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Au côté de ces expériences issues du monde du handicap psychique un deuxième ensemble d’appartements accompagnés sont créés à l’initiative d’associations œuvrant dans le champ de l’accompagnement de certaines catégories de populations vulnérables ou précaires, et qui s’engagent dans la création de solutions innovantes en faveur de personnes souffrant de troubles psychiques issues de leurs clientèles ou à leurs frontières, souvent en collaboration avec des psychiatres, parfois à l’initiative de ces derniers. Si certaines de ces associations sont actives dans des secteurs de l’action sociale visant l’accompagnement des personnes, comme la gestion des tutelles pour les UDAF, à l’origine d’une expérimentation importante d’appartements gouvernés dans plusieurs départements français dont les Bouches du Rhône, la plupart des associations ont leur cœur d’activité dans le champ de l’hébergement ou plus largement de l’accompagnement dans le logement des populations précaires. Par contraste avec les services que l’on a évoqués dans la section précédente et qui s’inscrivent dans les transformations des politiques du handicap, ceux-ci reflètent ainsi avant tout les évolutions des problématisations politiques du logement au cours de la période récente.

Comme de nombreux observateurs l’ont constaté, les quarante dernières années ont vu s’opérer un rapprochement des politiques du logement d’une part, des politiques de lutte contre l’exclusion de l’autre et de la politique de santé mentale enfin (Dietrich-Ragon, 2011 ; Driant, 2015). Jusqu’aux années 1970 la politique du logement visait à produire en masse des logements de façon à résorber une crise du logement à la fois aigue et endémique depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Au tournant des années 1980, la construction des grands ensembles et les aides à la pierre paraissent avoir eu raison de cette crise, de sorte que les gouvernements font opérer un virage à la politique des années précédentes en mettant fin aux programmes de soutien à la construction. Rapidement,

131 cependant, la crise reprend le dessus provoquant dès les années 1990 une série de mobilisations parmi les acteurs associatifs et de nouveaux collectifs. En dépit de l’amélioration globale de la situation du logement de la population française, à la fois quantitativement et qualitativement, les acteurs et analystes pointent la persistance de poches de mal logement pour des franges importantes de la population tandis que la question des sans domicile s’impose à l’agenda. Profondément, la mal mesure des besoins de logements a provoqué un décalage entre l’offre et la demande. Une autre difficulté vient aussi des coûts renchéris de logements dont la qualité globale a augmenté significativement depuis la fin des années 1970 mais qui deviennent de ce fait inaccessible à une frange nouvelle de personnes disposant de petits revenus.

Face à cette nouvelle crise les gouvernants réagissent par la création d’une nouvelle politique sectorielle qui passe non plus par le soutien à la construction, mais par le ciblage d’actions vers les publics défavorisés. Outre des aides en direction des plus pauvres, la période voit la multiplication des dispositifs d’accompagnement en direction de publics segmentés. Comme dans d’autres secteurs des politiques sociales, c’est ainsi une nouvelle logique catégorielle qui s’impose, alimentée par les mobilisations de mal logés, l’hétérogénéité des formes de mal logement et des populations concernées paraissant justifier des programmes à chaque fois constitués sur mesure. D’un autre côté, outre des compensations financières, ces politiques stimulent la création une série nouvelles de pratiques d’accompagnement assurées par une masse d’associations de taille aux logiques d’interventions extrêmement diverses. Globalement on peut identifier dans cet ensemble trois pôles.

Le premier est celui de l’accès au logement. Celui-ci s’organise notamment à partir de la fin des années 1990 dans le prolongement l’institutionnalisation du Droit au Logement Opposable avec la création des commissions de relogement et la mise en place de nouvelles filières d’accompagnement. En particulier les années 2000 voient se développer, sous l’impulsion de programmes nationaux, l’intermédiation locative, qui suscite la création d’un nouveau tissu de petites associations locales dont certaines étendent leurs activités à des programmes spécifiquement destinés à des malades psychiques.

Le second pôle est celui de l’Urgence sociale constitué autour des foyers d’hébergement, qui est redoublé dans le courant des années 1990 et 2000 par un volant d’équipes mobiles chargées « d’aller vers » les personnes et surtout de les orienter dans le dispositif. Les premières de ces équipes ont une vocation universaliste et non spécifiquement psychiatrique, mais rapidement sont créés des dispositifs mêlant

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professionnels de la santé mentale et travailleurs sociaux destinées plus spécifiquement à des publics présentant d’importants problèmes psychiatriques, dont les difficultés psychiatriques et la précarité sont alors traités ensemble. A partir des années 2000, par ailleurs, un mouvement porté à la fois par des acteurs associatifs et l’administration plaide pour un rapprochement de ces interventions avec celle de l’accès au logement à travers la promotion de la logique logement d’abord : l’idée est ici que plutôt que de chercher à stabiliser progressivement les difficultés des personnes en les faisant passer par des hébergements temporaires qui doivent leur donner les moyens dans un second temps d’accéder à un logement permanent, mieux vaut leur donner d’emblée les clefs d’un logement ou d’un hébergement pérenne.

