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8.1.1 Travail accompli

Représentation théorique générale

L’érosion d’un sol par un écoulement fluide est un phénomène complexe. En effet le fluide agit sur le sol, qui en s’érodant va apporter une quantité plus ou moins importante de sédiments à l’écoulement ; ces sédiments pouvant à leur tour agir sur le fluide,…

La plupart des modèles dédiés à la description de ce type d’érosion en ont une approche globale, et particulière à l’hydraulique fluviale. Ainsi, les quantités érodées sont évaluées à partir des caractéristiques moyennes de l’écoulement, et l’on néglige les effets dûs à l’apport de sédiments sur le fluide. Sous certaines conditions d’écoulement, notamment à fortes pentes, ces modèles de transport apparaissent totalement incapables d’évaluer correctement les quantités érodées ; cela peut s’expliquer par la simplicité des modélisations effectuées, qui négligent de nombreux phénomènes, et l’approche descriptive trop global, qui traduit en fait notre manque de compréhension des phénomènes.

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L’objectif de cette recherche a été d’améliorer la compréhension des phénomènes liés à l’érosion hydraulique des sols de fortes pentes, et des éventuelles interactions existantes entre ces phénomènes.

Pour ce faire, il nous est apparu important de développer une approche théorique d’ordre général, permettant une description locale, de l’érosion et de l’écoulement fluide (éventuellement du sol), et tenant compte de la présence des sédiments dans ce même fluide.

Pour décrire ainsi, localement et rigoureusement, les phénomènes liés à l’érosion hydraulique, il est nécessaire :

- d’utiliser un modèle fluide diphasique et turbulent, donnant accès aux vitesses et densités moyennes locales (Equations de Navier-Stokes diphasiques) ;

- d’exprimer les conditions à l’interface solide/fluide, traduisant les échanges de matières (et de quantité de mouvement) entre les deux phases dûs à l’érosion (Relation de Rankine Hugoniot) ;

- de posséder une loi d’érosion (locale), qui permette, à partir des caractéristiques locales du fluide, d’en déduire un débit érodé local ;

(- dans l’absolu il serait aussi nécessaire de décrire ce qu’il se passe dans le sol ; cela ne sera pas développé ici).

Ces différents aspects furent présentés dans un cas général dans les chapitres 2 et 3.

Remarque :

- Dans de tels problèmes où deux (ou plus) phases coexistent et échangent de la matière à travers une interface commune, il apparaît absolument nécessaire de considérer cette interface comme une frontière interne au système, et d’y exprimer les conditions de flux et de concentrations. Ce n’est en effet que par ces conditions que l’on pourra décrire de façon couplée le sol et le fluide, et en déduire la cinétique de l’interface.

Loi d’érosion

Nous avons ici proposé deux lois d’érosion. Ce sont des lois de seuil, basées sur le principe que la contrainte tangentielle exercée par le fluide doit être supérieure ou égale à la résistance critique du sol pour que l’érosion se produise.

Ces lois sont bien sur très simples, et des améliorations restent à faire (chapitre 3). Remarquons cependant que notre loi d’érosion « K infini », parait être une approche relativement unique, d’après la littérature, pour décrire des phénomènes d’érosion.

Modèle turbulent de diffusion différentielle

Nous avons à partir des équations de Navier-Stokes moyennées de chacune des phases, solide et fluide, issues de Février et Simonin (2000), déduit l’équation vérifiée par la différence des vitesses moyennes entre la phase solide et le mélange (vitesse de diffusion des sédiments dans l’eau). A partir de cette équation, nous

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avons supposé que les termes de production et de dissipation étaient supérieurs à tous les autres. Nous en avons alors déduit une formule algébrique différentielle du flux de diffusion. Cette expression fait intervenir deux temps caractéristiques (à l’échelle du ou des grains, et à l’échelle de la turbulence), et permet surtout de tenir compte du gradient de pression orthogonal à l’écoulement, lié à la gravité. Cette approche est donc très riche, et beaucoup plus rigoureuse que celle consistant à ajouter la vitesse de chute d’une particule à l’équation de quantité de mouvement des sédiments. Malheureusement, cette formule apparaît très délicate à utiliser, et n’est valable pour une gamme très réduite des valeurs des paramètres (le diamètre des sédiments). Ce résultat tendrait à signifier que l’hypothèse « production = dissipation » est un peu forte, et qu’il est alors nécessaire d’avoir des modèles non locaux, qui utilisent l’équation différentielle complète.

