laporte-

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Ont participé de façon active à ce groupe : Carole Audouin (CNED), Bernard Bailleul (CNDP), Philippe Belorgey (INIST-CNRS), Charlotte Buresi (ministère de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie), Martine Comberousse (Coordinatrice scientifique du PNER), Bertrand Delcros (SNE, aujourd'hui Forum des droits sur l'internet), Anne Flesch (GESTE), Yves Gaubiac (avocat), Stéphane Gaultier (Editronics), Pierre Perez (ministère de l’Éducation nationale et ministère de la Recherche), Emmanuel Pierrat (avocat), Evelyne Pierre (ministère de la Culture), Sophie Sepetjan (BNF, service juridique), Emmanuel Tranquard (SACD), Chryssi Tsirogianni (GIP RENATER), Renaud de Vernejoul (CNRS Diffusion).

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Legeais (Faculté de droit de Poitiers), Philippe Chevet (chargé de mission du programme) et Marie Cornu (CNRS), membres du CECOJI (Centre d’étude sur la coopération juridique internationale, Poitiers-Paris).

La démarche de recherche a été la suivante : mener sur les sujets sensibles - dégagés dans le premier rapport - une recherche qui privilégie un dialogue avec les acteurs et qui mesure les incidences de chaque voie possible - de lege ferenda - sur le cadre général dans lequel elles s’inscrivent.

Partant de l’état du droit français (droit positif) sous toutes ses facettes - y

compris la question de son effectivité et les difficultés de son application - huit thématiques ont été retenues. L’étude de ces thématiques présente - pour chacune - un intérêt tant dans le cadre de la société de l’information que pour les besoins de l’enseignement et de la recherche. Toutefois, elles dépassent, aussi, le plus souvent, ces cadres spécifiques et soulèvent des questions touchant aux fondements des champs juridiques concernés. Deux de ces thèmes portent sur les créations de la société de l’information (le cadre juridique des bases de données, les produits multimédias), trois autres portent sur les conditions d’utilisation ou la logique d’accès (les exceptions à des fins de recherche et d’enseignement, le droit de prêt, la numérisation des revues scientifiques), deux autres ont pour objet de cerner la nature publique de l’information et des créations, et les incidences liées à la prise en compte de cette nature ou aux statuts des créateurs (les créations de fonctionnaires, les données publiques). Le dernier traite, enfin, de la protection des personnes quand les données créées et diffusées contiennent des informations nominatives.

La source des questionnements juridiques s’inscrivant, à la fois, dans un cadre institutionnel national et dans un espace virtuel supranational, une telle recherche se devait, encore plus que d’autres, d’intégrer des éléments de droit comparé, pour étudier comment ces questions avaient été - ou allaient être - traitées dans d’autres contextes normatifs. Une telle étude n’a de sens que si les comparaisons sont possibles et il fallait faire des choix. C’est pourquoi ont été privilégiées, en premier lieu, les expériences de quelques États membres de l’Union européenne ayant des systèmes juridiques voisins du nôtre (Belgique, Allemagne, Espagne) ou différents (comme le Royaume-Uni), confrontés comme la France à la transposition des directives. En second lieu, ont été pris en compte les pays de copyright de l’Amérique du Nord (États-Unis, Canada), dans lesquels la Société de l’information est depuis longtemps une réalité. Enfin, l’exemple suisse - pour certaines questions comme celle de la titularité sur les créations de fonctionnaires - méritait une attention particulière. Une enquête auprès de près de 25 correspondants étrangers a donc permis de faire émerger des pistes intéressantes et des exemples de réponses à des questionnements comparables à ceux posés en France. Ces comparaisons se sont avérées particulièrement utiles, sur le terrain du droit d’auteur, quand les

transpositions des textes européens laissent une possibilité pour prendre ou non en compte un encadrement adapté des pratiques et usages.

Troisième étape, sur la base des premiers résultats des études comparatives, il fallait ouvrir le débat et rendre compte aux acteurs concernés. C’est pourquoi ont été organisées en mars 2002 (avec le soutien de la Mission de la Recherche et de la Technologie du ministère de la Culture et de la Communication), des assisses internationales réunissant des partenaires français et étrangers ayant à la fois une expérience de terrain et une réflexion théorique.

