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Le terme d’accompagnement est le plus utilisé par les équipes que nous avons rencontrées pour qualifier et décrire leur travail auprès des résidents des appartements. On sait combien ce terme polysémique s’est imposé depuis une vingtaine d’années dans les monde du sanitaire, du médico-social et du social pour caractériser des formes spécifiques de travail auprès et avec les personnes en situation de difficulté sociale, de handicap ou de maladie. Absent des deux lois du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées et relative aux institutions sociales et médico-sociales, il est ainsi introduit dans la loi du 4 janvier 2002 réformant l’action sociale et médico-sociale pour caractériser l’une des missions de cette dernière à côté des actions plus traditionnelles « d’assistance dans les divers actes de la vie, de soutien, de soin ». Comme l’ont relevé un certain nombre d’observateurs, l’accompagnement caractérise des formes d’intervention que des institutions mettent en œuvre aux marges de leur mandat en instituant un autre type de relation avec leurs clientèles (Paul, 2004). A l’école l’accompagnement concerne ainsi les devoirs en dehors du temps scolaire, à l’hôpital il est adressé aux proches ou aux personnes en fin de vie, dans le champ du handicap il vise à permettre aux personnes d’accéder à certaines fonctions sociales comme le travail ou, donc, le logement. L’accompagnement est ainsi, dans les institutions, la part du travail qui peut le plus facilement être déléguée à des tiers parce qu’elle ne constitue pas le cœur de la mission des professionnels. Il s’adresse à une personne considérée dans sa globalité, sujet intellectuel et émotionnel, par définition

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capable d’aller vers une autonomie : c’est ce chemin que l’accompagnement vise précisément à faire parcourir.

Au-delà de ces perspectives générales, la notion d’accompagnement se caractérise par sa grande plasticité. La matière de l’accompagnement, ce que l’on accompagne et où l’on accompagne, est éminemment variable d’un service à l’autre. Les acteurs que nous avons interrogés mettent spontanément derrière ce terme une diversité de tâches accomplies dans le logement ou à distance par les équipes. Tous les services mettent en œuvre ce travail à partir d’un lieu où sont également reçues les personnes pour la mise en place de la sous-location ou la signature du bail. Si toutes ajoutent à ce travail accompli au siège de la structure des activités au domicile des personnes, la nature et la fréquence des visites varie considérablement d’un service à l’autre et souvent également aussi au sein d’un même service d’un patient à l’autre. Certaines équipes visitent les patients une fois dans l’année pour vérifier la tenue de l’appartement, d’autres proposent aux personnes un service quotidien. Dans un certain nombre de services l’accompagnement consiste effectivement à accompagner les personnes, au sens propre, dans la réalisation de gestes du quotidien ou de démarches diverses. D’autres encore mettent en place des formes de sous-traitance par exemple en embauchant un service d’aide-ménagère ou en demandant aux secteurs d’ouvrir l’accès à certains services, par exemple une visite quotidienne d’infirmières libérales, dont les interventions ne seront alors pas inclues dans ce qui relève directement de l’accompagnement.

Si le travail concret des équipes impliquées auprès des personnes hébergées dans les appartements accompagnés varie ainsi considérablement d’un service à l’autre, une série de dimensions importantes présentes dans la plupart des expériences concernent la prise des médicaments et les rendez-vous médicaux, la tenue du budget, le paiement des factures et la réalisation des formalités administratives, la capacité à tenir l’appartement et à accomplir les gestes du quotidien notamment la préparation des repas, la lutte contre l’isolement et les relations avec le voisinage. Cette citation illustre particulièrement bien l’intrication de ces différents enjeux :

Donc on va travailler à son autonomie dans le logement et puis, vous le savez très bien, ce n’est pas facile d’habiter seul. C’est le gros problème de la réinsertion de nos patients, c’est qu’à un moment donné tout est plié, ils sont dans un appartement, mais ils sont seuls. Malgré la présence des équipes à proximité à un moment donné ils sont seuls. Vous avez beau leur apprendre à faire à manger, à cuisiner etc., quand vous avez un kebab en face de chez vous, c’est plus facile d’aller manger un kebab (Rires). Donc tout ça c’est aussi du travail qu’on va faire, qu’on va continuer à faire avec les patients. Parce que vous savez, si vous mangez un kebab

