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Questions et principes méthodologiques générau

L’historiographie du sujet ainsi que la problématique qui vient d’être énoncée annoncent un travail dont les particularités impliquent de définir une méthodologie originale afin de pouvoir répondre aux questions posées.

1.3.1 Un objet de recherche qui oblige à mobiliser différentes sources…

Comme c’est le cas pour beaucoup d’études s’intéressant aux interactions entre deux structures, il n’existe pas une seule source qui pourrait permettre d’étudier les interactions entre les activités qui se déroulent dans la rue et l’évolution des bâtiments qui les bordent.

L’étude de ces interactions oblige donc à rassembler d’un côté des données concernant la rue et les activités qui s’y déroulent, et de l’autre des informations concernant les caractéristiques des bâtiments. Toutes ces données figurent dans des sources de nature différente (écrite, planimétrique, archéologique) et sont de types variés (sources comptables, sources de gestion domaniale, sources à visée juridique, etc.). Par ailleurs, le corpus des sources augmente en diversité aussi du fait du caractère pluriséculaire du cadrage chronologique choisi pour notre étude.

Dans notre cas, les sources ne décident pas de la problématique. C’est au contraire le questionnement initial qui préside au choix des sources. Il incite à exploiter des données qui demeurent peu mobilisées dans le cadre d’un travail de recherche en archéologie, et amène à décloisonner les disciplines. Il engage donc à une réflexion sur la pratique interdisciplinaire, que nous avons tenté de formaliser par ailleurs (Hermenault, 2014 ; Gravier et Hermenault, à paraître). Même si le caractère essentiellement écrit de nos sources ne remet pas en cause notre ancrage disciplinaire archéologique – sauf à considérer qu’une discipline se définit par la nature des sources qu’elle exploite – notre travail présente un indéniable caractère interdisciplinaire, ne serait-ce que parce qu’il oblige à se confronter à une série de problèmes méthodologiques liés à l’utilisation de sources inhabituelles pour un-e archéologue.

1.3.2 … Et qui oblige à se confronter à différents problèmes méthodologiques

Une démarche qui est guidée par un questionnement et non pas par les sources exploitées, oblige à se confronter à plusieurs problèmes méthodologiques.

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1.3.2.1 Articuler des données de natures différentes

Le premier de ces problèmes est celui de l’articulation des données. En effet, puisqu’aucune source ne permet de documenter à elle seule les interactions entre le flux et la forme, l’analyse ne pourra émerger que de la mise en parallèle de deux types de données, celles qui concernent le flux ou la matérialité de la rue et celles qui concernent la forme. Une part importante de l’intérêt d’une série de données réside donc souvent dans la possibilité que nous avons de la mettre en relation avec une autre.

Cependant, faire reposer une grande partie de l’analyse sur le résultat de la mise en parallèle d’au moins deux séries de données pose un certain nombre de problèmes méthodologiques. Si la mise en rapport de données est la base de n’importe quelle recherche et que ces problèmes concernent donc tous les chercheurs, il semble que ceux-ci soient, ici, à leur paroxysme puisque les données que nous comparons sont systématiquement de nature différente et qu’aucun lien n’existe a priori entre elles. Or, une telle pratique comporte des risques, comme par exemple celui de rapprocher de manière opportuniste, téléologique ou circulaire deux séries de données, mais aussi de surinterpréter des corrélations52.

Il nous faut donc toujours garder à l’esprit ces risques lors de l’analyse des données que nous manipulons, et nous devons travailler à mettre en place certains garde-fous pour les éviter. Le plus solide d’entre eux consiste à associer plusieurs explorations statistiques des données aux observations visuelles que nous réalisons sur les cartes produites. Une participation régulière au séminaire doctoral de traitement statistique des données SITraDA (coordonné par Bruno Desachy et Julie Gravier) nous a permis d’acquérir un certain nombre de réflexes à ce sujet.

1.3.2.2 La gestion des différentes échelles

Si l’articulation des sources est parfois délicate, c’est aussi parce que nous sommes confrontés à un deuxième problème qui est celui de la gestion de multiples échelles spatiales et chronologiques. En effet, les sources que nous manipulons sont non seulement souvent de natures différentes, mais documentent aussi des réalités régies par des acteurs appartenant à des niveaux différents (simple locataire d’un bâtiment, seigneur, personnel du domaine de la ville, prévôt, Roi, etc.), ainsi que des réalités aux rythmes d’évolution variés.

Pour d’identifier les échelons pertinents de l’analyse des interactions entre les flux et les formes, nous nous en remettons aux échelles que documentent les sources que nous avons choisi d’exploiter :

52 A propos des corrélations abusives, on peut renvoyer aux débats qui ont eu lieu autour de l’ouvrage Alter

histoire. Essais d’histoire expérimentale (Milo et Boureau, 1991). Pour une référence moins universitaire et un

ton plus léger, on peut conseiller de visiter le site www.tylervigen.com qui recense d’absurdes corrélations entre des séries de données.

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- Les plans permettent d’investiguer à l’échelle de la ville toute entière (échelle macro) - Les documents de gestion domaniale nous permettent d’analyser les interactions à l’échelle

du quartier ou de l’îlot (échelle méso)

- Les grandes enquêtes domaniales, les plans par parcelles et les données archéologiques nous permettent quant à eux d’étudier les interactions à l’échelle du bâtiment. (échelle micro)

Nous menons donc nos analyses à ces trois niveaux. La question est moins de savoir comment articuler les données brutes tirées de ces différentes sources que de parvenir à articuler entre elles les analyses des interactions entre formes et flux, produites à chacune des échelles. Autrement dit, la difficulté méthodologique est de parvenir à analyser les passages d’un niveau à un autre et de comprendre leurs effets réciproques (Grataloup, 2004), et donc d’analyser leurs relations. Cela nous amènera plus tard à questionner l’idée de l’emboîtement des échelles, ou celle de leur stricte opposition (Verdier, 2004, 32).

