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6.1 Sur quelques outils, instruments : les exerciseurs

Qu’entend-t-on lorsque l’on parle de “ nouveaux outils pédagogiques ” ?

Dans le contexte numérique il y a tout d’abord les outils qui permettent la création proprement dite de documents hypermédias. Ce sont par exemple, les traitements de texte, les tableurs, les éditeurs HTML…, les logiciels graphiques, les logiciels “ hypertexte ” tel STORYSPACE, les programmes informatiques, élémentaires ou complexes. Ce sont ensuite les logiciels d’aide à la recherche documentaire et à la navigation, les logiciels de simulation, les tutoriels. Puis les logiciels permettant le travail “ collaboratif ”, les logiciels d’analyse des gros corpus, les logiciels cartographiques. Enfin tous les logiciels conçus pour des fonctions spécifiques et variant selon les disciplines et cadres théoriques. À ces

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Bruno Latour, É. Hermant (1998), Paris ville invisible, Paris, Éditions Les empêcheurs de penser en rond, La Découverte.

logiciels qui assurent des fonctionnalités essentielles rendant possible l’orientation et le travail dans l’espace-temps hypertextuel, selon les divers moments de la formation et de la recherche, s’ajoute d’autres types de matériels. Des CD-Rom aux documents numérisés interactifs sur le réseau Internet en passant par les livres sur ordinateur jusqu’aux portails pédagogiques, nous trouvons les ressources numériques structurées et les modèles d’apprentissage, et les modèles cognitifs dont elles sont l’expression et l’exprimé de manière tantôt explicite, tantôt implicite.

Ces matériaux présentent des caractéristiques organisationnelles, associatives, des capacités interactives très diverses. Ils intègrent des capacités logicielles très hétérogènes et de complexité variable. Possibilités de parcours et de navigation, ouvertes / fermées, possibilités de représentation et de mémorisation des usages et pratiques numériques plus ou moins sophistiquées, possibilités de simulation interactive ou non, possibilités de modélisation faible ou forte, possibilités de traitement des données… Une autre forme d’outils occupe une place importante, qui constitue aussi une zone de friction à partir de laquelle s’affrontent anciens et nouveaux acteurs de la pédagogie, ce sont les “ exerciseurs ”, c’est-à-dire “ les logiciels également appelés répétiteurs, logiciels parascolaires, ludo-éducatifs, jeux éducatifs, logiciels d’accompagnement ou de remédiation et qui sont utilisés dans l’enseignement primaire et secondaire ”. Sur la typologie des exerciseurs, voir Isabelle Meyer 2.

Ce type d’outils pose un certain nombre de problèmes et se trouve au centre de polémiques vives et ce pour plusieurs raisons. La principale vient de ce qu’il se situe à la jonction de problèmes liés à la crise de légitimité des instances pédagogiques héritées, des modèles hiérarchiques, descendants, peu négociables et au désir d’échapper à leur prégnance par une sortie de type techniciste. Il y a de ce point de vue, tout une fantasmatique qui est à l’œuvre et qui opère tant du côté de certains enseignés que de certains enseignants. À la suite des remises en cause des modèles autoritaires, la place des dimensions ludiques dans ces outils est devenue omniprésente : “ apprendre en s’amusant…”. Cette dimension cognitivo-ludique des exerciseurs multimédias, dimension souvent démagogique fondée sur des idéologies incertaines, “ s’inscrit dans un double contexte, le succès des jeux “ vidéo ” auprès des jeunes et la place qu’occupe le jeu dans les théories et les pratiques pédagogiques contemporaines ”. (J.P. Carrier) 3.

D’une manière générale, “ les exerciseurs multimédias sont doublement discrédités par les chercheurs ; d’abord, à cause de leurs liens avec la théorie comportementaliste (…) ensuite, à cause de leur lien avec l’édition privée qui,

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J.P. Carrier, I. Meyer, S. Pouts-Lajus, A. Tricot, Usages pédagogiques des exerciseurs multimédias, PNER, 2001

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depuis le début des années 80, exploite trop souvent l’inquiétude des familles… ” 4.

Toutefois “ la dimension ludique des exerciseurs multimédias ne correspond plus du tout à cette activité libre et spontanée de l’enfant dont bien des auteurs, psychologues ou psychanalystes, se sont accordés à reconnaître la valeur éducative en soi. Si bien des élèves ont, en les utilisant, plus le sentiment de jouer que de travailler, ou du moins y trouvent enfin une forme de travail agréable et plaisant qui se démarque par là du travail scolaire dans son ensemble, ce ne serait pas parce qu’ils y trouvent un moyen d’exprimer leur libre spontanéité et leur liberté créatrice, mais plutôt parce qu’ils y trouveraient l’occasion d’un nouveau rapport à l’acte d’apprendre, fondé pour une part sur le sentiment d’être plongé dans un contexte de simulation, dont la gratuité serait alors une des composantes, même si bien sûr, ce ne saurait être la seule, ce qu’il nous faudra analyser avec précision. En suivant cette perspective, il nous semble important de faire une distinction entre deux types de produits multimédias qui sont le plus souvent confondus, les exerciseurs d’un côté et les produits ludo-éducatifs de l’autre.