Résultats numériques de la modélisation

La résolution des équations de Navier-Stokes complètes instationnaires étant relativement difficile et nécessitant de gros moyens de calculs, nous avons étudié deux configurations d’écoulement relativement simples, nous permettant de notablement simplifier les équations. Avec ces équations dites de « couche », nous avons supposé, dans des axes liés au sol, le régime d’écoulement permanent.

Nous avons alors, pour chacune des configurations d’écoulement, et pour deux modèles de viscosité effective, étudié l’influence de chacun des paramètres sur l’érosion. Le résultat le plus important est sans doute la mise en évidence du rôle clef joué par la gravité par l’intermédiaire de la pente du sol. On peut ainsi dire que la pente permet un fort couplage entre l’érosion, l’écoulement, et le transport des sédiments érodés. On a d’ailleurs vu que la diffusion préférentielle des sédiments dans l’écoulement provoquait des effets sur l’érosion, visibles localement et globalement (cela s’est d’avantage vérifié dans la situation d’écoulement de couche limite). Ce résultat était en fait prévisible puisque la gravité est un terme source positif de l’équation de quantité de mouvement.

A surface libre, nous avons vu que, typiquement, l’écoulement exerçait une contrainte sur le sol de l’ordre de la centaine de Pascals. Aussi, il est légitime de se poser la question de la validité de la contrainte critique définie par Shields pour les matériaux composant une digue ou un barrage. On comprend bien qu’avec une telle valeur de contrainte critique, l’ouvrage va disparaître dès le début de l’érosion. Il est en fait très probable que la contrainte critique de tels matériaux soit beaucoup plus importante que celle de Shields ; de multiples raisons expliqueraient cela : forte polydispersion, formes irrégulières des grains, nature différente des matériaux, réarrangements, compactage, cohésion…

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Critique du travail accompli

La principale critique que l’on puisse faire au sujet de ce travail est le manque de comparaisons des résultats numériques obtenus avec des résultats expérimentaux, voire numériques. La raison en est simple, nous n’avons pas trouvé dans la littérature d’expériences permettant de comparaisons directes avec notre modélisation. En effet la plupart des travaux expérimentaux s’intéressent plutôt au transport des sédiments qu’à leur érosion. De plus les expériences étudiant l’érosion donnent plutôt des résultats globaux des débits érodés.

Ainsi, il apparaît difficile à l’heure actuelle de valider nos résultats par des expériences déjà réalisées. On peut par contre, proposer quelques expérimentations possibles, que l’on pourrait reproduire avec notre modèle ; cela est présenté un peu plus loin.

Conclusion

La méthode numérique utilisée pour résoudre nos équations, développée par Patankar et Spaldings (1970), est très rapide et robuste. Le système de coordonnées utilisé permet de suivre parfaitement les évolutions d’épaisseur de l’écoulement (dans des configurations relativement simples). Les routines en Fortran 77, sont relativement simples et accessibles. Aussi, le code que nous avons développé peut s’avérer être un outils très pratique pour développer de nouvelles approches théoriques (flux de diffusion, lois de comportement, lois d’érosion, temps caractéristiques…), ou évaluer l’importance d’un terme par rapport à un autre.

8.1.2 Améliorations et réflexions

Viscosité effective : Modèle à longueur de mélange

La formule de longueur de mélange que nous avons utilisée en écoulement à surface libre, d’après Kovacs 1998, correspond en fait à celle d’un écoulement d’eau pure. Nous n’avons donc pas vraiment tenu compte de l’influence des sédiments sur celle-ci. Ce même auteur propose, dans le même article, une amélioration de cette formule à l’aide d’une fonction d’atténuation qui tend à diminuer la longueur de mélange avec la concentration croissante des sédiments. Cette vision des phénomènes ne semble pas universellement partagée.

Un autre moyen de prendre en compte l’effet les sédiments sur la viscosité existe ; il s’agit d’utiliser un modèle de fermeture à une équation.

