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Michel Boiron, chef de clinique dans le service de Jean Bernard depuis 1954, prit la tête du Département d'hématologie expérimentale de l'IRLMS. Créé en 1961, ce laboratoire commença à fonctionner à la fin de l'année suivante. Son objectif initial était la démonstration de l'étiologie virale de la leucémie humaine. Il associa deux types de travaux : la recherche de virus leucémogènes potentiels chez les patients leucémiques et l'étude de virus leucémiques animaux. Concernant ces derniers, il s'agissait de mettre au point des techniques de détection et de neutralisation de ces virus, qui seraient ensuite appliquées aux éventuels virus leucémiques humains.

L'intitulé du laboratoire peut aujourd'hui surprendre, d'une part, par l'absence des mots « virus » ou « virologie », d'autre part, parce que les autres laboratoires de l'institut pratiquaient également des expérimentations dans le domaine hématologique et relevaient donc aussi de l'hématologie expérimentale. On peut difficilement invoquer une certaine frilosité vis à vis de l'hypothèse virale du cancer. En 1964, Jean Bernard décrivait les virus comme les responsables les plus probables des cancers et leucémies humaines : « Parmi les facteurs capables de cancériser la cellule, les virus tiennent une place toute particulière : ils associent ou plus souvent « intègrent » au génome cellulaire leur propre acide nucléique ; ils sont actifs in vitro en culture de tissus ; ils représentent les agents de nombreuses leucémies et cancers animaux ; il paraît logique de les incriminer à l'origine de certaines leucémies et cancers humains »1. Plus simplement, dans l'intitulé du laboratoire, l'adjectif « expérimental » avait le même sens que dans l'expression « médecine expérimentale » utilisée au siècle précédent par Claude Bernard pour désigner le recours à l'expérimentation animale. Le laboratoire d'hématologie expérimentale était en effet le principal sinon le seul de l'institut à utiliser des animaux, les autres travaillant sur des produits humains.

Avant d'entrer dans le détail des travaux du Département d'hématologie expérimentale, voyons où en étaient les travaux sur l'étiologie virale du cancer et de la leucémie en 1960.

Préambule : virus, cancer et leucémie (1900-1960)

Une étiologie virale n'est envisageable que chez les oiseaux (1900-1950)

A la fin du 19ième siècle, l'étude anatomique et clinique de la leucémie avait conduit à rapprocher cette maladie des sarcomes, cancers du tissu conjonctif. Mais la description, à cette époque, des premiers cas humains de leucémie aiguë eut pour conséquence le développement d'une hypothèse étiologique infectieuse de la leucémie1. Celle-ci était suggérée par l'évolution parfois très rapide de la maladie et la présence fréquente de microbes dans les lésions2. Cette hypothèse fut renforcée par la description de foyers géographiques de leucémies ; le premier cas, comprenant 4 adultes souffrant de leucémie aiguë myéloïde, fut décrit en 1923 près de l'Hôpital Saint-Louis à Paris3.

Le répertoire des autres causes possibles de la leucémie était alors le même que pour le cancer, associant, en fait, toutes les causes connues de maladie : hérédité, infection, traumatismes, agents toxiques ou même émotions. En 1900, Georges Hayem, dans ses leçons de clinique des maladies du sang, données à l'Hôpital Saint-Antoine, résumait ainsi la situation : « Dans son ensemble la maladie se comporte comme une affection néoplasique de mauvaise nature. On tend, cependant, à en faire une maladie infectieuse et la forme aiguë, récemment reconnue et étudiée, semble donner un certain poids à cette opinion. (...) Enfin, il est possible que l'état leucémique du sang soit simplement un syndrome relevant de processus divers, notamment des processus toxi-infectieux »4.

Parmi les hématologistes, la théorie infectieuse de la leucémie fut notamment défendue par Prosper-Emile Weil et Paul Chevallier. En 1936, Jean Bernard écrivait que « de nombreux auteurs - quelque conception qu'ils aient des relations des leucémies et des sarcomes - admett(ai)ent la nature infectieuse des leucémies »5. Mais au cours des années 1930, cette hypothèse étiologique perdit de son importance. De nouveaux faits cliniques et expérimentaux valurent à la théorie de la nature néoplasique des leucémies un regain de faveur. Or, nombreux étaient les spécialistes qui, contrairement à Jean Bernard, tenaient le cancer et l'infection pour deux notions incompatibles.