Quel cadre juridique pour la création, l’accès, la diffusion, l’exploitation ou encore la protection des informations (et des oeuvres) numériques quand celles-ci sont créées, mises à disposition, diffusées, exploitées à des fins d’enseignement et de recherche ? Telle fut la question posée lors des deux journées de travail collectif 3. Les réponses ont porté sur les avantages et les

limites du cadre actuel, comme sur les incidences d’une possible adaptation. Bénéficiant des expériences menées dans d’autres pays, comme des témoignages sur les difficultés et les blocages ressentis dans le contexte juridique actuel, le débat a été aussi l’occasion de réfléchir sur le besoin de conserver la cohérence propre à chaque système juridique. En effet, cette cohérence ne risque-t-elle pas d’être remise en cause si le droit français intègre - telles quelles, sans les adapter - des règles opérationnelles dans un autre pays ? Ces assises ont enfin permis de restituer - aux participants - les premières grandes lignes des réflexions prospectives issues de la recherche en cours et d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur ces questions.

Aujourd’hui, quatrième étape au terme de la recherche, l’ouvrage sur les aspects juridiques a pour finalité de diffuser de façon beaucoup plus large les résultats des travaux entrepris.

Tout en restant un travail de juristes sur des questions juridiques, ses auteurs ont souhaité proposer plusieurs niveaux de lecture de ce travail.

S’adressant aux acteurs concernés, du monde de l’enseignement et de la recherche, ils voudraient inviter le lecteur à prendre connaissance des mécanismes juridiques, de leur fonction et de leur finalité. Le lecteur pourra ainsi - en connaissance de cause - entrer dans la logique de ces mécanismes et participer à leur mise en oeuvre dans le monde de l’enseignement et de la recherche.

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En plus des contributeurs au présent ouvrage (auteurs des études et correspondants français et étrangers), sont intervenus lors de ces journées : B. Helly (directeur de recherche au CNRS), J.-P. Dalbéra (chef de la Mission Recherche et Technologie du ministère de la Culture et de la communication), H.-J. Lucas (professeur à l’Universisté de Poitiers), B. Ory Lavollée (secrétaire général – Cour des comptes), F. Rebichon (professeur à l’Université de Lille III), C. Rhein (directrice de recherche au CNRS-LADYSS), P. Sirinelli (professeur à l’Université de Paris I).

Il s’agit aussi de sensibiliser les non-juristes à l’historique de ce cadre juridique et à son contexte dans une approche comparative. Comme le souligne Nathalie Mallet-Poujol, c’est à travers des zooms sur les points les plus délicats et un appel à la vigilance des personnes et entités concernées que peut se faire la sensibilisation juridique.

Au-delà et à côté de cette finalité pédagogique, l’ouvrage sur les aspects juridiques se veut aussi une lecture critique du droit positif et de ses capacités à appréhender et prendre en compte ou non le processus de la numérisation et des produits numériques. Les besoins de l’enseignement et la recherche présentent-t-ils une certaine spécificité ?

À partir de “ l’état des lieux ” de chacune des questions traitées, les études qui suivent comportent aussi une part d’analyse prospective. Comment adapter le droit commun à ces besoins spécifiques reconnus ?

L’ordre de présentation des questions étudiées ne doit pas être interprété comme créant une hiérarchie entre celles-ci. Une certaine logique a, cependant, présidé à leur organisation. Répondant aux demandes exprimées dans le cadre de la première étape du programme, à savoir : partir des “ objets de droit ” familiers pour les acteurs de la numérisation que sont les produits multimédias et les bases de données.

L’acception retenue par Antoine Latreille, pour les produits multimédias (il s’agit de “ toute création numérique interactive diffusée par réseaux ou sur support édité ”) est volontairement large pour embrasser toutes les situations existantes ou envisageables en matière d’éducation et de recherche. Cette transversalité permet de traiter de nombreuses règles juridiques non spécifiques qui sont susceptibles de s’appliquer.

Les bases de données sont, depuis longtemps, consultées et/ou produites dans l’enseignement et la recherche. Agnès Maffre-Baugé tire un bilan de la prise en compte par le droit français de ces vecteurs d’informations et de connaissance qui participent à la transmission et à la diffusion du savoir.

L’accès au savoir passe, traditionnellement, par les livres et leur mise à disposition dans les bibliothèques. Qui dit bibliothèques ne peut ignorer la question du droit de prêt, sensible en France. Celle-ci fait émerger trois logiques qui s’affrontent : la logique de la protection des auteurs (droit de décider de la destination de leurs œuvres), la logique du marché (ceux qui assurent la distribution et la diffusion), la logique de l’intérêt général et de la diffusion de la culture. Au-delà du support (papier ou numérique), la recherche d’un équilibre entre ces différentes logiques fait partie des défis que doivent relever les pouvoirs publics dans le monde de la recherche et de l’enseignement. C’est pourquoi Marie-Eugénie Laporte-Legeais a mis en perspective la question du droit de prêt dans un cadre plus large que celui du prêt des productions numérisées.

