• Aucun résultat trouvé

Préciser l’objet de l’étude et déplacer le regard vers l’articulation des rythmes et des échelles

L’objectif de notre travail est de mieux comprendre le rôle des interactions entre le flux et la forme pour l’évolution du tissu urbain sur le long terme. Il s’agit donc d’essayer d’expliciter un processus qui, à notre sens, n’est pas encore suffisamment exploré.

Afin de préciser ce rôle, il est nécessaire de commencer par construire un cadre d’analyse multiscalaire, puisque les évolutions du flux, du parcellaire, du bâti et des activités ne sont pas perceptibles à la même échelle et n’impliquent pas les mêmes acteurs. Mais de la mise en place de ce cadre surgit une autre question : si une analyse multiscalaire permet de saisir d’avantage d’interactions entre ces éléments, se pose la question des relations entre ces niveaux d’analyse. En effet, comment s’opère l’articulation dans le temps et dans l’espace de ces différentes échelles ? De

50 dans une communication présentée au séminaire « Paris au Moyen Âge » coordonné par Caroline Bourlet,

Boris Bove, et Hélène Noizet à l’IRHT au mois d’avril 2015. Cf p.3 du CR de la séance du séminaire en ligne :

http://www.irht.cnrs.fr/sites/default/files/images/images_contenu/images_contenu_site/pieces_jointes/semi naire_paris.pdf, consulté le 5 juillet 2015

113

quels paramètres dépendent ces articulations ? Comment formes et flux interagissent-ils donc à plusieurs échelles sur le long terme et en contexte urbain?

Par ailleurs, expliciter le rôle des interactions entre la matérialité urbaine et le flux, c’est aussi préciser la nature de ces interactions. Appliqué à notre recherche, le terme de « flux » désigne, on l’a dit, le déplacement des Hommes d’un point de départ vers un point d’arrivée dans un espace. Or la présence d’individus dans un espace est susceptible d’être attractive pour d’autres individus, notamment pour des raisons d’ordre économique, tout comme la densité des activités peut être attractive pour les individus qui se déplacent, puisque dans les deux cas, la co-présence rend possible des échanges. Les potentialités économiques qui découlent de cette co-présence (permise donc par la présence d’individus composant un flux) constituent le socle des interactions que nous étudions. La question n’est désormais plus tout à fait de comprendre le rôle des interactions entre le flux et la forme pour l’évolution du tissu urbain, mais de comprendre le rôle des interactions entre la matérialité urbaine et les potentialités d’échange, induites par la proximité d’un flux, pour l’évolution du tissu urbain, et ce à plusieurs échelles.

De plus, il est attendu que ce rôle, qui ne peut être univoque et universel, évolue en fonction des caractéristiques des interactions, qui sont elles-mêmes fonction des caractéristiques des formes et des flux, sans cesse en évolution car intégrées dans des boucles de rétroactions, mais aussi du contexte historique. Nous pourrons tenter de dégager quelques-unes de ces caractéristiques. Nous cherchons donc à comprendre le rôle évolutif des interactions entre la matérialité urbaine et les potentialités d’échange, induites par la proximité d’un flux, pour l’évolution du tissu urbain, à plusieurs échelles.

Enfin, notre travail avançant, nous sentions que nous devions mettre au cœur de notre travail les interactions qui s’établissent entre les sociétés et les matérialités. Il nous est apparu de plus en plus évident que les efforts déployés par différents types d’acteurs pour organiser et gérer les circulations intra-urbaines devaient être pris en compte pour comprendre la question de l’influence des flux sur l’évolution du tissu urbain, et surtout que la nature de ces efforts et leurs effets sont intrinsèquement liés au rapport entretenu avec la matérialité. Il s’agit donc de comprendre dans quelle mesure le tissu urbain évolue en fonction des interactions qui s’établissent à plusieurs échelles entre la matérialité urbaine et les potentialités d’échanges, induites par la proximité d’un flux, mais aussi d’identifier dans ce phénomène la place que prend le rapport entretenu par les acteurs de la fabrique urbaine avec la matérialité.

Ainsi, après avoir fait le constat des limites des méthodologies traditionnelles pour la compréhension du lien qui se tisse entre la matérialité urbaine et le flux, nous avons décidé de déplacer le regard vers les interactions entre la forme et le flux. Ce déplacement nécessite d’une part

114

de préciser la nature des interactions possibles, mais aussi la mise en place d’un cadre multiscalaire, pour qu’elles soient analysées dans toute leur complexité spatiale et chronologique. Ces précautions méthodologiques nous amènent à préciser les questions que nous cherchons à documenter : notre problématique, énoncée quelques lignes ci-dessus, procède donc de notre travail d’historiographie.