Enfin un troisième pôle concerne le maintien dans le logement de populations dont les difficultés sociales ou psychiques mettent en danger la capacité à habiter. Ces programmes sont portés à la fois par les municipalités et par les sociétés de HLM en première ligne dans la gestion des conflits de voisinage. Au début des années 2000 le programme 10 000 logements accompagnés porté par l’Union Sociale de l’Habitat est l’une des actions phares dans cette direction. Par ailleurs ces questions sont l’un des sujets de discussion majeur et l’une des justifications de la création des conseils locaux de santé mentale qui se multiplient à partir des années 2000.

Au final, on le voit, ces interventions suscitent la création tout azimut de dispositifs locaux innovants, peu cadrés, financés par une diversité de sources et qui visent à répondre à une demande mal identifiée en dehors de toute planification. Si un certain nombre de grands acteurs associatifs, notamment dans le champ de l’hébergement, occupent une place importante dans ces trois pôles, le secteur est aussi animé par un ensemble éclaté de petites structures à la visibilité limitée. Dans le courant des années 2000 une série de tentatives de rationnaliser ce tissu est impulsé par l’Etat avec l’obligation faite aux départements de créer des Plans d’Actions pour le Logement et l’Hébergement unifiés dans la loi du 24 mars 2014 pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové, mais cet effort d’organisation et de rationalisation peine à structurer le champ.

Les appartements accompagnés de notre échantillon s’inscrivent pleinement dans ces dynamiques qu’ils illustrent également. Deux exemples particulièrement significatifs méritent d’être évoqués rapidement.

Le premier est l’expérimentation « Un chez soi d’abord » lancée au début des années 2000 par des acteurs de la psychiatrie marseillaise avec le soutien de l’Etat. L’expérimentation débute sous l’impulsion d’un entrepreneur local de la psychiatrie, actif

133 dans le champ de la grande précarité, responsable d’une équipe mobile psychiatrie précarité, qui se lance dans la promotion d’approches innovantes pour aborder ensemble les problèmes dans le logement et ceux de santé mentale des sans domicile fixe. Une rencontre avec la ministre de la Santé permet à cet entrepreneur de la gagner à sa cause et, dans un rapport publié 2010, il lance officiellement la proposition de lancer en France une expérimentation inspirée du programme canadien Chez soi : le principe est, dans la logique logement d’abord, de permettre à des personnes souffrant de troubles psychiatriques graves et durablement à la rue d’accéder directement à des logements en intermédiation locative, dans lesquels leur est par ailleurs proposé un accompagnement qui doit permettre l’orientation vers les soins.

Le programme est lancé l’année suivante dans le cadre d’une expérimentation contrôlée supposée permettre d’en mesurer les bénéfices : les promoteurs du programme proposent un protocole randomisé dans lequel les personnes recrutées sont orientées au hasard vers le dispositif ou vers un accompagnement « comme d’habitude » à la rue par l’équipe mobile. Trois métropoles sont choisies pour son implantation, Marseille, Lille et Paris, où le dispositif doit avoir le même format : 100 places sont ouvertes à chaque fois, tandis qu’un montage similaire est organisé entre une équipe mobile chargées d’orienter les personnes vers le dispositif et une association gestionnaire en charge de l’accompagnement dans le logement. Parallèlement une équipe de recherche est montée mêlant psychiatres, chercheurs en santé publique et sociologues pour mener une double évaluation qualitative et quantitative de l’expérimentation.

Pour recruter l’association gestionnaire, un appel d’offre est lancé par les porteurs du projet : dans les trois cas l’association retenue est une association gestionnaire oeuvrant dans l’hébergement des populations précaires et disposant d’une expérience antérieure dans la gestion de structures s’adressant à des publics en grande précarité présentant par ailleurs des difficultés de santé. L’une des trois associations, par exemple, créée dans le courant des années 1980 est d’abord active dans le logement et l’hébergement à travers la gestion de CHRS. C’est la prise de conscience de la prégnance des questions de santé mentale dans une partie des populations qu’elle est amenée à accueillir en même temps que des difficultés spécifiques que posent ces situations pour l’accompagnement qui la conduit à créer d’abord des maisons de relais, puis des appartements de coordination thérapeutique, dont certains ne visent pas exclusivement des problèmes de santé mentale. L’ouverture des appartements un chez soi d’abord vient ainsi compléter une palette de services en ouvrant un programme nouveau pour un segment spécifique de populations.