Le principal point faible de l'hypothèse infectieuse résidait dans l'absence d'arguments expérimentaux en sa faveur. En effet, la mise en culture de cellules leucémiques n'avait pas permis d'isoler un micro-organisme particulier. Jusqu'en 1908, les chercheurs n'eurent à leur disposition aucun agent potentiel de la leucémie à soumettre à l'épreuve du postulat de Koch. Cette année-là, Wilhelm Ellermann (1871-1924) et Oluf Bang (1881-1917), de l'Ecole Royale Vétérinaire de Copenhague, montrèrent que l'érythro-leucémie aviaire pouvait être transmise entre poulets par l'injection d'extraits acellulaires contenant un micro-organisme ultra-filtrant, autrement dit un virus selon la terminologie actuelle. Ils avaient utilisé la technique de filtration-inoculation mise au point par les bactériologistes, à la fin du siècle précédent, pour caractériser les micro-organismes pathogènes invisibles au microscope. Les broyats de cellules étaient déposés sur des filtres suffisamment fins pour retenir les bactéries. L'agent pathogène ainsi filtré ne pouvait être une toxine parce que l'effet de l'extrait ne s'amenuisait pas au cours des passages dans des animaux successifs, ce qui signifiait qu'il s'y reproduisait6.

L'expérience de Wilhelm Ellerman et d'Oluf Bang fut reproduite en 1933 par Jacob Furth, à la faculté de médecine de l'Université Cornell à New York : il transmit la leucémie

1 Piller G.J., Leukaemia - A brief historical review from ancient times to 1950, Brit. J. Haemat., 112 : 282-292, 2001.

2 Engelbreth-Holm J., Spontaneous and experimental leukaemia in animals, trad. C. Heel, Oliver and Boyd, London, 1942, p. 195.

3 Piller G.J., Leukaemia - A brief historical review from ancient times to 1950, Brit. J. Haemat., 112 : 282-292, 2001.

4 Hayem G., Leçons sur les maladies du sang, Masson, Paris, 1900, p. 506.

5 Bernard J., Polyglobulies et leucémie provoquées par des injections intramédullaires de goudron, Thèse de médecine, G. Doin, Paris, 1936, p. 159.

6 Ellermann V., Bang O., Experimentelle Leukämie bei Hühnern, Centralbl. F. Bakt., Abt. I, 46 : 595-609, 1908 cité par Gross L., Oncogenic viruses, Pergamon Press, London, 1970, p. 10.

lymphoïde ou « lymphomatose viscérale » du poulet par des filtrats acellulaires1. Par contre, toutes les tentatives effectuées chez les mammifères se soldèrent par des échecs2. S'installa alors une distinction entre les leucémies aviaires, que l'on attribuait à des virus, et les leucémies des mammifères dont l'étiologie demeurait inconnue. De ce fait, la leucémogénèse virale intéressait surtout les vétérinaires, et éventuellement les bactériologistes, mais peu les hématologistes.

Parallèlement, se forgea de la même façon une opposition entre les cancers des oiseaux et les cancers des mammifères. En 1911, Peyton Rous, qui travaillait au Rockefeller Institute à New York, réalisa une expérience similaire à celle d'Oluf Bang et Wilhelm Ellerman avec un sarcome de la poule3. Il s'agissait du premier cas de transmission d'une tumeur cancéreuse par un virus. En 1932, Richard Shope, également chercheur au Rockefeller Institute, mit en évidence un second agent filtrant inducteur de tumeur, cette fois chez un mammifère. Il parvint à transmettre le papillome à des lapins domestiques en leur injectant des extraits filtrés de tumeurs prélevées sur des lapins sauvages4. Mais ces extraits n'induisaient pas toujours de tumeurs et celles-ci n'étaient pas toujours cancéreuses. En outre, le délai entre l'inoculation et l'apparition de la maladie était de plusieurs mois5. Ces éléments faisaient douter de l'existence d'une relation de cause à effet entre l'injection de virus et l'apparition d'un cancer.