Viscosité effective : Modèle à une équation, le schéma de Prandtl-Kolmogorov

Nous avons vu dans le chapitre 5, que toutes les équations des différentes variables s’écrivaient sous la même forme, seul le terme source variant suivant la variable considérée. Ainsi, il est relativement aisé d’un point de vue numérique d’ajouter une équation à résoudre. Il est ainsi possible d’ajouter l’équation de l’énergie cinétique de turbulence du mélange, k, que l’on peut obtenir à partir des travaux de

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Février et Simonin (2000), et d’en déduire par le schéma de Prandtl-Kolmogorov la viscosité effective comme (Chassaing (2000)) :

&

µ

µ

=

ρ

µ est une constante pure, et l une échelle de longueur qui reste donnée algébriquement.

Quelques approximations seront sans doute nécessaires, pour l’utilisation de cette équation, mais cela permettra une description plus riche et plus complète des phénomènes.

De même, l’utilisation de modèles de fermeture à deux équations est aussi envisageable.

Temps et longueurs caractéristiques

Comme nous l’avons vu, la description des interactions entre fluide et sédiments fait intervenir des temps caractéristiques et la « longueur de mélange » est une longueur caractéristique des phénomènes. Or il est très probable, suivant l’intensité de la turbulence, suivant la concentration, la taille et la densité des particules, que la présence des sédiments agissent sur la turbulence (et vice versa) modifiant les temps et longueurs caractéristiques relatifs aux différents phénomènes.

Ces temps et longueurs caractéristiques ont donc un rôle très important pour modéliser la complexité des phénomènes impliqués entre les phases. Des études fondamentales, sur des situations simples, sont encore nécessaires pour préciser ce qui contrôle ces temps et longueurs…

Dépôt, érosion

Nous n’avons pas, dans notre modélisation, considéré les phénomènes de dépôt des particules sur la paroi. Nous avons en effet supposé, vu les pentes et les vitesses considérées, que les sédiments étaient totalement entraînés par l’écoulement. La modélisation que nous avons développée permettrait toute fois de le considérer, à condition bien sur d’en connaître la loi et la valeur de la contrainte critique de dépôt.

Des modifications au modèle d’érosion seraient sans doute souhaitables, vu sa simplicité actuelle. On peut tout de même penser que, si la contrainte tangentielle exercée par le fluide est la seule responsable (la plus importante) des phénomènes d’érosion, la formule que nous utilisons, reliant linéairement le débit local érodé à la différence des contraintes (pariétale et critique), n’est pas une trop mauvaise approximation pour une érosion locale faible (on reste en effet près de l’équilibre). Mais, il est possible, nous en avons déjà parlé, d’introduire dans le modèle l’effet de la contrainte normale et aussi celui de la teneur en eau du sol.

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Questions ouvertes

L’influence des fluctuations turbulentes de vitesse et de contraintes à la paroi sur l’érosion :

déjà, faire intervenir la contrainte normale dans le modèle d’érosion revient à faire intervenir les fluctuations de vitesse, car cette contrainte normale comprend G=

" . On peut se demander aussi s’il ne faudrait pas faire intervenir, en plus de la contrainte tangentielle moyenne, les fluctuations de celle-ci. Ceci pourrait être relié aux phénomènes physiques connus de « burst », « sweep » à la paroi d’une couche limite turbulente.

Le problème de la rugosité de la paroi doit être travaillé plus lui aussi, et on peut même se demander si un couplage plus intime avec le sol compact, par une couche poreuse qui se déforme, ne serait pas nécessaire.

Projection dans le futur…

L’évolution logique (et futuriste ?) de ce travail consisterait à effectuer un calcul d’écoulement instationnaire tridimensionnel au dessus d’une digue, avec prise en compte de l’érosion locale qui provoquera une régression locale de l’interface sol-eau. Pour vraiment modéliser la rupture d’une digue, on pourrait alors coupler le déplacement de l’interface avec un calcul de stabilité des pentes. On serait ainsi capable de décrire en fonction du temps la cinétique de rupture de l’ouvrage.

Une telle approche sera numériquement difficile à mettre en place, il faut en effet considérer trois phases, l’air, l’eau et le sol, avec déplacement de l’interface entre chacune d’elle. Vu les problèmes rencontrés, dans des situations d’écoulements diphasiques relativement simples, avec de gros logiciel de calculs tels Fluent ou Aquilon ; de l’eau va encore couler sur les digues avant que l’on puisse utiliser une approche aussi complète.