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Au sein de l’Etat le programme suscite un investissement important d’une administration dont c’est le programme phare, la DIHAL. Localement il amène à l’ouverture d’un nombre considérable de places qui apportent des solutions y compris pour des équipes de secteur qui orientent certains de leurs patients à la rue. Le dispositif est pérennisé par arrêté ministériel à la fin de l’année 2016 sous le terme d’appartements de coordination thérapeutique un chez soi d’abord, et a vocation à être généralisé dans 16 grandes villes selon les mêmes principes directeurs mis en œuvre dans les premières expérimentations.

Le second exemple est une expérience d’intermédiation locative à destination de personnes souffrant de troubles psychiques créée à l’initiative d’une des municipalités de notre échantillon à la fin des années 2000. Dans cette ville présentant de fort taux de pauvreté et de précarité sociale, la question des difficultés de logement d’une frange de la population présentant des troubles psychiques est à l’agenda depuis le début de la décennie : création d’ateliers santé ville, d’un conseil local de santé mentale, mobilisations d’une frange de la psychiatrie publique locale et de certains acteurs associatifs. Cette mobilisation aboutit au milieu des années 2000 à la constitution d’un réseau d’acteurs constitué d’élus, de chargés de mission de la municipalité, de psychiatres et de quelques acteurs du logement, qui portent cette question à la fois dans leurs établissements ou administrations d’origine et dans l’arène politique locale. L’un des projets discutés par ces acteurs est alors un dispositif d’intermédiation locative, dont un projet est présenté sans succès à la DASS. C’est, dans la suite de la loi DALO, le lancement par l’Etat un appel à projet pour le dispositif Solibail qui ouvre une fenêtre d’opportunité pour faire aboutir le projet : Solibail prévoit la création à titre expérimental dans un certain nombre de départements de places en intermédiation locative. Les chargés de mission de la municipalité ont alors l’idée de réserver une partie de ces logements à « un public santé mentale », selon leurs termes. Le service ouvre en 2009 à destination de personnes soignées dans deux secteurs de la ville et orientées par les équipes psychiatriques. Les personnes sont alors adressées à une association chargée de la captation des logements et de la gestion de l’intermédiation locative. Un chargé de mission de la municipalité assure concrètement le fonctionnement du service et la collaboration des différents intervenants, jouant l’intermédiaire entre l’équipe psychiatrique et l’association d’intermédiation locative. De même une autre expérience de notre échantillon a été créée dans le cadre du programme 10 000 logements accompagnés de l’USH.

135 Au total, on le voit, ces expériences constituent un ensemble peu coordonné, profitant de niches financières et institutionnelles ouvertes par des programmes locaux ou nationaux, qui permettent à des acteurs ou des réseaux d’acteurs mobilisés de faire aboutir des projets, soit que ceux-ci sont suscités par ces opportunités, soit que ces dernières permettent à des projets antérieurs de trouver un aboutissement. Cette dynamique explique à la fois la visibilité de ces expériences, qui sont soumis à des évaluations multiples dans le cadre des programmes qui les portent, en même temps que la précarité des montages financiers dont ils dépendent, qui sont limités à la durée des appels d’offre. Ces caractéristiques expliquent la façon dont leurs acteurs vivent leur travail dans ces projets comme une forme de militantisme, chaque nouvelle étape dans l’élaboration des projets et la recherche de financement constituant une mise à l’épreuve de leur engagement. A cet égard ces expériences donnent à voir de façon exacerbée des tendances également présentes dans les autres services de notre enquête sur lesquelles on reviendra longuement.

Les perspectives actuelles

Ces dernières années ont ainsi vu la création d’un certain nombre d’organisations originales qui pourraient être les prémisses d’une reconfiguration d’ensemble du champ des appartements accompagnés. Il n’est peut-être pas abusif de parler d’un renouveau du dispositif tant les expériences récentes paraissent être porteuses à la fois d’orientations nouvelles et de développements susceptibles de bouleverser profondément le tissu des services d’accompagnement dans le logement. En témoigne en particulier le succès de l’expérimentation « Un chez soi d’abord » et son impact sur les milieux où elle s’est implantée, à la fois en termes d’offre de places et sur les débats et la programmation des services. Cette reconfiguration repose à la fois sur le renouvellement des acteurs, la constitution de nouvelles organisations portant les projets et un renouveau idéologique. Sur ce dernier plan un trait marquant des expérimentations actuelles est la mise en avant de la relation contractuelle avec les malades, la dimension d’insertion sociale et urbaine des pratiques et la volonté d’inscrire les dispositifs dans le droit commun du logement accompagné.

