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Le travail du géographe Bernard Rouleau : comprendre la morphologie du réseau viaire parisien

1.1.5 Les spécificités du cas parisien

1.1.5.3 Le travail du géographe Bernard Rouleau : comprendre la morphologie du réseau viaire parisien

Bernard Rouleau (1931-2011) a enseigné la géographie à l’Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne. En 1967, il publie l’ouvrage Le tracé des rues de Paris, formation, typologie, fonction, issu de son travail de Thèse, dans lequel il étudie le réseau viaire parisien.

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En tant que géographe, sa volonté première est de comprendre la structure actuelle des formes urbaines. Or il pense que ces formes actuelles, les rues en l’occurrence, ne peuvent s’expliquer qu’en fonction du « réseau antérieur qui leur a servi de canevas » (Rouleau, 1967, 13). Cette dernière idée l’amène à entreprendre une étude générale de la formation des rues sur le très long terme en remontant de proche en proche aux origines de Paris afin de comprendre l’état antérieur de chacun des réseaux viaires qui se sont succédés dans le temps (Rouleau, 1967, 13). Cette grande attention portée aux faits d’héritages fonde l’originalité de la démarche de Bernard Rouleau.

Tout au long de son travail, l’auteur recherche les informations qui se rapportent « à la formation d’une voie de passage, aux étapes de son urbanisation, pour expliquer ou servir de matériau à l’explication de sa structure actuelle » (Rouleau, 1967, 13). Ceci l’amène à ne pas prendre en compte les informations touchant à la formation des voies disparues, puisqu’elles ne sont pas en mesure selon lui de documenter directement le réseau viaire actuel (Rouleau, 1967, 13).

Pour ce travail, Bernard Rouleau utilise les sources écrites et archéologiques de seconde main, par la médiation des ouvrages déjà évoqués (Pachtère, 1912 ; Duval, 1961 ; Roblin, 1971), ainsi que des documents cartographiques. Il tente de brosser les grandes lignes du réseau viaire antérieures à l’implantation romaine, puis de donner ses interprétations quant aux réseaux antiques, médiévaux. Enfin, les sources cartographiques lui permettent de comprendre les réseaux modernes et contemporains auxquels il consacre la majeure partie de son travail.

Dans les premières parties de son ouvrage, étant donnée l’absence de sources cartographiques ou écrites (les rôles de taille par exemple), Bernard Rouleau prête une grande attention aux informations fournies par la géographie physique (contexte topographique et hydrographique du site de Paris). Il est très dépendant des sources archéologiques, dont il fait une synthèse. Certaines de ses interprétations morphologiques permettent notamment de documenter, et c’est suffisamment rare pour être signalé, la période de la fin du Haut Moyen Âge.

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Ces interprétations morphologiques sont fondées sur plusieurs idées. Tout d’abord, Bernard Rouleau prête une grande attention à l’évolution du contexte hydrologique qu’il considère comme déterminant pour comprendre les premières morphologies urbaines : les résorptions des marécages, naturelles ou par action de l’homme ainsi que la modification probable du niveau de base des eaux (Rouleau, 1967, 41). Ainsi, il voit dans le tracé des rues des Anglais, Domat et des Trois-portes le témoignage du retrait ou de l’assainissement des marais en bord de fleuve (Rouleau, 1967, 43).

Pour comprendre la structuration viaire du Haut Moyen Âge, l’auteur s’intéresse également aux fondations ecclésiastiques. Ainsi, il explique le caractère non rectiligne de la rue Galande (à laquelle il attribue une origine antique) par la déformation induite par les empiétements de l’enclos constitué autour de l’église Saint-Julien-le-Pauvre (Rouleau, 1967, 43). Par ailleurs, il pense par exemple que les rues Jacob, de l’Echaudé, Gozlin et Saint-Benoît sont des chemins de bordure du bourrelet d’inondation sur laquelle a été installée la basilique Saint-Vincent (futur abbaye Saint- Germain-des-Prés). La rue Saint-André-des-Arts serait le chemin permettant, à la sortie du Petit Pont, d’aller directement vers la future abbaye (Rouleau, 1967, 43). De la même façon, la rue Saint-Victor aurait été créée pour accéder à l’abbaye du même nom.

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Par ailleurs, l’auteur s’intéresse également à la formation des clos de culture sur la rive gauche, dont les chemins de bornage, hérités des voies antiques, deviendront les premiers axes autour desquels l’urbanisation se fixera au XIe siècle. Ainsi la rue des Boulangers, constituait la limite

méridionale du clos Tiron à la fin du Haut Moyen Âge (Rouleau, 1967, 45). Il nous semble que ces interprétations, quoique relativement ponctuelles, sont les premières qui prennent en compte le vécu et les transmissions des formes sur le long terme en ce qui concerne la période du Haut Moyen Âge.