La philosophie de partage de la connaissance qui préside à l’enseignement et à la recherche peut-elle s’accommoder du système actuel du droit d’auteur qui repose sur une logique privative ? Telle est la question préalable que l’on pose le plus souvent quand on traite des exceptions au droit d’auteur à des fins d’enseignement et de recherche. Voulant sortir de l’impasse qui consiste à limiter l’analyse à une opposition entre deux logiques (les intérêts de la recherche et de l’enseignement, d’une part, et, d’autre part, les intérêts des auteurs) et consciente du décalage entre droit et pratique (par ignorance, par impossibilité ?), Valérie-Laure Benabou nous offre une lecture des cadres juridiques (actuels et à venir) qui dépasse l’alternative et permet de réfléchir sur l’opportunité de réconcilier principe et effectivité de la protection d’une part, liberté et responsabilité des utilisateurs d’autre part.

Aujourd’hui, la numérisation des revues scientifiques et leur diffusion via internet apparaissent - pour les auteurs (enseignants et chercheurs) ou encore les lecteurs - comme un moyen de répondre à la fois aux difficultés que rencontrent les modes de publication traditionnels (principalement économiques), au souci d’atteindre un nouveau public et à de nouvelles pratiques de recherches et d’écriture. Philippe Chevet nous montre comment de telles pratiques et initiatives doivent être accompagnées par une prise en compte et un aménagement des cadres juridiques existants. Quand les finalités d’enseignement ou de recherche sont en jeu, les auteurs comme les utilisateurs n’ont-ils pas intérêt à se placer sur le terrain des négociations contractuelles permettant aux uns et aux autres d’offrir une monnaie d’échange ? L’utilisateur est un futur auteur et réciproquement ! Le contrat n’est-il pas le moyen de reconnaître pour chacun tant ses droits que ses obligations et de responsabiliser les uns et les autres sur le respect des engagements pris ?

La collecte, l’utilisation et la diffusion de données nominatives pour des fins d’enseignement et de recherche ne peuvent se faire sans prendre en compte la protection de ces données personnelles au regard du traitement de l’information. Nathalie Mallet-Poujol nous fait prendre conscience des risques que représentent une utilisation et une diffusion incontrôlées. Elle rappelle les fondements qui justifient la défense de ce qui est considéré aujourd’hui comme un droit fondamental. La transposition de la directive européenne n’est-elle pas une occasion de sensibiliser le monde de l’enseignement et de la recherche sur les enjeux d’une régulation du traitement de l’information au regard de la protection de la vie privée ? Cette sensibilisation ne doit-elle pas être une priorité dans un contexte où le nouveau texte offre - pour la recherche - des aménagements adaptés en contrepartie de garanties appropriées ?

Les deux dernières questions traitent du statut public des données ou des auteurs. Bien qu’elles ne relèvent pas spécifiquement du monde du numérique,

elles s’inscrivent, ici, avec une particulière sensibilité, dans des problématiques déjà abordées entre droit privatif et intérêt général.

Quel est le statut des informations et données produites et diffusées dans le cadre de l’enseignement et la recherche publique ? Jean-Michel Bruguière nous montre comment celles-ci peuvent être qualifiées de données publiques et les conséquences s’attachant à cette qualification quand ces données représentent une richesse économique et un enjeu social.

Enfin, à propos du statut des auteurs agents-publics, Marie Cornu nous fait entrer dans le débat sur l’état du droit et les pratiques existantes. Là encore, selon l’expression du CSPLA (Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique) dans son rapport annuel 2001-2002, “ le mouvement de fond introduit par l’irrigation de l’administration par les nouvelles technologies de l’information et de la communication rend le moment propice à une réflexion de fond sur le régime applicable aux agents publics créateurs d’une oeuvre de l’esprit ” 4.

Chacune des parties de cet ouvrage s’est appuyée sur les réponses aux questionnaires, principalement des collègues étrangers mais aussi des acteurs français. La présentation de ces réponses n’a pas suivi le même régime d’un bout à l’autre de l’ouvrage. En fonction du contexte, du thème ou encore du besoin de précision (sur les exemples étrangers, par exemple), certaines de ces réponses se retrouvent dans le corps des différents chapitres comme des citations illustrant l’analyse comparative ou les pratiques. D’autres sont en notes ou en annexes 5. Tous ces développements participent à la mise en

perspective des orientations possibles des cadres juridiques de la numérisation pour l’enseignement et la recherche.