153 deux fois par jour, vous n’allez pas tenir le choc. C’est peut-être ça le gros problème actuellement, c’est qu’il faut s’occuper de nos patients qui souffrent, à un moment donné ils ont beau être psychotiques, ils souffrent un petit peu de la solitude. Et puis vous savez, j’en parlais tout à l’heure, on continue à discriminer beaucoup les patients. Qu’on le veuille ou non, ils sont bien intégrés parmi les voisins etc., mais ça reste quand même estampillé hein. Ca c’est la réalité, on ne peut pas, on ne peut pas… donc il faut les aider aussi à supporter tous ces trucs-là. [Infirmier, appartements de secteur, #42]

Dans chacune de ces dimensions le travail des équipes peut comprendre des tâches de différente nature pour s’assurer qu’un certain nombre d’actions seront accomplies. Schématiquement on peut relever trois grands types d’interventions :

 prévention : mettre en place des organisations ou des routines pour s’assurer que telle ou telle tâche sera effectivement accomplie ;

 supervision du travail des personnes : être présent au moment de la réalisation de certaines tâches comme la préparation des repas, les courses, ou encore la prise de rendez-vous ;

 rectification : reprendre une tâche qui n’a pas été faite ou a été mal faite.

La gestion des repas peut illustrer ces propositions. Selon les services et, dans un service donné, selon les personnes, les interventions des équipes sont plus ou moins régulières. La quasi-totalité de nos interlocuteurs soulignent cependant que la capacité des personnes même minimale à préparer leurs repas est une condition de l’accès aux services : une première forme de travail de prévention est ainsi la vérification en amont de l’admission de ce point avec les services. Dans certains cas cela peut passer par la mise en œuvre avec les personnes d’un programme visant à leur apprendre à faire les courses. Lorsqu’une personne a été admise, une autre forme de prévention est la préparation avec elle des menus de la semaine de sorte qu’elle n’aura plus qu’à appliquer, littéralement la recette. Une supervision peut être mise en place sous la forme d’un accompagnement pour certaines ou pour la totalité des courses. Dans certains services, par ailleurs, une aide à domicile assiste les personnes chaque jour ou certains jours dans la préparation des repas. Enfin les équipes mettent en œuvre une forme de rectification lorsqu’elles s’enquièrent auprès des personnes si elles ont effectivement mangé comme il le faut ou qu’elles vérifient l’état de leur frigidaire.

La négociation de ces différentes tâches se fait dans les différents services entre la mise en place de routine ou de règles et une négociation au cas par cas :

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[L]es professionnelles du quotidien pour aider la personne sont au nombre de quatre. Donc elles sont vraiment là, ils sont vraiment là puisqu'il y a un monsieur, pour aider les personnes dans leur quotidien à faire les tâches qui ne sont pas forcément évidentes à faire, en fonction de la variation et en fonction des tâches en elles-mêmes. Donc dans une logique de faire avec et d'apprentissage, avec une vision différente de l'un à l'autre, puisqu'on sait- on ne sait pas parce qu'on ne sait jamais (rires), mais on se doute que les personnes, pour la moitié d’entre elles, resteront ici. D'autres personnes vont bouger et faire d'autres choses. Donc on a, elles ont une vision, ça c'est moi qui leur insuffle aussi chez elles, une vision différente du travail. Elles vont savoir que pour quelqu'un il va falloir pousser l'apprentissage pour que ce geste il soit maîtrisé du début à la fin, que pour d'autres bien évidemment ils seront toujours dans une logique de faire avec mais pas dans une logique, dans une idée d'un après ailleurs, tout seul ou peu importe, dans un degré supérieur d'autonomie. Donc c'est à elle, à base de son expérience sur le terrain d'évaluer ça aussi, de savoir comment accompagner les personnes, les personnes qu'on accompagne ici. [Educatrice spécialisée, appartements médico- sociaux, #20]

Si le travail des équipes repose nécessairement sur une standardisation minimale qui traduit ce qu’elles savent, veulent ou peuvent faire autant que leurs visions du métier et les moyens dont elles disposent, et qui trouve sa traduction dans l’organisation du travail qu’elles ont collectivement mise en place, l’accompagnement est toujours jusqu’à un certain point aussi un travail situé et négocié. Il se nourrit du quotidien des personnes mais ne concerne pas tout ce quotidien : il est au fond une négociation continue dans le quotidien. Si les équipes indiquent souvent que l’objet de leur intervention est la capacité des personnes à simplement vivre dans les appartements, la caractérisation de cette compétence n’est pas absolue. Au contraire, elle traduit la manière dont les équipes font émerger ou non certains problèmes comme des objets et des enjeux du travail d’accompagnement.