Jusqu'au milieu des années 1950, la majorité des hématologistes et des cancérologistes reconnurent une origine virale aux leucémies et aux cancers aviaires mais jugèrent cette cause peu probable pour les affections malignes des mammifères. Non seulement, les nombreuses tentatives de transmission de tumeurs par des extraits acellulaires avaient échoué chez le rat et la souris, mais d'autres arguments faisaient apparaître la théorie virale du cancer comme purement spéculative aux yeux de la majorité des spécialistes. Tout d'abord, la maladie était connue depuis longtemps dans les hôpitaux et les animaleries sans jamais s'être révélée contagieuse, et sans que l'on observe de processus inflammatoire au niveau des lésions, autrement dit elle ne ressemblait pas aux autres maladies virales. Ensuite, diverses observations et expériences montraient que le cancer pouvait être provoqué par des facteurs physiques, comme les radiations, et chimiques, comme le goudron. Enfin, des études d'incidence familiale et les recherches menées sur des souris consanguines avaient révélé une susceptibilité génétique à la maladie. Les trois exemples suivants témoignent de l'existence d'une distinction, plus ou moins marquée selon les auteurs entre, d'une part, les leucémies et les cancers des oiseaux et, d'autre part, les leucémies et cancers des mammifères.

Ainsi, en 1937, Jean Verne, responsable des cultures de cellules à l'Institut du cancer de Villejuif, distinguait le sarcome de Rous, dû à un virus, de ce qu'il nommait les sarcomes « ordinaires » et pour lesquels il citait en exemple des sarcomes de souris, de rat, de cobaye et des sarcomes humains : « Il est certain qu'il faut établir une différence nette entre les tumeurs dont le sarcome de Rous est le type et les autres cancers. Le sarcome de Rous est nettement dû à un virus filtrant, c'est un sarcome infectieux. Le virus de Rous privé de tout élément cellulaire détermine la transformation cancéreuse d'éléments conjonctifs en culture et spécialement de monocytes. Il se comporte à ce point de vue comme les autres virus »6.

1 Gross L., Oncogenic viruses, Pergamon Press, London, 1970, p. 11.

2 Wintrobe M., Hematology, the blossoming of a science, Lea et Febiger, Philadelphia, 1985, p. 485.

3 Rous P., Transmission of a malignant new growth by means of a cell-free filtrate, J. Am. Med. Ass., 56 : 198, 1911.

4 Shope R.E, A filtrable virus causing tumor-like condition in rabbits and its relationship to virus myxomatosum, J. Exp. Med., 56 : 803-822, 1932.

5 Creager A., Gaudillière J.-P., « Experimental arrangements and technologies of visualisation : cancer as a viral epidemic », in Gaudillière J.-P., Löwy I., eds., Heredity and infection, Routledge, Londres, 2000, p. 208-212. 6 Verne J., La vie cellulaire hors de l'organisme, la culture des tissus, Doin, Paris, 1937, p. 182.

Trois ans plus tard, Julius Engelbreth-Holm (1904-1961), directeur du laboratoire de recherches de la Ligue contre le cancer danoise, écrivait que l'agent causal des leucémies et des sarcomes était un virus chez les Oiseaux et demeurait un mystère chez les Mammifères, mais il soulignait la communauté de nature de l'ensemble de ces maladies : « La différence entre les leucémies myéloïdes aviaires et les leucémies des mammifères, à savoir la présence d'un virus chez les uns et son absence chez les autres, est la même que celle qui existe entre les sarcomes aviaires viraux et les sarcomes des mammifères de même type histologique. Nous ne savons pas encore à quel point cette différence est fondamentale. (...) De plus en plus de chercheurs semblent considérer que les virus mis en évidence dans les tumeurs d'origine mésenchymateuse ne les séparent pas catégoriquement de leurs équivalents chez les mammifères, cependant cette question ne peut être considérée comme résolue. ». Au cours des décennies précédentes, les nombreux travaux portant sur les leucémies et les cancers des animaux et des hommes avaient en effet conduit à rassembler ces affections sur la base des caractéristiques cytologiques des cellules impliquées et de l'association fréquente, spontanée ou provoquée expérimentalement, de leucémies et de tumeurs malignes1.