D’un point de vue commercial, ils n’ont ni le même positionnement marketing, ni le même public visé. Les exerciseurs, regroupés souvent sous l’appellation d’accompagnement scolaire, s’inscrivent ouvertement dans une perspective d’apprentissage scolaire, reprennent les programmes de l’école et bien souvent une pratique d’évaluation sommative digne d’une des pédagogies les plus traditionnelles. Par contre le ludo-éducatif , pour lequel est aussi utilisé parfois le terme d’éveil lorsqu’on s’adresse aux enfants d’âge de l’école maternelle, poursuit essentiellement des objectifs de développement de compétences transversales qui, sans être absentes de l’école élémentaire, seraient plus particulièrement le fond de commerce de l’école maternelle, comme en particulier le développement sensoriel ” . (…) “ Le multimédia ludo-éducatif serait alors une sorte d’incarnation moderne de la notion de jeu éducatif, définie par Brougére dans le cadre de la maternelle des années 1910 comme “support éducatif contrôlé”. ”. (…)

“ Si cette distinction est fondée, on pourrait en tirer la conclusion que la production actuelle de multimédia éducatif se trouve en quelque sorte en porte-à-faux avec l’organisation officielle du système scolaire français en cycles, organisation dont un des points forts est justement l’insistance mise sur la continuité entre maternelle (cycle 1 et début du cycle 2) et élémentaire (cycle 2 et 3), et donc la définition d’objectifs d’apprentissage dès le début de la petite section, définie comme premier niveau du “cycle des apprentissages premiers” ” 5. 4 idem 5 idem

“ D’un côté, le ludo-éducatif serait purement ludique, mais possèderait des vertus éducatives par la force même du jeu. De l’autre, l’accompagnement scolaire s’inscrirait dans une visée d’apprentissages scolaires, ce qui favoriserait la prétention de certains éditeurs de les introduire dans les classes, comme de nouvelles formes de manuels en somme, proposant aussi des occasions de travail à la maison ou de devoirs de vacances, et fonctionnant le plus souvent sur le modèle leçons suivies d’exercices d’application, ces derniers jouant alors un rôle de renforcement au sens béhavioriste du terme, l’accumulation répétitive occupant un rôle de premier plan et les évaluations se réduisant en bout de course au décompte d’un pourcentage de réussite ”.

“ Il n’en reste pas moins vrai, qu’une fois surmontée cette “dialectique” somme toute traditionnelle, la question se pose de l’évaluation des outils proposés, de leur articulation avec le monde complexe de l’apprentissage et de l’éducation, de leurs contenus et techniques, de l’appréhension des transformations profondes qui affectent les systèmes éducatifs tels qu’ils sont aujourd’hui.

Et ce d’autant plus qu’il a été montré que la montée en puissance de ces jeux dont la structure est parfois complexe, multi-niveaux, pouvait être à l’origine d’un développement spécifique de compétences intellectuelles et cognitives particulières concernant la représentation de l’espace, la représentation iconique ou la découverte par induction, abduction ”. (J.P Carrier, J. Perriault). On sait toute l’importance qu’ont les transformations des percepts et des affects portés par ces dispositifs quant à l’adoption et l’exploration de nouveaux modes de construction cognitive. Agir dans des espaces multi- dimensionnels, à des niveaux d’échelle variés, dans des espaces collectifs en réseau, quand bien même ces derniers seraient porteurs d’une polémologie douteuse, s’orienter au sein de systèmes de relations plus ou moins complexes, maîtriser des dispositifs de simulation évolués et la gestion de points de vue différents, tout cela constitue à n’en pas douter, un nouveau socle qui doit être pris en compte, comme création de nouvelles conditions à la maîtrise d’une nouvelle alliance, processuelle, affects, percepts, concepts.

L’évaluation des outils doit donc se faire des deux côtés. Premièrement par rapport aux contenus et modèles traditionnels et deuxièmement par rapport aux possibilités offertes dès à présent, par la plasticité numérique et les réseaux. Quant à l’articulation, sauf à supposer que l’on va rapidement basculer dans le tout numérique, si cela a un sens, entre monde hérité et monde numérique, il convient d’en saisir toute la complexité, d’en mesurer, non pas seulement et peut-être surtout pas, en termes de substitution mais en termes de complémentarité et co-détermination évolutive, les rapports. Par exemple comment concevoir l’évolution et le contenu des manuels dans leur rapport aux cours qui sont progressivement mis en ligne, et comment s’inspirer des expériences antérieures comme celle de l’introduction des calculatrices ? Ainsi, Éric Bruillard attire l’attention, à la fois sur la nécessité de distinguer entre outils et instruments, d’en penser les rapports et sur la nécessité d’étudier les

nouvelles situations concrètes, discipline par discipline et sur la base d’approches comparatives à l’intérieur de l’Union européenne. (Cas de la Norvège et de la Suède).

Les rapports sont donc compliqués à analyser, évaluer, qu’il s’agisse, des modes d’écriture-lecture, des capacités interprétatives, associatives, des capacités à naviguer de manière critique dans les modèles théoriques, pédagogiques, des modes de mémorisation, des rapports de vitesse et de lenteur portés par les processus cognitifs mis en jeu.

6.2 - Symposium Technologies informatiques en éducation