1.3.2.3 Le caractère sériel des données

L’étude de la matérialité du tissu urbain ancien se fait généralement à partir de données ponctuelles. En effet, parce qu’ils sont obligés de se cantonner à des observations très localisées dans la ville, les discours des archéologues du bâti peinent parfois à monter en généralité et se concentrent sur l’histoire d’un bâtiment plutôt que celle de la matérialité urbaine plus globalement ; tandis que les quelques rares historien-ne-s qui s’intéressent à la matérialité de la ville se doivent de construire leur discours à partir de mentions éparses et la plupart du temps anecdotiques, ainsi que le montre par exemple Simone Roux pour la période médiévale (Roux, 1969). Pour les périodes postérieures, l’accroissement documentaire est tel qu’une enquête sur la matérialité urbaine doit nécessairement être restreinte à une partie de la ville si l’on veut obtenir des détails précis sur son évolution (Carbonnier, 2003), ou bien à un seul type de document (Pardailhé-Galabrun, 1988).

Or notre objectif n’est pas de documenter la matérialité d’un bâtiment mais de comprendre les tendances de l’interaction entre la rue, les activités qui s’y déroulent et les bâtiments en eux- mêmes. Nous ne pouvons donc pas nous satisfaire d’observations ponctuelles, et aussi passionnants qu’ils soient, les détails de l’évolution d’un bâtiment ne permettent pas pour la plupart d’entre eux de documenter notre questionnement.

Il faut nous placer dans la droite ligne des études archéologiques des artefacts, et en quelque sorte également dans celle de l’histoire quantitative, en constituant ou travaillant avec des séries de données cohérentes et semblables (Demoule et al., 2002, 129), construites selon des processus similaires, et couvrant des contextes spatiaux variés. Les comparaisons ont ainsi plus de chances de

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mener à la mise au jour de corrélations pertinentes entre les phénomènes, et de faire émerger des tendances générales à l’échelle de la ville toute entière.

Nous choisissons donc dans la mesure du possible de privilégier les séries de données permettant de documenter au moins une large part de la ville à celles qui n’auraient qu’un apport localisé.

1.3.3 La spatialisation systématique des données : un réflexe méthodologique pour organiser le dialogue

1.3.3.1 Spatialiser les données pour observer les corrélations spatiales

Comprendre les interactions qui s’établissent entre les flux et les formes, implique avant tout de les repérer. Nous pensons que ces interactions prennent la forme de corrélations spatiales, c’est- à-dire de dépendances dans les variations des phénomènes qui se concrétisent dans la structuration de l’espace. Nous cherchons donc à repérer les corrélations récurrentes entre deux séries de données pour identifier les interactions.

Le repérage des corrélations implique une cartographie de chacun des phénomènes étudiés. Notre travail est donc un essai permanent de spatialisation des données ponctuelles que nous étudions53. Une fois reportées dans l’espace, les séries de données peuvent alors être confrontées

les unes aux autres, car un facteur commun émerge : elles sont toutes localisées dans l’espace urbain parisien. C’est donc autour de la dimension spatiale des données étudiées que peut s’organiser le dialogue entre des sources aux natures et aux caractéristiques si diverses, et c’est grâce à cette spatialisation systématique que l’exploitation de séries à la couverture spatiale large prend tout son intérêt.

Loin de vouloir assécher les données en les réduisant à leur ancrage spatial, nous cherchons au contraire à mieux les comprendre en les recontextualisant, c’est-à-dire à « déceler en quoi la localisation apporte un élément utile à la connaissance des objets étudiés et peut en expliquer les caractéristiques, en totalité ou en partie » (Pumain et Saint-Julien, 2010). La spatialisation systématique des données est le parti-pris méthodologique qui nous permet de gérer les obstacles méthodologiques induits par les particularités de la sélection des sources.

53 Le programme ANR ALPAGE procédait de ce même objectif : permettre le dialogue entre disciplines grâce à

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1.3.3.2 L’utilisation des Systèmes d’Information Géographique

Par la spatialisation systématique des données ponctuelles, nous cherchons à constituer une carte compilée, c’est-à-dire un document sur lequel ont été reportées diverses informations sur un même fond de référence géométriquement exact (Robert, 2011)54. Si les premiers documents de ce

type sont réalisés à la main sur un support papier dans le milieu des années 1990, ils le sont préférentiellement sur un support informatique depuis le début des années 2000 et la démocratisation des Systèmes d’Information Géographique (SIG), qui sont des outils informatiques permettant de stocker, gérer, de traiter et de représenter l’information géographique (Sanders, 2004).

C’est sur un Système d’Information Géographique que nous réalisons nous aussi ce report d’informations. Nous utilisons pour cela le logiciel libre QuantumGis. Chaque série de données fait l’objet d’une vectorisation. Puisque toutes les couches d’informations peuvent être importées sur un même fond, il est possible de les mettre en relation pour mieux percevoir les éventuelles corrélations spatiales entre les phénomènes. Multi-scalaire par définition, le SIG nous permet d’observer l’occurrence de ces corrélations et leur déploiement dans l’espace à plusieurs échelles, et donc d’articuler des sphères documentaires mais aussi des échelles chronologique et spatiale variées.

54 Puisque la compilation est au cœur de la démarche archéogéographique, la carte compilée est l’outil

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Chapitre 2

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Réseau viaire, circulations et

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