Nos analyses porteront sur le cas parisien, auquel nous avons déjà consacré nos recherches réalisées durant les masters d’archéologie et d’histoire. En effet, nous avions émis l’hypothèse à la fin de notre recherche de master 2 d’archéologie, qui portait sur l’évolution de l’occupation des bords de Seine entre le Ier et le XIIIe siècle, que la Seine et la circulation des Hommes et des marchandises

dont elle était le support n’avait pas invariablement attiré l’habitat. L’examen de la carte archéologique que nous avions constituée à cette occasion montrait que les dynamiques d’occupation des bords de Seine avaient évolué dans le temps. A la période antique, le tissu urbain s’étalait le long du cardo maximus et était situé très majoritairement sur la rive gauche, alors qu’au cours du premier Moyen Âge, le tissu urbain tend à s’allonger le long du fleuve en rive droite, ce qui pourrait s’expliquer par le besoin d’être au plus près du fleuve, quand la structuration de la ville antique exprimait davantage le besoin d’être au plus près de l’axe qui permet son franchissement (Hermenault, 2011). Ainsi, nous avions décelé dans l’analyse de l’évolution de l’occupation des bords de Seine l’idée qu’un flux avait pu être inégalement attractif au cours du temps pour les activités terrestres et que cela avait pu jouer un rôle dans l’évolution de l’organisation de la ville, alors il nous a semblé que le choix du cas parisien était pertinent pour continuer à explorer la thématique des interactions entre les formes et les flux.

L’état des sources archéologique autant qu’historique pour la période antique et le premier Moyen Âge ne permet pas d’informer la question du rôle des interactions entre les flux et la matérialité urbaine pour l’évolution du tissu parisien. Il nous a donc fallu déterminer un cadrage chronologique plus adapté à l’état documentaire parisien. Si les données archéologiques pêchent la encore par leur faible nombre et leur caractère beaucoup trop ponctuel à la fin du Moyen Âge et durant la période moderne, les données écrites sont, quant à elles, plus nombreuses. La profusion de documents relevant de la gestion domaniale nous intéresse par exemple au plus haut point puisque ceux-ci fourmillent d’informations exploitables dans le cadre d’une analyse de la matérialité urbaine. Plusieurs autres corpus de sources écrites nous permettent de documenter notre recherche. Par ailleurs, la réalisation de plusieurs mémoires de maîtrise, de Diplôme d’Etudes Approfondies et/ou de thèses de doctorat en topographie historique menés sous la direction de M. Jean Favier puis sous celles de Mme Yvonne-Hélène Le Maresquier-Kesteloot et de Mme Vincent, et portant chacun sur un quartier de la ville de Paris le plus souvent entre le XIVe et le XVe siècle, permet de faciliter le

115

notre travail, d’autant que la grave crise politique et économique que traverse Paris entre 1420 et 1450 nous offre l’occasion de mettre en parallèle l’évolution des flux et celle du tissu urbain à travers l’examen des données foncières. Par ailleurs, la documentation de nature planimétrique s’accroît tout au long de la période moderne, et le premier cadastre parisien, constitué par les plans Vasserot (assemblés, géoréférencés et vectorisés dans le cadre du programme ANR ALPAGE, coordonné par Hélène Noizet entre 2006 et 2010) est levé entre 1810 et 1836. Il présente l’état du parcellaire avant les opérations d’urbanisme de très grande envergure que connaît la ville à partir de la seconde moitié du XIXe siècle : la levée de ces plans constitue un terminus chronologique que nous pensons

être judicieux pour cette raison.

Par ailleurs, les différentes sources que nous avons décidé d’exploiter fournissent des données à des échelles différentes : l’échelle de la ville toute entière (les données planimétriques), celle du quartier (certaines données parcellaires mais aussi des données historiques), et celle du bâtiment (certaines données écrites et archéologiques). Cette diversité scalaire permet notamment d’envisager les flux dans toute leur diversité : depuis les circulations qui ont lieu dans les rues, jusqu’aux circulations qui ont lieu au sein des parcelles ou des bâtiments. Cette particularité documentaire nous permettra de mieux pouvoir saisir la complexité des interactions entre les échelles macroscopique, mésoscopique et microscopique. Notre recherche se concentrera donc sur l’espace parisien tel qu’il se présente entre le XVe et le début du XIXe siècle (en fait 1836, soit la fin

de la levée des plans Vasserot) et que nous aborderons à plusieurs échelles.

Il s’agit donc pour nous, dans ce travail de thèse, de comprendre dans quelle mesure le tissu urbain parisien évolue, entre le XVe et le premier tiers du XIXe siècle, en fonction des interactions

qui s’établissent à plusieurs échelles entre la matérialité urbaine et les potentialités d’échanges, induites par la proximité d’un flux. Il s’agira également pour nous d’identifier dans ce phénomène la place que prend le rapport qu’entretiennent les acteurs de la fabrique urbaine parisienne (le Roi, les élites, la prévôté des marchands, le quidam) avec la matérialité.

116

Outline

Documents relatifs