Enfin, en 1946, l'hématologiste du Collège de France Justin Jolly (1870-1953) présentait la leucémie des poules comme étant due à un virus mais n'admettait pas qu'un micro-organisme puisse être à l'origine d'un cancer ou d'une leucémie de mammifère : « On ne connaît pas la cause des leucémies. On a observé, chez les animaux, des maladies de ce genre, et en particulier la leucémie des poules qui a tous les caractères d'une maladie infectieuse. Les travaux d'Ellermann et Bang ont montré qu'elle était due à un ultra-virus. Mais les leucémies qu'on observe chez les mammifères ne semblent pas dues à un virus filtrant ; le filtrat est inactif et la maladie ne peut être transmise que par l'inoculation de cellules vivantes. On a même pu provoquer des leucémies chez les petits rongeurs avec des carbures synthétiques. Les observations et les expériences qui ont été faites sur les leucémies de l'homme et des mammifères tendent donc plutôt à rapprocher ces maladies des tumeurs malignes ; elles seraient des cancers particuliers des tissus hématopoïétiques ; c'est l'idée qu'exprime le terme de leucosarcomatose par lequel on les désigne souvent aujourd'hui. »2.

Cependant, quelques auteurs, rares avant la seconde guerre mondiale, voyaient en l'étiologie virale du cancer un phénomène général. Tel était le cas, aux Etats-Unis, de l'équipe de Peyton Rous et, en France, de Charles Oberling (1895-1960) et de ses collaborateurs à l'Institut du Cancer de Villejuif. En 1941, Peyton Rous proposa une théorie virale du cancer, selon laquelle tous les organismes hébergeaient des « virus masqués », héritables, inoffensifs donc non repérables mais qui, soumis à l'action d'un carcinogène, pouvaient muter et rendre les cellules auxquelles ils étaient associés cancéreuses3. Six ans plus tard, Maurice Guérin, de l'Institut du cancer, affirmait que des virus étaient impliqués dans tous les cancers humains et animaux : « la seule différence entre les leucémies ou les tumeurs de l'oiseau et celles des mammifères, c'est que, chez le premier, l'agent déterminant peut être isolé de la cellule sous forme de virus, tandis que, chez les seconds, il est intimement lié à la cellule leucémique ou tumorale et ne peut en être séparé par filtration. »4.

1 Engelbreth-Holm J., Spontaneous and experimental leukaemia in animals, trad. C. Heel, Oliver and Boyd, London, 1942, p. 27-28.

2 Jolly J., Le sang dans la vie de l'organisme, Flammarion, Paris, 1946, p. 222.

3 Creager A., Gaudillière J.-P., « Experimental arrangements and technologies of visualisation : cancer as a viral epidemic », in Gaudillière J.-P., Löwy I., eds., Heredity and infection, Routledge, Londres, 2000, p. 213.

4 Guérin M., Recherches expérimentales sur les leucémies et les tumeurs du système réticulo-endothélial, Rev. Hématol., 2 (1) : p.13-36, 1947, p.34.

L'hypothèse virale gagne les mammifères (1950-1960)

A partir de 1950 et en quelques années seulement, les virus des leucémies et des cancers devinrent l'un des principaux axes de la recherche cancérologique. Raymond Latarjet, directeur du Laboratoire de biologie de l'Institut du Radium, en faisait le constat en 1957 : « Si l'on juge de l'actualité d'un problème scientifique, par l'attraction qu'il exerce sur les jeunes chercheurs, et même sur les chercheurs plus âgés qu'il détourne de leur voie antérieure, ou par le nombre des réunions et publications qui lui sont consacrées, alors le problème de l'étiologie virale de certains cancers est assurément d'actualité. Parmi les néoplasies expérimentales utilisées dans ces recherches, la leucémie lymphoïde de la souris occupe une place de plus en plus importante. »1.

Trois types d'événements favorisèrent ces recherches. Tout d'abord, la mise en évidence de virus leucémogènes chez la souris par la méthode d'inoculation ouvrit la voie à la découverte de nombreux virus cancérigènes chez les mammifères. Ensuite, la virologie bénéficia de nouvelles techniques physico-chimiques, mises au point au cours des années 1930 et 1940. Elles permirent non seulement de connaître la taille, la masse, la forme et même la structure interne des virions, mais également de démontrer leur rôle étiologique. Enfin, les microbiologistes travaillant sur l'infection des bactéries par les bactériophages formulèrent un nouveau concept sur les relations entre virus et cellules, la lysogénie, qui rendait bien mieux compte du comportement des virus leucémogènes que le concept « classique » de virus.

Indépendamment de ces faits, la piste virale était séduisante parce qu'elle laissait espérer la mise au point rapide d'une thérapeutique anticancéreuse efficace et inoffensive : un vaccin.