L’auteur poursuit ses observations morphologiques pour les périodes médiévales plus tardives. Après la construction de l’enceinte par Philippe Auguste de 1190 à 1210, Bernard Rouleau pense que le développement de la voirie dépend de l’essor commercial et qu’il se fait autour des portes, le long des grands axes, en relation avec la Seine et les Halles (marché des Champeaux), autour desquelles le réseau se développe de manière globalement concentrique (Rouleau, 1967, 53). Il remarque par ailleurs plusieurs développements de voies orthogonales : entre la rue du Temple et la rue Vieille-du-temple, mais également dans le Faubourg Saint-Germain-des-Prés (quartier Saint- Sulpice). Bernard Rouleau observe également des rues créées lors de la construction de lotissements sur la rive gauche. Ainsi, une série de voies parallèles à l’enceinte sont créés autour de la rue Saint- Victor (Rouleau, 1967, 53). Autour de l’enceinte, se crée un chemin de contrescarpe encore visible, selon l’auteur, dans le tracé des rues Fossés-saint-Bernard, du Cardinal-Lemoine, de la place de la Contrescarpe, de Blainville et de l’Estrapade. Il examine également toutes les reprises des tracés des remparts par des voies.

Cependant, deux choses peuvent être critiquées dans le travail de Bernard Rouleau. Tout d’abord, on remarque que des éléments de sa chronologie relative peuvent être contestés. En effet, à plusieurs reprises il utilise l’argument de l’existence d’un oppidum gaulois dans l’île de la cité pour expliquer la convergence des voies de grands parcours à cet endroit (existence d’un point de passage sur la Seine). Or, aucune preuve archéologique n’est venue à ce jour confirmer cette implantation gauloise. Par ailleurs, pour justifier l’ancienneté du tracé de la rue Saint-Honoré, l’auteur signale le fait que cette voie est parallèle à la Seine : or, selon l’auteur, si la voie n’a pas abouti à l’île de la Cité, c’est parce qu’elle était utilisée bien avant l’implantation gauloise dans cette île, et donc avant la mise en valeur du point de passage sur la Seine… Une fois encore, si l’on part du principe que l’oppidum gaulois décrit par César dans ses Commentaires, ne se trouvait pas sur cette île de la Cité, mais sur une île légèrement plus en aval ou en amont, l’argument pour le placement chronologique du tracé de la rue Saint-Honoré n’est plus valide. D’ailleurs, Anne Lombard-Jourdan aurait plutôt tendance à placer l’origine de cet axe au Haut Moyen Âge comme un tracé secondant les rues de la Mortellerie et Saint-Germain l’Auxerrois (Lombard-Jourdan, 1985, 79).

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Par ailleurs, Bernard Rouleau, tout comme Michel Roblin, utilise la localisation des portes dans l’enceinte de Philippe Auguste pour comprendre le réseau viaire du XIIIe siècle ; tous deux

semblent se référer à l’ouvrage de Louis Halphen (Halphen, 1909) pour obtenir des informations. Cependant, on observe que Michel Roblin, et a fortiori Bernard Rouleau puisqu’il lui a emprunté un schéma d’illustration, a considéré comme établie une porte pourtant indiquée comme étant « hypothétique » par Louis Halphen39. Il est alors à craindre que certaines interprétations soient

abusives.

Malgré les quelques petits éléments dont on peut faire la critique, Bernard Rouleau repère une série de phénomènes qui lui permettent d’expliquer la formation d’une partie des rues de Paris au Moyen Âge. Selon lui, si le réseau viaire de la période du Haut Moyen Âge est en continuité avec le réseau viaire antique, celui qui se met en place à partir du XIe siècle sur la rive droite de la Seine est

lui profondément différent du réseau implanté par les Romains (Rouleau, 1967, 41). En effet, le développement de la rive droite est lié à l’essor commercial de la ville (Rouleau, 1967, 47). L’urbanisation et l’organisation de la ville se font alors selon des pôles d’attraction, parmi lesquels on trouve les centres commerciaux : les Champeaux, le faubourg Saint-Antoine, la place Baudoyer et la place de Grève (Rouleau, 1967, 46). Le développement de ce réseau servira de canevas, selon lui, pour l’évolution ultérieure de la ville. Cette idée d’un développement urbain selon des dynamiques commerciales avait déjà été développée par Marcel Poëte dans son ouvrage Une vie de Cité.

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