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Anne Lombard-Jourdan : l’étude du réseau viaire pour comprendre les origines du basculement du centre de la ville depuis la rive gauche vers la rive droite.

1.1.5 Les spécificités du cas parisien

1.1.5.2 Anne Lombard-Jourdan : l’étude du réseau viaire pour comprendre les origines du basculement du centre de la ville depuis la rive gauche vers la rive droite.

Anne Lombard–Jourdan (1909-2009), archiviste paléographe, soutint sa thèse de l’Ecole de Chartes en 1933 sur les halles parisiennes de 1137 à 1436. Elle fut une spécialiste de Paris au Moyen Âge, ainsi que de la plaine Saint-Denis de l’Antiquité à nos jours. Elle fut Chef de Travaux à la VIème section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes de 1960 à 197537.

Dans un article publié en 1970 dans la revue les Annales intitulé « Y-a-t’il une protohistoire urbaine en France ? » (Jourdan-Lombard, 1970), Anne Lombard-Jourdan désirait montrer que de nombreuses villes en Gaule tirent leur origine des phénomènes économiques, sociaux et religieux datant des périodes pré-antiques. Elle y mettait en valeur trois de ces phénomènes. Tout d’abord, elle constatait que les lieux de culte des divinités romaines étaient abandonnés à la fin de l’Antiquité et que la religion chrétienne chercha à investir les lieux de croyance indigènes correspondant aux anciens cultes protohistoriques, ravivés après la chute de l’Empire romain. Par ailleurs, elle démontrait l’immutabilité des lieux d’échanges depuis la période préromaine, et observait que de nombreuses villes tirent leur origine de la présence d’un lieu d’échange. Ces anciens lieux d’échanges sont repris et organisés, et donc transmis, par le clergé au Haut-Moyen-âge (avant qu’ils ne le soient par une autorité seigneuriale ou royale) afin de contrôler les cultes païens, toujours étroitement liés

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à ce genre de rassemblements commerciaux, mais aussi afin de conserver le profit des foires. Ces foires étaient, toujours selon Anne Lombard-Jourdan, des lieux de cultes, de commerce, mais également des lieux de réunion politique puisque les rassemblements d’ordre commercial étaient aussi l’occasion d’un rassemblement communautaire. Si nous voulions résumer le propos d’Anne Lombard-Jourdan, nous pourrions dire que ces espaces de rassemblements périodiques, d’origine préromaine, auraient connu un regain d’intérêt après les destructions urbaines liées aux grandes migrations, et après la fin de l’Empire romain : il procède de l’effondrement d’un Etat qui ne pouvait plus assurer le maintien d’un système culturel imposé aux populations locales au sein d’une ville monumentale construite quelques centaines d’années auparavant. Selon l’auteure de cet article, les villes du Moyen Âge sont donc fortement liées aux assemblées périodiques préromaines. L’auteure s’opposait ici à l’historien Henri Pirenne qui pensait qu’une assemblée périodique ne peut être à l’origine d’une ville étant donné son caractère non-pérenne (Pirenne, 1939, 42). L’historien pensait plutôt que ce sont les portus, c'est-à-dire le groupement permanent des individus massés en un lieu de passage (Pirenne, 1939, 151), qui seraient à l’origine des villes. Sur ce point Anne Lombard- Jourdan se justifie en disant que les portus sont probablement nés de foires, elles-mêmes nées de rassemblements plus anciens et de nature parfois différente.