La mise en évidence de virus leucémogènes murins par inoculation au nouveau-né

En 1950, Ludwik Gross, du Veterans Administration Hospital à New York, réussit à transmettre une leucémie à des souris de la souche C3H ne présentant pas de leucémies spontanées, en injectant à des nouveaux-nés des extraits d'organes de souris de la souche Ak à fort taux de leucémie spontanée2. L'idée d'utiliser des souriceaux nouveaux-nés lui vint de Gilbert Dalldorf, du Département de la santé de l'Etat de New York à Albany, qui lors d'une conférence à laquelle Ludwik Gross assistait, déclara que l'injection du virus Coxsackie ne provoquait une paralysie chez la souris que si elle avait été pratiquée moins de 48 heures après la naissance. L'expérience de Ludwik Gross semblait plus intéressante que celle de Richard Shope puisque le lien entre inoculation et cancer était direct : les souriceaux développaient une leucémie au bout de 15 jours. Cependant, il n'avait pas inoculé un ultra- filtrat mais des cellules. Rien ne permettait donc d'affirmer qu'un virus était impliqué. Ludwik Gross reprit ses manipulations avec des extraits acellulaires. Au bout de 10 à 18 mois, les souris inoculées étaient assez nombreuses à présenter une leucémie pour que les résultats soient significatifs. Ils furent publiés en 19533.

Ludwik Gross reçut quelques encouragements mais la plupart des cancérologistes ne prirent pas son travail au sérieux, d'autant moins que les tentatives de reproduction de ses expériences, menées au National Cancer Institute (Bethesda, Washington D.C.), à l'Université

1 Latarjet R., Leucémie de la souris et virus. La récolte de 1956, Rev. Hémat., 12 (1) : 7-10, 1957.

2 Gross L., Susceptibility of newborn mice of an otherwise apparently « resistant » strain to inoculation with

leukemia, Proc. Soc. Exp. Biol. Med., 73 : 26-248, 1950.

de Columbia (New York) et au Jackson Memorial Laboratory (Bar Harbor, Maine), échouèrent : les inoculations aux souriceaux ne changaient que marginalement l'incidence des leucémies. Ludwik Gross ne s'en étonna pas parce que sur les 80 extraits qu'il avait préparés, il n'avait pu en transmettre que deux de manière stable. L'un des deux étant très actif et supportant le transport, congelé à -70°C, il s'attacha à convaincre ses collègues en leur fournissant souris, filtres et virus1. Ces résultats furent confirmés à partir de 1955-1956 par Sarah Stewart, du National Cancer Institute, George Woolley, du Sloan-Kettering Institute à New York, et Jacob Furth, le père de la lignée Ak, au Oak Ridge National Laboratory dans le Tennessee2.

La technique d'inoculation au nouveau-né permit au cours des années 1950 de montrer l'existence de nombreux autres virus leucémogènes chez les mammifères et en particulier chez la souris. En 1955, Arnold Graffi et ses collaborateurs, de l'Institut de recherches médicales et biologiques de l'Académie allemande des sciences à Berlin, isolèrent un virus leucémogène à partir de tumeurs transplantables non leucémiques3. L'année suivante, Charlotte Friend, au Sloan-Kettering Institute, mit en évidence un virus provoquant des érythroleucémies dans des tumeurs cancéreuses transmises par greffe chez les souris de la souche Swiss4. En 1957, l'équipe de S. Schwartz, au Hektoen Institute de Chicago, parvint à extraire un virus à partir de leucémies spontanées de la souris Swiss5. Deux ans plus tard, John Moloney, au National Cancer Institute, isola d'un sarcome un nouveau virus leucémogène6. Enfin, toujours en 1959, deux virus furent extraits de radioleucémies : le virus de Henry Kaplan, chercheur à l'Université de Stanford en Californie7, et le « virus de passage X » de Ludwik Gross8.

Les nouveaux outils d'étude des virus

De la fin du 19ième siècle au deuxième quart du 20ième siècle, les deux seules techniques disponibles pour l'étude des virus étaient l'inoculation et la filtration. L'inoculation à des sujets appartenant à une espèce sensible permettait de déceler l'existence d'un virus dans des sécrétions, des humeurs ou des tissus. C'était aussi une méthode de dosage basée sur l'existence d'une quantité minimale de virus, ou plutôt d'une dilution maximale des extraits au delà de laquelle l'infection ne s'établissait plus de façon régulière. Elle indiquait en outre que