Au-delà de ces considérations générales, nos observations sur les différents territoires de notre enquête nous conduisent à souligner quatre tendances à l’œuvre dans la structuration du tissu des services sur nos terrains. Les trois premières concernent le devenir des appartements associatifs issus des secteurs, la quatrième le rôle des initiatives issues du secteur social et médico-social.

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La première est le maintien d’un certain nombre d’associations de secteur, qui continuent leurs pratiques dans l’esprit dans lequel elles travaillaient dans les années précédentes. Ces associations sont, dans les territoires de notre enquête, pour la plupart d’entre elles issues de secteurs rattachés à des hôpitaux généraux. Elles gèrent généralement un petit nombre de places, majoritairement dans des appartements individuels : si deux associations, qui sont par ailleurs des modèles historiques, accompagnent de façon exceptionnelle plus de 30 patients, quatre d’entre elles accueillent entre 10 et 15 patients, et quatre autres entre 1 et 9. En regard des contraintes qui pèsent sur les associations de secteur, le maintien des associations issues de secteurs rattachés à des hôpitaux généraux peut surprendre. On peut risquer cependant une hypothèse : l’isolement de la psychiatrie dans ces établissements qui hébergent un petit nombre de services psychiatriques et la petite taille des associations de secteur permet en fait aux équipes de maintenir une activité à couvert.

Dans les associations issues de secteurs rattachés à des hôpitaux psychiatriques, une seconde tendance est l’autonomisation d’un certain nombre d’associations par rapport aux secteurs dont elles sont issues. Ce processus paraît une tendance lourde puisqu’il concerne la quasi-totalité des centres hospitaliers spécialisés des territoires de notre enquête. On en a évoqué les raisons plus haut : volonté des équipes directoriales des établissements psychiatriques de limiter le nombre d’associations de leur établissement et de n’avoir plus qu’un interlocuteur, voire de limiter l’autonomie des associations en les coupant de leurs services d’origine ; évolution des équipes de secteur qui se désinvestissent du travail associatif ; ou dans certains établissements effet conjoint de ces deux phénomènes. Ces regroupements sont par ailleurs de toute évidence favorisés par les réorganisations des établissements en pôles et la dilution dans un certain nombre de lieu de la dynamique de secteur. Ces restructurations permettent dans certains cas aux associations de développer des projets en propre voire de s’inscrire institutionnellement dans le champ des institutions médico-sociales en recherchant des financements des ARS ou un agrément. Dans tel hôpital, la direction a ainsi forcé à la création d’une association indépendante animée par des bénévoles qui du même coup ont insufflé un esprit nouveau dans l’association en y admettant notamment des usagers. Un responsable d’une autre association dans une situation similaire commente ainsi la relation d’autonomie acquise par rapport à l’hôpital en dépit même de sa dépendance financière, la quasi-totalité des finances de l’association venant de celui-ci :

137 Ici on a une chance extraordinaire, c'est que la direction elle nous favorise aussi, on est incontournable, on s'est mis une fonction incontournable au niveau du fonctionnement de l'hôpital, on doit faire partie du projet de soin de l'hôpital. Donc c'est quand même important, ça veut dire qu'on tient les rênes, on ne lâche pas les choses, on fait pas n'importe quoi. Et ça ils le savent bien. On rend compte à l'hôpital, je les invite aux réunions, j'ai des relations avec la direction on leur disant que je veux mon autonomie de fonctionnement, ça c'est aussi important. Je ne suis pas sur la dépendance de l'établissement ! [Infirmier retraité, appartements de secteur, #12]

. Une troisième tendance est, pour un certain nombre d’équipes de secteur qui continue de s’investir dans l’accompagnement dans le logement, l’externalisation de la fonction d’intermédiation locative qui est alors pris en charge par une association à caractère le plus souvent social intervenant comme un prestataire de service auprès des équipes de secteurs et des personnes. Dans ce cas l’accompagnement reste géré en interne par l’équipe qui organise l’orientation des personnes vers l’association prestataire et les accompagnent dans toutes leurs démarche auprès d’elle. Dans certains cas cette fonction d’accompagnement est identifiée dans l’organisation du service mais dans d’autres elle en vient à être distribuée dans l’équipe de secteur et est en quelque sorte diluée dans le travail de secteur. D’un autre côté ces équipes organisent aussi différemment la division du travail avec l’organisme partenaire : dans le cas qu’on a évoqué plus de l’intermédiation locative animée par la municipalité, celle-ci assure on l’a vu par l’intermédiaire d’un chargé de mission un vrai travail d’accompagnement ; dans un autre cas, par contraste, l’équipe psychiatrique reste fortement impliquée et conserve l’initiative dans l’accompagnement des projets des personnes.

. Une dernière tendance correspond à la création que nous avons analysée dans la section précédente de services sous l’impulsion d’acteurs associatifs qui prennent à leur