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2.1 Mémoires, écritures distribuées et normalisation

Dans cette évolution, les processus de normalisation occupent une place majeure, dès lors que la “ nouvelle infrastructure informationnelle est incorporée et totalement immanente aux nouveaux processus de production 10. Ces processus de normalisation ont comme points de visée, les dimensions socio-cognitives et politiques des activités intellectuelles en général. Ils fournissent un certain nombre de repères, principalement autour et à partir de la notion de document numérique “ textuel ”, dédiés à la relance du débat

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T. Berners Lee (1989, 1990), “ Information management : A proposal ”, CERN.

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T. Berners Lee (1989, 1990), “ Information management : A proposal ”, CERN.

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critique sur les nouvelles formes d’intelligences collectives, les pratiques qui les habitent.

Plus particulièrement ils mettent en évidence, au-delà de l’évolution documentaire stricto sensu, les effets de formatage et de performation que l’utilisation des nouvelles normes du document numérique textuel engendre et ce au sein de multiples communautés.

Dans les domaines de la formation, de la recherche, de la diffusion, l’appropriation des univers socio-cognitifs émergents est relativement avancée. Ces communautés, en s’appuyant sur les nouvelles normes, ont développé et continuent de développer de nouveaux outils, de nouvelles mémoires, ont exploité et continuent d’exploiter diverses dimensions liées à l’hypertextualité numérique, aux modes de représentations émergents des caractères de plus en plus distribués, coopératifs, différenciés des dispositifs de production et de circulation des savoirs.

Il apparaît de plus en plus nettement à présent que les communautés d’œuvres, de chercheurs, tentent d’exploiter plus fortement que par le passé, les multiples “ incomplétudes en procès de production ” dont elles sont l’expression et l’exprimé. Et ce en particulier, au moyen de la prise en compte des nouvelles traces (nœuds, liens, hyperliens...) exprimant de manière plus précise et complète que par le passé, la vie des univers de référence, de co-production, répétition, altération-création, dissémination des œuvres, travaux divers... Mais aussi au moyen des nouvelles pratiques cartographes permettant la mise en visibilité des modes collectifs de co-émergence des activités, des productions de telle ou telle communauté. Au cœur de ces nouvelles pratiques, les possibilités offertes par les normes et standards émergents affectent ainsi l’évolution de l’édition électronique scientifique, des bases de connaissances en réseaux.

De plus, ces normes ouvrent des possibilités d’exploitation renouvelées de la “ plasticité numérique ”, et ce de manière toujours plus singulière, en favorisant la différenciation des pratiques d’écritures(s)-lecture(s), des “ éthologies ” socio-cognitives.

Le débat sur les normes émergentes du document numérique est un débat complexe et ouvert. Dans l’histoire de l’écriture, il est sinon un des plus important, en tout cas un des plus sophistiqué quant aux politiques de la mémoire et de l’écriture qu’il met en jeu.

2.1.1 - Le procès de normalisation dans le domaine numérique

Ces processus de normalisation, répartis sur près d’un demi-siècle à présent, ont été engendrés par un ensemble d’acteurs, de réseaux d’acteurs hétérogènes, œuvrant aux marges ou sur des fronts de recherche ayant pour but

l’amélioration des intelligences collectives, les capacités innovantes, la maîtrise économique et politique des sociétés complexes. Ces marges, ces fronts ont consisté et consistent toujours, à partir du procès de numérisation, à définir des modes d’écritures rendant possible l’exploitation intelligente des ressources documentaires en croissance exponentielle dès avant la Seconde Guerre mondiale et à développer la maîtrise autant que faire se peut, des processus de fragmentation-différenciation affectant les multiples sphères de production des savoirs, d’informations nécessaires à la bonne marche de sociétés, d’organismes de plus en plus complexes.

Les caractéristiques du document numérique, sur lesquelles nous allons revenir, ont généré et génèrent un grand nombre de problèmes. Ces problèmes concernent tous les aspects de la vie des documents, c’est-à-dire de leur production, de leur circulation, de leur diffusion, de leur conservation, de leur protection. Les systèmes qui rendent possible la réalisation du plus grand nombre des modes de chacune de ces fonctions reposent entre autres sur la création de standards, de normes qui correspondent donc à des objectifs, des intérêts extrêmement variés et parfois variables.

Ces objectifs et intérêts peuvent être conflictuels voire contradictoires selon par exemple qu’ils visent le partage le plus large possible des ressources, ou bien la protection maximale d’un certain nombre de ressources, selon qu’ils visent la production de savoirs complexes dans et par des espaces socio- cognitifs eux-mêmes complexes, ou bien l’accès simple et largement partagé à un type particulier, limité de ressources. Les dispositifs numériques, hypertextuels, en réseau étant composés d’un emboîtement complexe d’écritures, de programmes, la définition de nouvelles normes et la manière dont elles vont s’affronter, s’imposer, sont affaire complexe. De plus, chaque norme spécifique, bien qu’opérant, au sein d’un système d’emboîtement, d’une combinatoire de systèmes de traduction et d’interopérabilité complexes, à des places-niveaux-strates spécifiques, n’en produit pas moins des effets de création-altération à des niveaux supérieurs. Le protocole HTTP, la norme HTML par exemple, venant à la suite de normes antérieures (ces dernières en étant pour une large part, conditions de possibilité) comme des axiomes supplémentaires dans le vaste système d’écritures, des normes héritées, créés des conditions de production et de créativité nouvelles en appelant à son tour l’émergence de nouvelles normes, selon des rythmes et des temporalités divers. À partir donc des normes fondamentales (TCP / IP, HTTP, HTML, XML, JAVA…), les problèmes posés par l’appropriation cognitive, socio- économique, politique, des documents numériques en croissance rapide, prennent forme et consistance, ou bien si l’on préfère, s’actualisent à travers l’invention et la définition de nouveaux modes d’échange, de nouvelles capacités critiques.

Ces inventions-définitions répondent à des problèmes qui répondent eux- mêmes à des séries spécifiques de conditions portées par des ensembles d’actants plus ou moins hybrides.

Ce processus de standardisation/normalisation est complexe. Il met en connexion des acteurs hétérogènes, des disciplines et des intérêts divers.

Pour Ghislaine Chartron, “ les technologies de l’information et de la communication ont brouillé les frontières alors existantes entre des métiers, des acteurs économiques et de fait entre les processus normatifs associés. L’intersectorialité domine les enjeux intriqués de la numérisation, du multimédia, des fournisseurs de contenu, des services en ligne... Prenons l’exemple des articles scientifiques accessibles sur Internet : les normes du multimédia, les normes documentaires, les normes liées au commerce électronique y sont convoquées. Alors que le support-papier donnait aux normes documentaires une certaine autonomie, le support électronique en réseau conduit le monde des bibliothèques et de la documentation, comme beaucoup d’autres secteurs, à une forte convergence avec le secteur transverse des technologies ” 11.

Ceci n’a pas été sans influence sur “ les institutions de normalisation ont subi de plein fouet cette complexité : réorganisation, coopération entre groupes de travail, nouveau comité stratégique d’orientation... ”.

Dans ce contexte, les intérêts économiques et les intérêts documentaires liés à la pédagogie et à la recherche sont à mettre en harmonie. Les débats juridiques prennent là toutes leurs dimensions., “ les éditeurs et les producteurs (ayant) notamment la ferme volonté de faire appliquer et respecter la question juridique et économique des droits attachés aux documents dans les processus normatifs d’identification et de description.

La traçabilité qu’offre l’électronique leur permettrait de gérer au mieux les revenus associés et la vente directe au consommateur (pay per view) ” 12.