En 1976, elle publie Paris, genèse de la "Ville", la Rive droite de la Seine des origines à 122338,

ouvrage dans lequel elle reprend pour le cas de Paris, les théories qu’elle exposait en particulier dans l’article précédent : selon elle Paris est un bon exemple de ces villes qui se sont « détournées » de leur passé antique pour continuer leur croissance sur des bases autres, celtiques voire préhistoriques. Selon elle, la reprise économique et démographique s’est opérée « sur les vestiges des établissements gaulois et non par la reconquête de l’espace temporairement occupé par les romains » (Lombard-Jourdan, 1985, 123). Le moindre développement de la rue Saint-Martin (ancien cardo romain) au profit de la rue Saint-Denis pourrait être le symbole de cette réorientation urbaine. Selon elle, la toponymie montre qu’il y a bien une occupation préromaine sur la rive droite du fleuve. En effet, d’anciens noms de rue pourraient laisser transparaître l’ancienne présence de trois mégalithes sur la rive droite (Lombard-Jourdan, 1985, 47). Les Romains auraient choisi d’implanter leur cité en rive gauche peut-être pour des raisons d’ordre politique et topographique. Après la chute de Rome et les premières grandes migrations du IIIe siècle,

« (…) tournant résolument le dos à cette ville à l’antique, désaffectée et désavouée, c’est vers la rive droite, à l’emplacement du primitif habitat gaulois presque vierge d’occupation romaine, plus vite détruit mais plus vite reconstruit, que

38 ouvrage qui sera réédité et augmenté en 1985 sous le titre Aux origines de Paris : la genèse de la rive droite

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s’orienta l’activité commerciale et artisanale des parisiens. » (Lombard-Jourdan, 1985, 122).

Elle observe que trois des plus anciennes églises de la rive droite auraient été installées à l’emplacement des trois mégalithes (Lombard-Jourdan, 1985, 47). La première occupation se concentra autour du site du port de Grève, puis plus tardivement (mais avant les Capétiens), l’axe de la rue Saint-Germain l’Auxerrois, parallèle à la Seine, fixa une petite agglomération autour de l’église du même nom.

L’auteure met l’accent sur les circulations Est/Ouest qui drainent la ville au Haut Moyen-âge (et qui pourraient être des créations préromaines), dans un premier temps par les rues de la Mortellerie et de Saint-Germain l’Auxerrois, puis plus au nord par les rues de la Tisseranderie, de la Verrerie, de la Bufféterie, de la Charronnerie, de la Ferronnerie et par la rue Saint-Honoré (Lombard- Jourdan, 1985, 79). Elle insiste également sur « la croisée de Paris » qui consiste en la rencontre de l'axe Nord/Sud (la rue Saint-Denis), et l’ensemble de ces rues parallèles à la Seine. C’est d’ailleurs cette croisée de Paris que Philippe Auguste demanda aux bourgeois de Paris de faire paver vers 1185 (Lombard-Jourdan, 1985, 78). Selon l’auteure, ce maillage de rues est à l’origine de « l’anatomie de la ville » (Lombard-Jourdan, 1985, 79).

Par ailleurs, Anne Lombard-Jourdan nous rappelle à plusieurs reprises le caractère très régulier voire orthonormé que prend le réseau viaire à certains endroits sur la rive droite, ce qui est, pour elle, le signe d’un lotissement rapide des terres au Moyen Âge (Lombard-Jourdan, 1985, 42). Anne Lombard-Jourdan propose, en annexe de son ouvrage, plusieurs cartes de la rive droite, dont un plan qui retranscrit, entre autre, le réseau viaire parisien sur la rive droite vers 900 ; un autre ayant le même sujet mais cette fois-ci pour 1140 et enfin un dernier plan qui représente Paris à la mort de Philippe Auguste. Ces efforts de cartographies sont rares pour la période médiévale.

Ainsi, l’étude du réseau viaire et des grands itinéraires au centre desquels se trouvent Paris tient une place importante dans le travail d’Anne Lombard-Jourdan. Son approche reste très centrée sur les tracés des rues à grande échelle, et elle n’évoque ce qui circule que lorsqu’elle aborde les mouvements à échelle macroscopique (les itinéraires). Cependant, son approche de la grande échelle est tout à fait originale et se pose en marge des travaux que mènent d’autres historiens à cette échelle, puisque le tracé des rues et leur matérialité ont tendance à y être mis de côté.

1.1.5.3 Le travail du géographe Bernard Rouleau : comprendre la morphologie du réseau

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